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Violences faites aux femmes

colloque à Grenoble le 25 novembre 2013 -

Par / 27 novembre 2013

Pour commencer mon intervention, je rappellerai une phrase écrite par Simone De Beauvoir : on ne nait pas femme, on le devient ; et je mettrai cette affirmation au masculin : on ne nait pas homme, on le devient, tout comme on ne nait pas violent, on le devient et de fait on ne nait pas homme violent, on le devient.
Je souhaitais démarrer ainsi mon propos pour dire toute l’importance de notre Société sur le devenir des femmes et des hommes qui la composent, tout le poids de son Histoire, de ses traditions ancrées trop souvent sur la place des uns et des autres, et bien sûr, sur la place prédominante des hommes...
Et là, je suis tout à fait d’accord sur les violences psychologiques qui en résultent et la "pression" à laquelle sont soumises les victimes.

Aujourd’hui, notre société parle beaucoup de la violence. Mais elle en parle comme si cette violence était asexuée alors que ce sont les femmes qui en sont les principales victimes, qu’il s’agisse de violences physiques, psychologiques, économiques, sexistes et sexuelles, sans parler de la violence des images, celle de la pub, pour laquelle on peut parler de « culture du viol », de « séduction à la française » que sont les baisers volés et autres gestes indésirables subies par tant de femmes : l’une de ces pubs a particulièrement défrayé la chronique aux Etats Unis, celle d’une jeune femme blonde, pieds et poings liés, jetée à l’arrière d’une jeep comme si elle venait d’être kidnappée, c’était une pub pour vendre la jeep ! Mais nous avons toutes et tous en tête cette publicité de Babette avec son petit pot de crème fraiche et son tablier de cuisine sur lequel était écrit « Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole… » et qui avait boosté les ventes de 36%, ou celle de la « belle extasiée » la bouche ouverte plongeant sur un tube de rouge à lèvre ; ça ne vaudra jamais l’autre belle très « chic », allongée, offerte, sur le capot de la voiture de luxe dernier cri…
Trop souvent banalisées et loin d’être des actes isolées, ces violences sont un fait social lourd, qui traverse tous les milieux sociaux et socioprofessionnels, tous les territoires et les pays, et aussi tous les âges.

Vous le savez, et cela a déjà été dit aujourd’hui mais il faut le répéter, le marteler pour véritablement en prendre toute la mesure : en France, tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou de son compagnon.
En France, chaque année, on estime à environ 83 000 le nombre de femmes victimes de viol ou de tentatives de viols, dont 31% sont commis par le conjoint ou le compagnon, et 17% sont commis par des inconnus ; on estime à environ 70 000 adolescentes de 10 à 18 ans mariées de force ou menacées de l’être ; 50 000 à 55 000 fillettes ou femmes mutilées ou menacées de l’être ; dans le monde, et selon les sources car ces chiffres sont particulièrement difficiles à obtenir, ce sont entre 5 000 à 20 000 femmes qui sont tuées au nom de l’honneur, des milliers d’autres sont victimes de traite en vue de la prostitution…
Ces chiffres témoignent d’une réalité quotidienne injustifiable et insupportable au 21ème siècle.

Aussi, il faut l’affirmer avec force, les violences masculines à l’encontre des femmes ne constituent pas un problème privé. Elles représentent la forme la plus brutale de l’inégalité réelle des droits, l’affirmation intolérable d’une discrimination de genre.
Car il s’agit de violences exercées sur les femmes uniquement en raison de leur condition de femmes, en raison d’une prétendue infériorité, parce que leurs agresseurs considèrent qu’elles sont dépourvues des droits élémentaires : droits à la liberté, au respect, à la dignité, à la sécurité ou encore droit de décision. Ces hommes considèrent que leurs femmes, ou leurs compagnes, leur appartiennent !

