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Le bicamérisme à la française : un enjeu pour la Démocratie

Colloque organisé au Sénat -

Par / 17 avril 2014

Mesdames et messieurs, chers collègues, je veux d’abord remercier le GEVIPAR d’avoir pris l’initiative de ce colloque, de débattre de l’idée que je partage selon laquelle le bicamérisme est un enjeu pour la démocratie.

Il me semble qu’on ne peut pas parler du bicamérisme, sans parler du contexte actuel.

Chacun le sait, nous vivons une crise profonde de nos institutions et cette crise ébranle notre Démocratie.

Le vote en faveur de l’extrême droite, l’importance de l’abstention aux élections locales, le repli sur soi, l’individualisme, sont autant de marqueurs d’une rupture dans la représentativité engendrée entre autres éléments par le non renouvellement de la sphère politique et des modes de scrutin qui ne font que confirmer la cassure entre le peuple et les élites économiques et politiques de la France.

Je rappelle qu’aujourd’hui, 17% des français pensent que les responsables politiques se préoccupent que de leur semblables ; ils sont donc plus de 80% à penser que les responsables politiques ne se préoccupent pas des gens comme eux !

Cette méfiance et insatisfaction expliquent certainement cette accélération d’alternances politiques.

Par ailleurs, à l’échelle internationale, les marchés financiers, l’OMC, mais encore le FMI et la Banque mondiale ont pris, selon nous, le pouvoir.
Au niveau européen, alors que les institutions européennes se sont construites par le haut, elles dictent une grande partie de notre législation.
La Commission et la BCE, les lobbies se sont octroyés une partie du pouvoir législatif au détriment de la représentation parlementaire nationale. Les parlements européens pèsent peu face à ces derniers.

Fruit de la mondialisation capitaliste, cette prise de pouvoir entraine à la fois la destruction des instruments de la puissance publique à l’échelle nationale au nom de la dérégulation et resserre le cercle des décideurs au nom d’une « bonne gouvernance » venant aggraver la crise profonde de nos institutions.

Le fonctionnement de la Ve République est arrivé à bout de souffle car elle ne respecte pas le principe du contrat social, fondateur de notre République, celui de la souveraineté populaire : trop de concentration de pouvoir dans l’exécutif, dévalorisation du Parlement, peu ou pas de place donnée à la souveraineté populaire et à l’initiative citoyenne.

Les réponses libérales contournent voire renforcent le divorce entre les élites et le peuple par une accentuation du présidentialisme et du bipartisme.

Rien n’est fait pour enrayer le déclin de l’institution parlementaire !
La Constitution de la Vème République marque une rupture véritable avec la pratique des précédentes Républiques.
Elle met en place un Président « clé de voute des institutions » pour reprendre les termes de Michel Debré, en consacrant sa prééminence sur le pouvoir législatif dans l’équilibre constitutionnel.

Il soulignait pourtant, que le président de la République n’avait d’autre pouvoir que de solliciter un autre pouvoir, et rappelait que le Gouvernement est responsable devant le Parlement.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

La prééminence du pouvoir exécutif sur le législatif a été renforcée par des mécanismes poussés de rationalisation du parlementarisme : le recours aux ordonnances, l’usage du 49-3 de la Constitution, la maitrise de l’ordre du jour des Assemblées, un droit d’initiative renforcé, l’extension du pouvoir réglementaire autonome, puis par l’élection du Président de la République au suffrage universel.

« Le Parlement peine même à contrôler l’activité législative du Gouvernement ».
La pratique politique, le jeu des acteurs, n’a fait qu’exacerber, la prédominance voire la domination du pouvoir exécutif et en son sein la domination du Président de la République.

Certes, à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008, révision qui avait pour objectif une revalorisation du Parlement, l’article 49-3 de la Constitution a été encadré (possibilité de l’utiliser que sur les lois de finances et les lois de financement de la Sécurité sociale et qu’une fois par session pour tout autre texte).

Toutefois, d’autres armes plus subtiles n’ont pas été révisées. Il en est ainsi de l’article 44-3 qui est utilisé aujourd’hui pour interrompre le débat dès le début d’une discussion parlementaire.

Cet article aujourd’hui employé à l’encontre de l’opposition voire du partie de la majorité, dès lors qu’elle n’est pas gouvernementale, quand les débats deviennent trop longs au goût de l’exécutif, a, à l’origine été prévu pour ramener dans le droit chemin une majorité gouvernementale indisciplinée et disparate.

Cela, avant les révisions décisives des modes de scrutins intervenues après l’adoption de la Constitution.

Ce choix de mode de scrutin, a modelé la pratique des acteurs politiques, favorisant la stabilité gouvernementale au détriment du pluralisme au sein du Parlement.

En effet, le problème ne réside pas uniquement dans l’articulation des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement mais, également, dans la mise en œuvre du « fait majoritaire » qui règne sans partage sur nos institutions depuis les élections législatives consécutives à la dissolution de 1962.

La majorité parlementaire renonce à utiliser, ses pouvoirs, ses compétences et moyens d’action dès lors qu’ils sont susceptibles de remettre en cause tout à la fois la cohérence de la majorité parlementaire et, plus encore, le soutien indéfectible accordé au Gouvernement.

On a ainsi coutume d’opposer deux « institutions », le Parlement et le Gouvernement, censées incarner chacune une logique propre, faite de projets, d’ambitions et de politiques ; mais le clivage ne se situe pas seulement à ce niveau : la majorité parlementaire soutient le Gouvernement et cette mission est devenue quasiment exclusive de toute autre renonçant à utiliser ses prérogatives pour ne pas porter atteinte à la pérennité de l’action gouvernementale et au « sacro-saint » principe de discipline majoritaire !

