Nos propositions de loi et de résolution
Nul ne peut être propriétaire des constituants génétiques du vivant
Limites du champ de protection d’un brevet concernant une information génétique -
Par Évelyne Didier et Le groupe CRCE-K / 20 avril 2017Lors des débats sur la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, parue au Journal officiel n° 0184 du 9 août 2016, le Parlement s’est emparé de la question de la brevetabilité du vivant.
Le parlement français en adoptant ce texte a posé la première pierre d’un principe fondamental de non brevetabilité du vivant.
L’article 9 de la loi précitée complète l’article L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel :
« Ne sont pas brevetables :
« 1° Les races animales ;
« 2° Les variétés végétales telles que définies à l’article 5 du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales ;
« 3° Les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des végétaux et des animaux ; sont considérés comme tels les procédés qui font exclusivement appel à des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection ;
« 4° Les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés ».
L’adoption de cet article élargit le champ d’application de l’article L. 611-19 du code de propriété intellectuelle. Ne sont désormais plus brevetables « Les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques définis au 3°, y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent ».
Cette nouvelle rédaction pose le principe de l’interdiction du brevetage des gènes des caractères ou traits natifs (c’est à dire naturellement présents) des animaux ou des végétaux.
Cette précision était nécessaire. En effet, malgré l’interdiction de breveter les variétés végétales, les races animales et les procédés essentiellement biologiques, des brevets ont pu être déposés, avec l’aide de la sélection assistée par marqueurs, sur des ensembles de végétaux ou d’animaux obtenus exclusivement par des procédés essentiellement biologiques dès lors que l’on isolait soit un de leurs éléments, par exemple une séquence génétique, une cellule, une graine, soit une information génétique commune à tous.
L’information génétique est constituée par des paramètres ou des marqueurs génétiques, moléculaires, chimiques, physiques ou par référence à un échantillon déposé officiellement et accessible au public, liée à un caractère héréditaire particulier ou à une fonction. Dans ce cas, il peut s’agir par exemple de la résistance à un pathogène ou à un herbicide, d’un intérêt nutritionnel, etc.
Nonobstant les avancées introduites à l’article L. 611-19, deux réserves doivent être émises.
Tout d’abord, l’article 9 de la loi précitée ne concerne pas les micro-organismes qui sont toujours brevetables.
Ensuite, cet article n’a d’effet juridique qu’en droit interne. Il ne s’applique qu’aux brevets délivrés par l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) en France. Or, la plupart des brevets sont délivrés par l’Office européen des brevets (OEB) qui applique, avec une interprétation sujette à critique, la convention sur le brevet européen (CBE) et son propre règlement d’exécution, en conformité avec la directive européenne 98/44. Il est important de préciser ici que l’inscription au catalogue officiel national d’une nouvelle variété, dont les plantes peuvent contenir un élément ou une information génétique brevetés, ouvre l’accès à l’ensemble du marché européen.
L’article 10 de ladite loi qui modifie l’article L. 613-2-3 du code de la propriété intellectuelle concerne l’étendue des protections accordées par un brevet relatif à une matière biologique.
Auparavant, l’article L. 613-2-3 du code de la propriété intellectuelle stipulait : « La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées s’étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication et dotée de ces mêmes propriétés.
« La protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées s’étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de cette dernière, par reproduction ou multiplication et dotée de ces mêmes propriétés ».
L’article 10 précité, tel que rédigé par notre assemblée, a complété l’article L. 613-2-3 en précisant que « La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières biologiques dotées de ces propriétés déterminées, obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication ».
Cet ajout est essentiel parce qu’il permet de limiter la mise en application du droit exclusif d’exploitation accordé par un brevet.
À titre d’exemple, l’entreprise Monsanto avait déposé une demande de brevet sur un melon résistant naturellement à un virus. En utilisant des méthodes traditionnelles de sélection, ce type de résistance a été introduit dans d’autres melons. Le brevet qui avait été accordé en 2011 par l’Office européen des brevets couvrait ces nouvelles sous-espèces de melon dans lesquelles la résistance avait été introduite.
De plus, grâce à un marqueur génétique qui permet d’identifier la présence de ce trait de résistance, les détenteurs du brevet peuvent facilement l’identifier dans les différents melons au cours des croisements successifs. La présence de ces marqueurs génétiques revendiqués dans le brevet de Monsanto constituait une « présomption de contrefaçon ». En somme c’était à l’agriculteur de prouver que le gène contenu dans le melon cultivé était d’origine naturelle.
Grâce au dispositif introduit par l’article 10 de la même loi, désormais, le melon issu exclusivement de procédés essentiellement biologiques et qui présente la même fonction, c’est-à-dire qui a ce trait de résistance, n’entre plus dans le champ d’application de ce brevet. C’est à celui qui dépose le brevet de prouver que cette propriété (la résistance à un virus) résulte de son invention et non d’une fonction existant naturellement au préalable.
Au Sénat, les membres du groupe Communiste républicain et citoyen (CRC) ont porté des amendements, dont certains ont été adoptés pour circonscrire la brevetabilité du vivant et interdire celle des gènes natifs.
