Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Articles à trier

Dialogue social et continuité du service public dans les transports : exception d’irrecevabilité

Par / 17 juillet 2007

Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Lors de la discussion générale, mon ami Michel Billout vous a fait part de notre opposition au projet de loi relatif au dialogue social et à la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs ; en effet, ce texte nous semble inutile mais aussi dangereux, en dépit de vos efforts pour tenter de le légitimer en vous faisant aujourd’hui les défenseurs de la continuité du service public, alors que vous procédez depuis plusieurs années à leur démantèlement et que vous prônez la liberté contractuelle, notamment dans le droit du travail.

Les différentes raisons qui nous conduisent à considérer ce texte inutile, voire contreproductif, ont déjà été exposées. Cependant, j’y reviendrai dans mon intervention car les griefs d’inconstitutionnalité du projet de loi s’expliquent avant tout par l’inutilité des mesures au regard du but affiché : préserver la continuité du service public des transports. Bien sûr, nous sommes favorable à la continuité du service public dans les transports, mais pas uniquement en cas de grève ! C’est au quotidien qu’il faut le respecter, avec des conditions de transports de qualité, alliant régularité, confort, fiabilité et sécurité pour tous les usagers ! Or, et c’est une des raisons qui nous fait dire que ce texte est inutile, à aucun moment de ce projet il n’est question des besoins quotidiens des usagers, ni des carences, des dysfonctionnements dus aux politiques de déréglementation et de libéralisation successives ... Michel Billout en a fait une très juste démonstration !

Mais ce texte est également dangereux car ses dispositions portent une atteinte grave et disproportionnée au droit de grève, constitutionnellement reconnu et constamment réaffirmé par les jurisprudences du conseil constitutionnel , du Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation ; ce projet porte en lui les prémisses d’une dénaturation sans précédent du droit de grève et des libertés collectives constitutionnelles dans leur ensemble.

Pourtant, l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». L’inscription de ce droit dans le Préambule de notre Constitution n’est pas le fruit du hasard mais le résultat de l’Histoire française et internationale. Sa reconnaissance s’est faite au prix de terribles répressions et d’injustes assassinats de salariés. La grève, aujourd’hui encore, est un moyen indispensable à la sauvegarde des droits des salariés et à l’expression de leur volonté et il doit le rester, tant que certains chefs d’entreprises peu scrupuleux, ces fameux « patrons voyous », défrayeront la chronique en imposant de manière unilatéral des fermetures de sites, des délocalisation ou encore des réorientation de leur production... Les salarié-e-s, celles et ceux qui le peuvent encore, ne font jamais grève par plaisir ; elles et ils utilisent cet outil à leur disposition pour obtenir de vraies négociations pour un objet de conflit qui n’a pas été résolu par d’autres voies.

Aussi, si le législateur entend proposer une nouvelle réglementation, comme le rappelait très justement le rapport de la Commission Mandelkern, le point de départ de cette nouvelle réglementation « doit fondamentalement résider dans la recherche d’une meilleure continuité du service et de la satisfaction des besoins essentiels des populations, et non dans une diminution des prérogatives ou des droits des salariés » .
Or, votre projet de loi méconnaît largement ce point de départ essentiel, puisqu’il entend alourdir les modalités d’exercice du droit de grève, menacer les salariés de sanctions disciplinaires, instaurer un service minimum pour qu’aucune gêne ne soit occasionnée aux usagers du service public des transports ! Vous souhaitez rompre l’équilibre historique que garantit le droit de grève dans le droit du travail. En effet, je le disais à l’instant, la grève, outil au service des salariés pour défendre leurs droits, n’a de sens que si elle leur permet de peser dans les négociations et pour cela il est nécessaire qu’elle entrave le cours normal de la production ou du service... Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s’opposent fermement à la réglementation proposée parce qu’elle constitue le laboratoire d’une régression sociale qui sera sans nul doute bientôt étendue à l’ensemble des services publics.


Il est vrai que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 25 juillet 1979, a précisé que la reconnaissance du droit de grève par le préambule de la Constitution ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit, en ce qui concerne les services publics, les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité de ces services qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle.
Mais ce faisant, le Conseil constitutionnel a également donné des directives précises afin que le législateur procède à la conciliation nécessaire entre deux principes ou dispositions à valeur constitutionnelle.