En France, les violences à l’encontre des femmes font l’objet d’une plus grande prise en compte que par le passé sous l’impulsion des mouvements et des organisations féministes ainsi que des organisations syndicales qui luttent contre toutes formes de violence à l’encontre des femmes et pour organiser l’accueil, le soutien, la solidarité, et l’hébergement de celles qui en sont victimes.
Mais si les violences à l’encontre des femmes suscitent aujourd’hui un rejet collectif, il est indéniable que la tolérance sociale reste malheureusement encore grande.
Nous le savons, ces quarante dernières années ont été marquées par des avancées législatives importantes : depuis la loi de 1980 qui donne une première définition du viol ( par violence, contrainte ou surprise et le reconnait comme crime), jusqu’à la loi de septembre dernier de Madame la Ministre Najat Vallaud-Belkacem, ces lois ont permis une définition de plus en plus fine et à la fois de plus en plus large des violences à l’encontre des femmes et leurs incidences sur les enfants, la santé, la vie professionnelle des victimes et renforcent les mesures de prévention ainsi que la répression.

Elles ont des retombées certaines dans ce qu’on peut appeler la sphère publique et dans la sphère pénale bien qu’elles restent insuffisantes, mais elles sont tout-à-fait incomplètes dans le domaine de la prévention et du soutien à apporter aux victimes.
La loi est donc un appui indéniable, mais je souhaite qu’elle puisse aller encore plus loin. Elle est trop souvent et uniquement réparatrice alors que ce sont l’éducation, la représentation des femmes dans la société ou la formation des professionnels de ce secteur qui doivent changer. Par exemple, nos programmes éducatifs devraient s’inspirer de la loi suédoise sur l’éducation non sexiste, comme le fait l’expérimentation en cours « l’ABCD de l’égalité » dans des villes pilotes jusqu’en mars 2014, et sera évaluée entre avril et juin 2014 en vue d’une généralisation. Il s’agit surtout de former les personnels/encadrant de l’enseignement, et de la mise à disposition d’outils pour organiser des séances pédagogiques pour rompre avec les images et attitudes habituellement véhiculées, entre autres.

Le chemin qu’il reste à parcourir pour adapter les mesures de protection, les mesures de répression, les dispositions en matière de prévention dans un arsenal pénal, juridique et pour débloquer les moyens financiers nécessaires est encore long, aussi je pense qu’il est indispensable d’appréhender la question dans sa globalité, d’éviter le morcèlement de lois qui nous ont certes permis d’avancer mais qui du fait de ce morcèlement, perdent de la vigueur et ont du mal à être appliquées.
Ainsi, le parcours de justice des victimes est toujours aussi difficile et beaucoup d’auteurs de violences continuent de bénéficier d’impunité : les chiffres des auteurs pénalisés varient selon les sources, mais ils seraient 4 sur 5 à ne pas être pénalisés ; ce qui est sûr, c’est que seulement 16% des femmes victimes de violences conjugales (physique ou sexuelles, elles sont 201 000) portent plainte sur les 29% qui se sont rendu dans un commissariat ou une gendarmerie ; 10% dépose une main courante et elles sont 3% à ressortir sans n’avoir rien déclaré ! A ce sujet, le plan présenté par la Ministre vendredi dernier devrait aider à améliorer cette prise en compte des violences !
Parcours de justice difficile, mais aussi difficulté de porter plainte contre son conjoint lorsqu’on n’a pas de moyens économiques suffisants pour assumer seule une séparation, d’autant qu’elles devront souvent assurer seule la charge des enfants, le loyer…

C’est la raison pour laquelle j’ai soutenu la loi de septembre dernier, car elle abordait de façon plus globale que ne l’avaient fait les textes précédents l’égalité des droits et comportait des mesures concrètes pour améliorer la vie des femmes, en particulier l’extension de la durée de l’ordonnance de protection de 4 à 6 mois.
A ce propos, les parquets n’appliquent pas avec la même célérité cette possibilité. Les disparités entre les tribunaux sont flagrantes. Le travail entre les juges aux affaires familiales et les procureurs doit être renforcé et surtout la signification de ces ordonnances doit être plus rapide. Pourquoi ce qui est possible en quelques jours en Seine-Saint-Denis demande plusieurs semaines dans d’autres juridictions ? J’entends la question des moyens, elle est juste mais il y a aussi à plus et mieux travailler dans les tribunaux sur la transversalité de cette question.
Pour revenir au texte de la Ministre Najat Vallaud Belkcacem, il est en cours de navette parlementaire, je pense néanmoins qu’il pourrait être amélioré, en particulier sur la question des inégalités professionnelles et de la réduction de la précarité qui sont, nous le savons bien, des éléments cruciaux pour l’autonomie des femmes ; dans le cas des violences conjugales, c’est une des conditions essentielles pour dénoncer ces violences et pour s’y soustraire, même s’il est vrai que 58% des femmes concernées sont autonomes financièrement.