Cependant, les débats ont fait apparaître la nécessité d’approfondir un sujet dont les contours sont encore mal définis et qui pose des questions dans les domaines éthique, philosophique, scientifique mais aussi économique. C’est donc un problème de société.
Un travail de définition est nécessaire. Ainsi, le législateur devra préciser d’une part ce qui relève de l’invention, et d’autre part ce qui relève de la simple découverte.
L’invention peut être protégée par un brevet au nom de la propriété intellectuelle.
Par contre, la découverte d’un mécanisme du vivant existant ne doit pas être privatisée. En effet, la simple description de ce qui est ne peut pas être assimilée à une invention.
Rappelons ici qu’un brevet, au nom de la propriété intellectuelle, confère à celui qui le dépose un droit exclusif de l’exploitation de ce qui est décrit.
Il s’agit ainsi de garantir les droits de la recherche future. On ne peut imposer aux chercheurs de payer les découvertes précédentes avant de poursuivre leurs travaux. Ce serait une forme de péage qui privatiserait non seulement tout le vivant, mais aussi tout acte de recherche. Il ne faut pas faire peser sur les générations futures la cupidité exorbitante de notre époque au prétexte qu’elle a eu le privilège de mettre au point des outils comme les supercalculateurs et les algorithmes.
Nous devons donc affirmer que nul ne peut être propriétaire des constituants génétiques du vivant.
Ce que l’on appelle la « biopiraterie » illustre notre propos. Il existe aujourd’hui une appropriation illégitime du vivant, des « ressources » génétiques, des savoirs traditionnels de la pharmacopée ancestrale des hommes et des animaux, par le dépôt d’un brevet concernant la simple découverte de l’existence des substances et de leur utilisation par les peuples autochtones.
Lors des débats au Sénat, les sénateurs du groupe CRC ont proposé que le même raisonnement qui avait conduit à l’adoption du principe de la limite des effets d’un brevet sur la matière biologique s’applique à l’article L. 612-2-2 du code de la propriété intellectuelle. Cet article concerne les protections accordées par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique. En effet, la majorité des brevets déposés sont de cet ordre.
En l’état actuel du droit, l’article L 613-2-2 prévoit que :
« Sous réserve des dispositions des articles L. 613-2-1 et L. 611-18, la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s’étend à toute matière dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce la fonction indiquée.
« Cette protection ne s’applique pas en cas de présence fortuite ou accidentelle d’une information génétique brevetée dans des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes ».
Ainsi, les brevets déposés sur des produits contenant (ou consistant en) une information génétique, comme les marqueurs génétiques ou moléculaires indiquant qu’une matière biologique exprime une fonction particulière (résistance à un agent pathogène...) confèrent des droits exclusifs à leur détenteur qui s’étendent à toute matière biologique qui contient l’information génétique brevetée.
À titre d’exemple, en 2002, l’Office européen des brevets avait accordé un brevet à Plant Bioscience, une société du Royaume-Uni, pour une méthode permettant de développer un composant spécifique des espèces de Brassica grâce à des procédés de sélection traditionnels (assistés par marqueur). Le brevet incluait les procédés de sélection, ainsi que les graines de brocoli et les plantes comestibles du brocoli, obtenues à partir de ces procédés de sélection. Les sociétés qui contestaient ce brevet affirmaient qu’il devait être révoqué étant donné que les procédés biologiques ne peuvent être protégés par un brevet, en vertu de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques et l’article 53 (b) de la Convention européenne des brevets. Désormais, l’article L. 612-2-3 du code de la propriété intellectuelle tel que modifié par l’article 9 précité limite la protection accordée par de tels brevets.
Cependant, cette limite n’est pas suffisante. En effet, s’agissant du chou brocoli, le brevet portait sur une information génétique avec l’identification du lien qui relie un marqueur génétique et une teneur augmentée en glucosinolates aux vertus anti carcinogène. L’information génétique est différente de la matière biologique en tant telle. La matière biologique exprime la fonction décrite. Le brevet qui porte sur une information génétique, par nature immatérielle, voit sa protection s’étendre, encore aujourd’hui, à toute la plante. Il suffit d’isoler et de décrire un caractère de ce chou pour que le brevet s’étende aÌ tous les choux brocolis. Ainsi, on comprend que la limitation du droit exclusif d’exploitation accordé par un brevet, seulement en ce qui concerne la matière biologique, n’est pas suffisante.
L’article unique de cette proposition de loi, conformément à l’esprit qui a animé le législateur lors de l’adoption des articles 9 et 10 de la loi dite « biodiversité », propose de modifier l’article L. 612-2-2 le code de la propriété intellectuelle afin de limiter la protection conférée par un brevet, et d’exclure de ladite protection le produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
Après le premier alinéa de l’article L. 613-2-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La protection définie au premier alinéa du présent article ne s’étend pas aux matières biologiques exclusivement obtenues par des procédés essentiellement biologiques définis au 3° du I de l’article L. 611-19, dans lesquelles l’information génétique est contenue et exerce la fonction indiquée, ni aux produits issus de cette matière biologique. »