Mon propos n’est pas de nier l’existence ou le caractère opératoire du fait majoritaire car celui-ci est le principal garant de la stabilité de nos institutions, mais notre démocratie parlementaire est parvenue à l’âge adulte et elle ne doit pas craindre d’organiser des contre-pouvoirs. Montesquieu ne conseillait-il pas un système ou chaque pouvoir arrête le pouvoir ? Ou chaque pouvoir était le contre pouvoir d’un autre pouvoir ?

Il existe incontestablement un questionnement sur la place du Sénat dans nos institutions et ce débat ne doit plus être escamoté sous prétexte du légitime et nécessaire respect dû à la « Chambre Haute ».

En effet, le bicamérisme à la française sous la Ve République a bien du mal à se laisser encadrer dans les catégories juridiques habituelles : ni bicamérisme fédéral ni véritable bicamérisme parlementaire, avec deux chambres se partageant à égalité le pouvoir législatif ; notre système manque de justification.
C’est d’autant plus vrai que la Constitution offre au Gouvernement, avec la procédure du « dernier mot » de l’Assemblée nationale de l’article 45, une arme absolue contre l’opposition du Sénat, permettant ainsi de transformer notre système en monocamérisme majoritaire de fait.

Le Sénat de la Ve République s’inscrit dans la tradition du bicamérisme à la française : celui de la pondération de l’assemblée au suffrage universel direct.
Comment ne pas constater que durant des décennies, le Sénat a été le bastion des forces que je qualifierais de modérés pour rester courtoise dans le cadre de notre journée.
Même si le Sénat a souvent permis d’approfondir certains débats, c’est ce fait qui m’a convaincu de la nécessité d’une forme de bicamérisme, il n’en reste pas moins que la priorité doit rester clairement à l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct.

Il faut donc, selon nous, réformer en profondeur la seconde chambre sur le plan du rôle et du mode d’élections.

Pour légitimer pleinement l’existence d’une seconde assemblées dans nos institutions, il convient tout d’abord, de la rendre aux citoyens et de le rendre à l’action politique en envisageant une modification de sa composition et de son mode d’élections.

Ainsi, Nicole Borvo Cohen Seat, ancienne sénatrice de Paris, propose à juste titre que la représentation sociale et la représentation territoriale se fassent dans le cadre d’une seconde chambre issue d’une transformation du Sénat, sans préjudice pour les collectivités ou organisations sociales, au contraire, si ce faisant, ses compétences et sa légitimité sont accrues.

Cette chambre pourrait être composée par moitié de représentants des collectivités locales élus au suffrage universel direct sur listes départementales de candidats ayant une expérience élective dans une collectivité.

L’autre moitié pourrait quant à elle, être composée de représentants des groupes sociaux élus au suffrage universel direct sur des listes (régionales ou départementales) composées de citoyens proposés par des organisations syndicales et associatives représentatives, dans des proportions à définir.
Cette modification substantielle présenterait l’incontestable avantage d’offrir aux électeurs un choix politique largement ouvert.

Mais ce système se heurte immédiatement à une objection : à quoi pourrait donc bien servir cette deuxième assemblée « politique », face à une Assemblée nationale, siège de la majorité gouvernementale ?

Tout simplement à rénover en profondeur le débat démocratique pour peu que ce « nouveau » Sénat ne reste pas le parent pauvre de nos institutions.
C’est cela que le bicamérisme doit permettre : un Sénat qui n’est pas le miroir de l’Assemblée nationale, c’est cela un bicamérisme rénové et démocratisé.

En effet, cette assemblée représentative de la diversité de l’opinion n’a d’intérêt que dans la mesure où elle peut pleinement jouer son rôle de contrôle.
Cette chambre doit donc exercer pleinement son rôle dans le processus législatif tout en conservant la faculté du Gouvernement à donner le « dernier mot » à l’Assemblée nationale.

Sa légitimité démocratique et sa spécificité renforceraient son poids dans le processus législatif.

Elle pourrait en outre examiner en première lecture et essentiellement mettre en forme les propositions législatives émanant des organisations sociales et des collectivités locales sous réserve d’un seuil, et leur possible généralisation à l’ensemble du territoire par la loi.

Par ailleurs, il m’apparait important d’avoir une réflexion approfondie sur la représentation des citoyens et à ce titre la proposition du constitutionnaliste Dominique Rousseau est intéressante.

Il propose de rendre présent le citoyen par une participation directe de celui-ci qui pourrait prendre la forme de « conventions de citoyens » tirés au sort sur des listes électorales qui, après délibération, pourraient produire des recommandations aux assemblées parlementaires pour qu’elles en débattent.
Ces initiatives législatives citoyennes pourraient être transmises en première lecture au Sénat.

Ce changement de statut en ce sens, de la deuxième chambre serait à mon sens, un signe fort de la prise en compte réelle de « l’auto organisation » des citoyens ; saut qualitatif nécessaire pour revivifier la démocratie.

Et si, par la nature des choses, le pouvoir doit arrêter le pouvoir, n’est-il pas souhaitable qu’une assemblée largement représentative des courants d’opinion puisse arrêter d’éventuels errements majoritaires de l’autre assemblée ?

La démocratie ne doit plus être la « dictature » temporaire d’une majorité, mais redevenir un processus d’échange et de débat.

Le Sénat rénové en ce sens pourrait très largement y contribuer en étant clairement resitué dans l’action politique.

Je vous remercie.

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