Les obstacles sont multiples et nous ne manquons pas de les rappeler lorsque nous avons à examiner des textes de loi portant sur les violences et les discriminations de genre, et dans le cadre de la loi de finances bien sûr ; mais il nous a paru important de déposer une proposition de loi relative à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes qui englobe l’ensemble des aspects à couvrir dans le souci d’une meilleure lisibilité des objectifs, une plus grande cohérence, et nous l’espérons d’une meilleure efficacité dans sa mise en œuvre.
Le cadre de cette proposition de loi couvre aussi bien les aspects préventifs, éducatifs, sociaux, d’assistance et de suivi des victimes que les aspects législatifs, civils et pénaux, les aspects procéduraux, et d’organisation judiciaire. Elle établit des mesures de protection intégrale afin de prévenir, sanctionner et éradiquer ces violences, mais aussi accompagner et aider à la reconstruction des victimes. Elle se veut une réponse globale.
Il ne s’agit pas d’envisager les violences à l’encontre des femmes d’une façon uniquement répressive, de faire plus de sécuritaire mais de dégager d’importants moyens humains et financiers pour lutter contre ces brutalités de la société.
Cette proposition de loi comporte 117 articles, je ne vais pas les détailler, simplement en pointer quelques-uns, qui me semble fondamentaux :
- extension de la définition des violences aux mutilations sexuelles, aux crimes d’honneur, à la lesbophobie et à la prostitution qui actuellement ne figurent pas dans le code pénal ;
- sensibilisation aux stéréotypes qui sont à l’encontre des valeurs d’égalité ;
- formation inscrite dans les programmes scolaires, au rôle des média, et à la publicité sexiste, dont on mesure l’impact à l’approche des fêtes de Noël. Il n’y a qu’à feuilleter les catalogues de jouets. A contre courant de ses concurrents et pour la 2ème année, le catalogue du magasin Super U a inversé les scénarios et ce sont les petites filles qui illustrent la page des circuits de voitures alors que des petits garçons poussent le landau et bercent un poupon ! Au grand dam de certaines associations qui manifestent assez violemment leur désapprobation devant un tel bouleversement des rôles, et vont jusqu’à demander à leurs adhérents de boycotter ce magasin !
- La détection des situations de violence et la formation des acteurs, ainsi que la détection et la prise en charge des conséquences sur les victimes, tant matériels, psychologiques ou d’écoute, sans exhaustivité…
Oserai-je ajouter qu’il serait souhaitable que parallèlement aux études sur les victimes, il y ait des études sur les auteurs et les hommes violents en général afin de les responsabiliser davantage, et d’améliorer leur prise en charge.
- La garantie du droit des victimes : droit de pouvoir porter plainte dans un commissariat ou une gendarmerie en étant entendues et protégées, et bien sûr, être crues, je vous renvoi aux chiffres de tout à l’heure, seulement 16% des 29% de femmes qui se rendent dans un lieu de justice portent plainte…. ; droit garanti aussi aux femmes étrangères sans mesure d’éloignement du territoire français, droit à l’aide juridictionnelle, droit d’asile ;
- Cohérence entre le tribunal civil et le tribunal pénal sur la question de la garde des enfants par exemple. Il ne peut être pour moi envisageable de maintenir la garde partagée quand le père a été confondu dans un cas de violences. Un seul chiffre, 84% des enfants vivants au domicile où s’exerce les violences y sont exposés ;
- Garantie de protection à d’éventuelles sanctions liées à des absences professionnelles, car les violences que subissent les femmes et leurs enfants entraînent dans de nombreux cas des répercussions sur leur emploi salarié.
- La « reconstruction » des victimes qui nécessite un dispositif de coordination qui existe parfois au niveau des conseils généraux afin de mettre en œuvre un accompagnement, un soutien médical, psychologique, un hébergement, un soutien financier, des prestations sociales, un droit d’accès prioritaire à un logement, une aide à la recherche d’emploi.