Ainsi dans un considérant de principe de la décision des 10 et 11 octobre 1984 (181/DC Entreprises de presse), il rappelle : « Considérant que... s’agissant d’une liberté fondamentale la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle. ».
Le législateur ne saurait donc, à l’occasion de cette conciliation, désavantager l’un des principes en présence au point de le mettre en cause ; en effet, la grève n’ayant de sens que si elle permet aux salariés de peser dans les négociations, l’exercice du droit de grève dans le secteur des transports ne saurait se concevoir sans qu’aucune gêne ne soit occasionnée aux usagers.
Cette exigence de conciliation impose donc au législateur de ne faire subir au droit de grève que des restrictions étroitement nécessaires à l’objectif d’intérêt public poursuivi. Mais cela lui impose aussi de justifier l’intensité de cette atteinte. Elle n’est juridiquement acceptable que dans la mesure où la démonstration est faite de son utilité.
Or, considérant que le projet de loi apporte effectivement des limitations importantes aux conditions d’exercice du droit de grève, ces limitations ne sont pas nécessaires pour garantir la continuité du service public. En effet, les perturbations du service public ou le recul sur le territoire national des services publics des transports et donc la continuité du service public, ne peuvent s’expliquer uniquement par des faits de grève. Le projet de loi se méprend donc sur les causes des dysfonctionnements qui entravent la continuité du service public des transports. Cette méprise est grave et de plus aboutit à une réglementation inappropriée.

Ces atteintes au droit de grève sont pour nous inacceptables, alors qu’il ressort clairement de l’état des lieux dressés par le rapport de la commission Mandelkern que ni la conflictualité, en baisse dans le secteur des transports publics de voyageurs, ni les doléances des usagers, et à fortiori ni le plus grand impact sur ce service public des insuffisances de moyens et des erreurs de stratégie, ne justifiaient cette nouvelle réglementation.
En se méprenant sur les causes des atteintes à la continuité du service public, le projet de loi sera sans effet sur ces dernières.
Ensuite, cette nouvelle réglementation apparaît d’autant plus inutile que les organisations syndicales, dans leur ensemble, se sont déclarées favorables à la mise en place d’un réel dialogue social.
Le projet de loi proposé par le gouvernement, acte unilatéral, semble être à l’exact opposé de l’esprit conventionnel qui doit présider au dialogue social et se trouve singulièrement en contradiction avec la volonté affichée du Président de la République d’une concertation des organisations syndicales. Ce faisant, le projet risque au contraire de durcir le dialogue social et d’aboutir à de nouvelles grèves.

Enfin, votre projet de loi méconnaît également la compétence du législateur pour fixer les limites du droit de grève, le principe d’égalité et de libre administration des collectivités locales, mais j’y reviendrai au sujet de l’article 4.

Après cet argumentaire général, je souhaite, pour étayer mes propos, détailler nos griefs en m’appuyant sur certains articles de votre texte, les plus révélateurs à nos yeux.

L’article 2 instaure une sorte de « préavis du préavis » qui en allonge de huit jours son dépôt.
Rappelons que l’article L. 121-3 du code du travail stipule que « pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier ». Or l’obligation de négocier faite aux dirigeants de l’entreprise et aux salariés est largement méconnue par les premiers. Allonger la durée du temps de négociation apparaît donc parfaitement inutile si rien ne contraint ces mêmes chefs d’entreprises à se présenter à la table de négociation.
Cette mesure revient à soumettre la légalité du droit de grève à une condition supplémentaire sans améliorer la continuité du service public.

Ensuite, à l’article 5, la procédure de déclaration individuelle préalable de 48h à la grève et les sanctions disciplinaires des salariés grévistes qui ne l’auraient pas respectée encourent les mêmes griefs. Elles constituent une atteinte manifeste et disproportionnée au libre choix du travailleur dans l’exercice de son droit de grève.

Cette obligation porte également atteinte au principe de l’exercice collectif du droit de grève qui constitue une des garanties de ce dernier en évitant que des pressions individuelles soient exercées. Elle a, de plus, toute les chances de pervertir les relations sociales et donc d’aller à l’encontre de l’objectif affiché de prévisibilité du trafic.

Quant à l’article 6, en remettant à l’employeur le soin de déterminer en cas de consultation des grévistes les conditions de vote, il attribue à l’entreprise de transport concernée une modalité de l’exercice du droit de grève relative à sa poursuite.
A supposer que cette intervention de l’entreprise soit conforme à la répartition des compétences opérées par la Constitution, l’organisation de la consultation par l’entreprise nous semble constituer une modalité essentielle de l’exercice du droit de grève qui devrait relever de la compétence des salariés.

Enfin, j’en reviens, et je terminerai sur celui-ci, à l’article 4, qui constitue non seulement une violation du droit de grève, mais pose également la question du respect du principe d’égalité, comme je vous l’indiquais il y a un instant.

Cet article, qui vise à organiser la mise en place des dessertes qui doivent être prioritairement assurées, soulève le problème de la traduction de la multiplicité des rapports des pouvoirs locaux par la multiplicité des conditionnements du droit de grève et des inégalités dans son exercice.
Or, dans la décision « Taxation d’office » du 27 décembre 1973, le Conseil Constitutionnel a consacré le principe d’égalité devant la loi en se référant notamment à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le principe d’égalité peut également connaître des aménagements si l’intérêt général le commande.
Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé que l’invocation de l’intérêt général ne suffisait pas à justifier la différence de traitement. Il faut un lien nécessaire, un rapport logique entre la règle discriminatoire et l’intérêt général poursuivi par l’objet de la loi. Cette condition n’est pas satisfaite par l’article 4 !

