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Quel avenir pour le Franc CFA ?

Intervention d’ouverture du colloque sur le franc CFA du 17 septembre -

Par / 17 septembre 2015

Retrouvez ici l’intervention que j’ai prononcée à l’occasion du colloque organisé par la fondation Gabriel Péri et le Collectif Afrique du Conseil National du PCF, autour de la question du franc CFA.

Mesdames et messieurs,
Mes chers amis,

Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter la bienvenue au Sénat.
Nous sommes ici dans l’un des palais de la République Française, avec tout ce que cela comporte… C’est dans ces murs que se sont tissés une partie des accords internationaux qui régentent aujourd’hui encore notre pays et ses rapports avec les autres nations. C’est ici même que réside une partie du pouvoir politique national, et ce depuis la fin du XVIIIème siècle sous le Directoire. Le Sénat est une institution « moderne », au sens où elle a accompagné le XIXème siècle, ses métamorphoses, ses révolutions sociales, économiques et internationales. Au regard de l’histoire de l’Afrique, les cycles de colonisations et de décolonisations sont justement contemporains à cette institution monarchique, impériale puis républicaine.
Vous le voyez, le choix même du lieu des échanges que vous aurez tout au long de cette journée n’est pas anodin, loin s’en faut. La date non plus, puisque ce colloque intervient au moment où de plus en plus de voix critiques se font entendre, et ce à la veille de l’assemblée annuelle des ministres des finances de la zone franc, qui se déroulera à Paris début octobre.
A ce titre, je souhaiterais saluer le travail d’organisation et de préparation qui a conduit à cette journée, et plus précisément les fondations Gabriel Péri et Rosa Luxemburg, le collectif Afrique du Conseil National du Parti Communiste Français sans qui cette journée n’aurait pas pu voir le jour.

Je voudrais aussi souhaiter la bienvenue à l’ensemble des intervenants qui se succéderont aujourd’hui. Économistes, sociologues et responsables politiques, il n’en faudra pas moins pour dessiner les contours des politiques monétaires qui impactent 14 pays d’Afrique centrale et occidentale, ainsi que les Comores, c’est-à-dire le quotidien de près de 150 millions de personnes. Soyons clairs, il ne s’agit pas d’une simple question monétaro-monétariste (ou même en prenant un spectre plus large), d’une question économique pure.