La lutte contre les violences faites aux femmes passe on le voit bien par la mise en œuvre coordonnée de politiques publiques, l’implication solidaire des collectivités territoriales et des citoyennes et des citoyens …et une ambition politique, celle de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ! On le sait bien, la responsabilité politique des violences et de l’égalité incombe à la région, ce qui crée d’ailleurs des inégalités territoriales ; aussi, mais j’y reviendrai dans un instant, pourquoi ne pas lancer l’idée d’un Observatoire départemental ?
Nous pourrions ici en Isère nous inspirer des travaux des observatoires des violences faites aux femmes existants, en particulier celui de la Seine-Saint-Denis, qui a expérimenté de nombreux dispositifs. Certains sont désormais dans la loi, d’autres pas encore.
Je pense au dispositif « Femmes en très grand danger » qui permet la mise à disposition aux femmes d’un téléphone portable d’alerte. Il a permis à ce qu’elles se sentent réellement en sécurité. En quatre ans, sur les 350 femmes qui ont eu à disposition ce téléphone, 86 l’ont utilisé. L’intervention de la police dans ces cas d’alertes extrêmes a été de moins de 12 mn en moyenne. Ce téléphone est donc d’une grande utilité pour protéger les femmes mais aussi les 210 enfants issus de ces couples.
Je pense aussi au dispositif « Mesures d’accompagnement protégé des enfants ». Il permet à des tiers d’accompagner les enfants aux visites de leurs parents sans que ces rencontres ne soient sources de conflits ou de violences réitérées entre eux.
Je pense à l’expérimentation « Un toit pour elles » dans laquelle ce sont impliqués des offices d’HLM, des communes, la préfecture afin de réserver des appartements pour les femmes qui souhaitent quitter le domicile dans lequel elles ont connu la violence ou le harcèlement du conjoint. Nous pourrions envisager de mettre en place ce système dans notre département.
J’ajouterai les consultations de psychotraumatologies qui permettent aux femmes victimes de violence et aux enfants témoins de se reconstruire. Elles évitent aussi le parcours du combattant pour ces femmes dans un dédale médico-judiciaro-administratif fort compliqué.
Mobiliser tous les acteurs de la police à la justice, de l’éducation nationale aux services sociaux, des élus aux associations afin de prévenir les mariages forcés pour que toute jeune femme qui en est ou pourrait en être victime puisse bénéficier d’une protection.
Enfin, à titre expérimental, cette année, l’Observatoire des violences faites aux femmes a décidé de s’intéresser à la prise en charge des enfants mineurs témoins d’un féminicide ou d’un homicide. Avant toute décision de placement chez un proche, ou dans une famille d’accueil, les enfants devront passer quelques jours dans un service de pédopsychiatrie afin de faire le point avec eux et leur famille et de trouver la meilleure solution dans leur intérêt.
Nous le voyons bien, même quand la loi est bonne, elle ne « fait pas tout ». La mobilisation sur le terrain de l’ensemble des actrices et des acteurs institutionnels et aussi associatifs peuvent parfois devancer la loi mais surtout lui donner de la visibilité. Cela signifie que la chaîne de celles et ceux qui sont amenés à connaître ses situations de violence à l’égard des femmes acceptent de se parler et de travailler ensemble.
N’attendons plus, créons dans notre département, un observatoire qui, malgré son nom et à l’image de celui de la Seine Saint Denis, ne fasse pas qu’observer mais propose, expérimente, évalue les politiques publiques en matière de protection des femmes et des enfants victimes de violence à l’intérieur du couple.
Je suis persuadée que chaque département devrait se doter d’un tel outil, lui-même coordonné nationalement par l’observatoire national, sous la responsabilité de la MIPROF, la « mission interministériel pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains ».
Je vous remercie.

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