De plus le projet de loi justifie l’instauration des priorités de desserte par l’atteinte disproportionnée susceptible d’être causé par le droit de grève à une série de droit et liberté.
Or ils ne constituent pas tous des principes à valeur constitutionnels et ne justifient pas que soit porté atteinte au droit de grève au simple regard du respect de la hiérarchie des normes.
Il en va ainsi du droit d’accès aux services publics qui n’a pas valeur constitutionnelle, contrairement à l’égalité de traitement des usagers ou la continuité des services.

De plus si la liberté d’aller et venir a valeur constitutionnelle, il échoit, pour que ce principe puisse être valablement opposé au droit de grève, que la grève entrave la liberté d’aller et venir. Or, la grève n’a ni les moyens ni la vocation d’entraver la liberté d’aller et venir. Elle privera l’usager d’un moyen d’aller et venir mais sans atteindre sa liberté.
De la même façon, la grève n’entrave pas la liberté du commerce et de l’industrie ou la liberté du travail des lors qu’elle ne saurait par elle-même interdire à un usager d’entreprendre ou d’aller travailler.

Notons que la liberté du travail n’a pas de valeur constitutionnelle contrairement au droit au travail garanti par le Préambule de la constitution de 1946.
En ce qui concerne les problèmes de compétences que posent le projet de loi : le conseil constitutionnel dans sa décision du 22 juillet 1980 (DC80-117 ), a rappelé qu’il appartient au législateur de déterminer les limites du droit de grève, lequel a valeur constitutionnelle, et que la loi ne saurait comporter aucune délégation au profit du gouvernement, de l’Administration ou de l’exploitant du service en vue de la réglementation du droit de grève.
L’intervention du législateur est donc indispensable pour aménager l’exercice du droit de grève. Pourtant l’article 2 semble ignorer cette jurisprudence, ainsi que l’alinéa 7 du Préambule de 1946 et l’article 34 de la Constitution.

En effet, l’article 34 de la constitution réserve à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice de leur liberté publique.
Le Gouvernement n’a donc pas compétence pour réglementer le droit de grève. A ce titre, même la jurisprudence du Conseil d’Etat Dehaene ne peut être interprétée comme autorisant une intervention générale du pouvoir réglementaire, (Article 2, I alinéa 3).

En renvoyant à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les règles d’organisation et de déroulement de la négociation préalable prévue, le projet de loi ne se borne pas à laisser au gouvernement le soin de déterminer les modalités d’application des conditions d’exercice de la négociation préalable. Par conséquent, comme il ressort de la jurisprudence du Conseil Constitutionnelle, cette « incompétence négative » est contraire à la constitution.

Enfin, l’édiction par le pouvoir réglementaire national de mesures d’organisation détaillées des services de transport pourrait aboutir à priver les collectivités locales d’une part naturelle de leur compétence.
Or, en vertu de l’article 72 de la constitution, ces dernières disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. Le IV de cet article 4, qui confie en cas de carence de l’autorité organisatrice de transport au représentant le soin d’arrêter les priorités de desserte, empiète dangereusement sur les principes constitutionnels de libre administration des collectivités locales.

Comme je viens de le démontrer, ce projet de loi relatif au dialogue social et à la continuité du service public entre en contradiction avec plusieurs dispositions et principes constitutionnels.
Ces atteintes ne sauraient se justifier par la garantie de la continuité du service public puisque l’objectif affiché dans l’intitulé tombe à la lecture du contenu du projet pour dévoiler le vrai dessin du gouvernement : l’affaiblissement des droits collectifs des salariés, en portant atteinte au droit de grève.
Il reste que ce texte est un acte de régression sociale auquel nous nous opposons fermement en tant que Parlementaire mais aussi en tant que citoyen.

C’est pourquoi nous vous demandons au regard de la gravité et de l’inconstitutionnalité manifeste de ce projet de loi de voter, par scrutin public, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Les dernieres interventions

Ma lettre d’information Des Côtes-d’Armor au Sénat

Journal d’information - Juillet 2018 - Par / 25 septembre 2018

Recueils de mes interventions Annie DAVID intervient au nom du groupe CRC pour dresser le bilan de la loi handicap du 11 février 2005

« Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap » - Par / 12 mars 2015

Articles à trier AFPA de Kervahl en Brec’h

Quand une action de formation est supprimée du programme Bretagne Formation - Par / 26 novembre 2014

Mes dossiers en cours Détail de ma réserve parlementaire 2014

Liste des associations et collectivités soutenues - Par / 30 septembre 2014

Mes vidéos L’invitée de France bleu Isère

Interview téléphonique du matin - Par / 9 septembre 2014

Recueils de mes interventions Retour sur la session d’été de l’OSCE

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe - Par / 7 juillet 2014

Administration