Lorsque l’on s’attache à analyser les causes et les effets dans les questions de développement, aucune dimension n’est exclusive, mais bien au contraire, elles s’interpénètrent. En effet, la question du franc CFA recouvre bien sûr une réalité économique, avec ses questions propres. On s’interrogera notamment sur la rigidité des politiques économiques entre les pays membres de l’Union Monétaire des Etats d’Afrique de l’Ouest pour une part, et pour ceux membres de la Communauté Économique et Monétaire d’Afrique Centrale d’autre part. Mais la question se pose aussi de la capacité pour ces États souverains à adapter leurs politiques monétaires en fonction de la situation macroéconomique.
De la même manière, que dire de cette souveraineté quand les parités internationales sont fixées avec Paris et donc Francfort ? Le débat qui agite l’euro est donc transposable sur la zone franc, puisque cette dernière y est directement arrimée depuis 1999.
Mais pour revenir sur les autres dimensions du problème, les questions sociales et politiques sont elles-mêmes influencées par la monnaie, autant qu’elles exercent des pressions sur elle. Et j’insisterai d’avantage, pour ma part, sur ces dimensions. Pour deux raisons : la première est que je ne suis pas un spécialiste de ces questions, je suis un parlementaire, mais aussi et surtout parce que je suis intimement convaincu qu’au-delà des questions techniques, seul le choix politique, assumé et conscient, prime.
Ainsi, pris à travers le prisme politique, le CFA est une anomalie historique. En effet le franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d’Afrique ». En 1958, le franc CFA devient « franc de la communauté française d’Afrique ». Aujourd’hui le franc CFA signifie franc de la communauté financière d’Afrique pour les pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine, et franc de la coopération financière en Afrique centrale pour les pays membres de la Communauté Economique et Monétaire des États de l’Afrique Centrale, auquel vient s’ajouter le franc Comorien. Force est de constater qu’au début des années 1960, alors que l’AOF et l’AEF se libèrent de la tutelle coloniale, les nouveaux États n’obtiennent pas leur autonomie monétaire. Pourtant, la prérogative de battre monnaie est précisément l’une des marques d’un pouvoir régalien souverain.
Partant de ce constat, on notera aussi que la zone franc est en soi très hétérogène : avec ses 150 millions d’habitants, elle va de l’Atlantique aux portes du Nil, du désert du Sahara à la touffeur du bassin du fleuve Congo. Ses 14 pays membres ont des activités et des schémas d’organisation économiques divers, des dépendances et des forces diverses elles aussi. La question du bien-fondé d’une monnaie unique régionale se pose donc. A fortiori quand l’on mesure que la majorité des échanges commerciaux ne se font pas entre pays de la zone franc, mais en direction de l’Union Européenne, de la Chine ou des États-Unis. L’arrimage du CFA à l’euro sert donc avant tout le partenaire européen, dont l’ascendant commercial est assuré sans risque.
Cette situation crée un déséquilibre politique net. Il s’agit donc de parvenir à tracer les contours d’un développement harmonieux pour l’Afrique, l’Europe et les citoyens de ces pays. Harmonieux, et respectueux, pour tendre vers de nouveaux équilibres internationaux plus justes. Cela ne peut passer par la perpétuation de la situation actuelle qui fait que, selon un rapport de la zone franc, la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale) et la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest), les deux banques centrales de la zone franc disposent de milliers de milliards de francs CFA (ce qui correspond à plusieurs dizaines de milliards d’euros) auprès du Trésor français. La France rémunère les banques centrales africaines en intérêts, tout en se servant au passage grâce à des placements privés (des sommes dégagées au profit de la France qui se comptent en centaines de millions d’euros). Pire, la part d’intérêts versée aux banques centrales est comptabilisée dans l’Aide Publique au Développement ! Dépouillés de la moitié de leurs recettes, les pays africains de la zone franc se retrouvent ainsi dans une situation économique et sociale très difficile, d’autant plus que la France leur impose une rigueur budgétaire (c’est-à-dire une baisse des dépenses publiques) pour que l’approvisionnement du compte d’opérations soit garanti.
Quand la France vient en aide à un des pays concernés par un déficit, c’est avec les excédents et bénéfices générés sur les autres pays de la zone franc. La France apparaît alors comme un pays très généreux, alors qu’elle ne prête à des pays africains que l’argent d’autres pays africains.
Dans d’autres cas, la dette d’un pays africain n’est pas annulée mais « privatisée ». Elle sera payée, à terme, à hauteur des sommes dues, à des entreprises françaises, qui réaliseront dans le pays concerné des travaux d’intérêt général. Le choix de ces chantiers et de ces entreprises étant effectué non pas en Afrique mais en France.
En visite le 12 octobre 2012 à Dakar, François Hollande a déclaré : « Je suis convaincu que les pays de la zone franc doivent pouvoir assurer de manière active la gestion de leurs monnaies et mobiliser davantage leurs réserves pour la croissance et l’emploi. »
On peut sans doute penser avec raison que dans ce domaine comme dans bien d’autres le renoncement a prévalu par rapport aux engagements.
Mais force est de constater que, jusqu’il y a très peu de temps, peu de responsables politiques africains de premier plan, dirigeants ou opposants, sans parler de leurs homologues français, ont posé directement la question des réserves de change et plus généralement celle de cette gestion monétaire d’un autre temps.

Peut-être faut-il y voir la crainte liées aux coups d’État téléguidés par la France, ou avec sa complicité, dès que des dirigeants commencent à mettre en cause le système du Franc CFA comme au Togo en 1963, au Mali en 1968, au Burkina Faso en 1987, et plus récemment en Côte d’Ivoire, en 2011.

Par ailleurs la libre convertibilité s’applique des pays africains de la zone franc à la France et inversement, mais ne concerne pas les échanges entre les trois zones du système CFA. Ce principe facilite les investissements français en Afrique, le rapatriement des capitaux, et l’importation par la France de matières premières, mais bloque les échanges interafricains.
Les principes de libre convertibilité et libre circulation des capitaux favorisent également la fuite des capitaux de l’Afrique vers la France. Les entreprises françaises installées dans les pays africains de la zone franc peuvent rapatrier librement leurs liquidités vers la France et les transferts d’argent entre la France et l’Afrique s’opèrent sans entraves au profit des élites françafricaines.

Ce débat sera donc riche, puisque le sujet traverse en profondeur l’ensemble des problématiques liées au développement et à la souveraineté. Mais surtout, comme une poupée gigogne, la question de l’avenir du Franc CFA pose directement la question de l’avenir de l’euro.
Les critiques qui sont émises sur le CFA se retrouvent en partie dans la critique de l’euro : monnaie de domination commerciale, économique et politique ou élément de cohésion et de résistance face à la domination américaine ? Quels contre-pouvoirs politiques peuvent être appliqués à la gouvernance de la Banque Centrale Européenne, de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale ? A quelles réalités doivent s’adapter les parités et émissions monétaires pour être le plus utile ?

Autant de questions qui s’appliquent aussi bien à la zone euro qu’à la zone franc, ce qui s’explique par le fait que les unions monétaires sont toutes traversées par les mêmes tensions économiques, sociales et politiques. Mais depuis 2008, les parallèles deviennent troublants. Ainsi, alors que de nombreux responsables publics africains, américains et européens ont dénoncé les Plans d’Ajustement Structurels imposés à l’Afrique, au premier rang desquels les communistes français, nous avons aujourd’hui les mêmes plans imposés à tous les pays européens. Le nom a changé, mais les méthodes sont restées : casse des services publics, privatisations massives, contraintes sur les salaires et développement de l’attractivité capitalistique. La quête de la compétitivité, comme celle du Graal, n’aboutit à rien, si ce n’est que les cadres socio-économiques des États sont bouleversés, au seul profit des grandes fortunes internationales.
Le cas de la Grèce, et le traitement qui lui est imposé depuis maintenant près de sept ans est emblématique de cette vision des « relations » internationales. Finalement le capital allemand notamment ne réserve-t-il pas le même traitement à la Grèce que le capital français réserve depuis des décennies à certains pays africains ? Le pouvoir ne réside plus dans les chancelleries depuis les années 1990, mais dans les banques et conseils d’administration des grandes entreprises. Cette réalité s’est imposée très vite aux États africains. Mais vingt ans après, dès lors que les réserves de richesses de ces pays ont été pillées, c’est vers les pays européens les plus fragiles que l’attention du FMI et de la Banque Mondiale s’est tournée. Pour finalement concerner tout le monde aujourd’hui.

Le sort réservé aux pays d’Afrique arrêtés sur la voie du développement aurait pu être un signal. Un signe des méfaits des politiques ultra-libérales, mais dans le contexte d’hégémonie culturelle des années 1990 à 2010, aucune voix n’a su se faire entendre.

Le débat d’aujourd’hui aura donc aussi une résonance européenne, et l’étude du Franc CFA projettera son ombre sur l’euro, avec cette question de fond : quelle utilisation de la monnaie et dans quel but ?

La fin du système actuel du franc CFA, clé de voûte peu problématisée du pacte colonial encore en vigueur, ouvrirait une ère de progrès commun faite d’une coopération digne de notre époque et beaucoup plus avantageuse pour tous.

Il est essentiel que les peuples africains et le peuple français s’emparent de ces thématiques pour inverser le cours des choses par des mesures immédiates et qu’ils ouvrent une autre voie, celle du progrès et de la justice. Je suis convaincu que ce colloque y contribuera par un débat qui s’annonce très riche.

Malheureusement, je ne pourrais pas assister à vos travaux. Je voulais m’en excuser. Je suis en effet un des chefs de file du groupe communiste dans le débat en séance publique sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui reprend dans un instant.
Je vous souhaite à nouveau donc une bonne journée, studieuse et fructueuse. Merci à vous d’être là aussi nombreux.

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Bio Express

Dominique Watrin

Sénateur du Pas-de-Calais
Membre de la commission des Affaires sociales
Elu le 25 septembre 2011
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