Proposition de loi visant à élargir la contribution de solidarité :
Les retraités ne sont pas des nantis ! -
Par Dominique Watrin / 29 octobre 2012Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui, et sur laquelle trois amendements ont été déposés par son auteur, aborde la question de la perte d’autonomie sous la pire forme qui soit, à savoir exclusivement sous l’angle de son financement.
Cela étant dit, je ne minore en rien les besoins financiers dans ce domaine, car je connais, en tant que vice-président du conseil général du Pas-de-Calais chargé des aînés, l’importance des sommes qu’engagent annuellement les conseils généraux pour financer l’allocation personnalisée d’autonomie.
Pour autant, je ne partage ni la volonté de notre collègue Gérard Roche ni ses propos lorsqu’il affirme que l’adoption de cette proposition de loi permettrait « d’apporter une solution urgente et pérenne au financement de l’APA ».
Certes, les départements rencontrent d’importantes difficultés, notamment en raison de l’augmentation progressive et continue des dépenses qu’ils supportent au titre de l’APA et des deux autres prestations sociales individuelles que sont le revenu de solidarité active et la prestation de compensation du handicap. Cependant, pour mieux comprendre les difficultés qu’ils rencontrent, il convient de remonter à leur source.
Si près de trente départements, qu’ils soient ruraux ou urbains, gérés par des majorités de sensibilités politiques différentes, connaissent une situation financière insoutenable –certains ont même été jusqu’à dire que ces départements frôlaient le dépôt de bilan -, ce sont les équilibres financiers de tous les départements qui sont en réalité ébranlés par le financement incohérent d’une partie de notre système de solidarité nationale.
Cette situation appelle donc des réformes structurelles et non des mesures ponctuelles.
En effet, les modes hétérogènes de financement sont aujourd’hui inadaptés à la nature même de ces allocations. Alors que la couverture maladie, les allocations familiales et les allocations de retraite sont financées par des ressources prélevées à l’échelon national dans le cadre de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale, une partie de plus en plus importante du financement de l’APA, du RSA et de la PCH repose sur les départements et demeure adossée à une fiscalité en complète inadéquation avec la nature et le rythme d’évolution de ces allocations de solidarité.
Ce constat, qui porte au final, il faut le dire clairement, sur le non-respect par l’État des engagements pris en matière de compensation, grève considérablement le budget des départements. Nous en sommes bien d’accord.
Cette analyse avait d’ailleurs conduit l’ensemble des groupes parlementaires de gauche du Sénat, cela a été rappelé par différents orateurs, à déposer une proposition de loi prévoyant la compensation intégrale de ces charges par l’État. Pour notre part, nous nous inscrivons dans la continuité de cette proposition de loi-là, dans son intégralité.
Face à ce que l’on pourrait qualifier de constat de carence de l’État, qui nous paraît être en contradiction avec la volonté qu’expriment nos concitoyens en faveur d’une solidarité nationale renforcée, nous ne nous retrouvons pas dans la solution préconisée ici, à savoir l’extension de la journée dite « de solidarité » aux retraités et aux professions libérales.
Cette solution, qui présente sans aucun doute l’avantage de pouvoir être facilement mise en œuvre, tend à faire croire que la seule manière de renforcer la participation de l’État dans le financement des besoins en matière d’autonomie consisterait à exiger de nos concitoyens qu’ils voient, une nouvelle fois, leur pouvoir d’achat amputé.
Le groupe CRC n’adhère pas à cette proposition, et il me semble important de faire quelques observations.
S’il est vrai que les départements sont identifiés comme des structures de proximité, la bonne échelle pour la mise en œuvre de l’APA, nous sommes convaincus que le financement de la solidarité au titre des allocations individuelles doit demeurer national. L’État doit en effet garantir à nos concitoyens, au nom de l’égalité républicaine et des principes constitutionnels, qu’ils pourront, où qu’ils se trouvent, bénéficier d’une protection sociale identique. D’ailleurs, les départements, dont certaines populations sont plus que d’autres frappées par la crise, ne doivent pas assumer encore plus les conséquences de l’aggravation de la situation économique et sociale qui touche certains territoires plus que d’autres.
Par ailleurs, nous contestons le principe selon lequel la participation financière de l’État devrait revêtir la forme d’une extension de la journée de solidarité.
Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de réduire le champ de la protection sociale assumée par la sécurité sociale et donc financée par les cotisations, notamment en multipliant les fonds. Ceux-ci relèvent essentiellement d’un financement assis non plus sur les cotisations, c’est-à-dire sur l’ensemble des richesses créées dans les entreprises, mais sur l’impôt, c’est-à-dire, dans les faits, sur les ménages, et sur eux seuls. Cette proposition de loi en est un parfait exemple.
Comme nos autres collègues de gauche, nous nous étions formellement opposés à l’instauration de la journée de solidarité, qui fait reposer la solidarité nationale essentiellement sur les salariés.
Nous considérions que cette mesure était injuste et comptable, et nous continuons à le penser. Ni l’extension de ce dispositif aux professions libérales et aux retraités, lesquels ne sont pas des nantis, puisque nombre d’entre eux perçoivent moins de 1 000 euros par mois – il faut tout de même que quelqu’un le dise ici –, ni les amendements adoptés en commission ne le rendent plus juste.
Le mécanisme proposé ici, volontairement simple, est selon nous dangereux, car il permet, comme cela est d’ailleurs le cas dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, d’éluder trois questions fondamentales qui nous semblent pourtant devoir être soulevées, et dans cet ordre : quel champ pour la solidarité nationale ? Quelle organisation ? Quels financements ?
N’actionner qu’un seul de ces leviers, qui plus est celui du financement, c’est prendre le risque de n’apporter que des réponses partielles et injustes, déjà appliquées dans le passé.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.
Intervention sur article 1er :
L’article 1er de cette proposition de loi, y compris si l’amendement qu’a déposé notre collègue Roche est adopté, repose sur un postulat que nous contestons. Il n’y aurait plus ou, plutôt, devrais-je dire, il ne devrait plus y avoir de différences entre un système reposant sur la solidarité nationale et un système assurantiel. J’en veux pour preuve le rapport de notre collègue, qui, pour justifier que l’on taxe les retraités, nous explique que l’effort de 36 euros que ce texte prévoit de leur demander n’est qu’une faible partie de ce qu’ils recevront si toutefois ils devaient être bénéficiaires, demain, de l’APA.
Cette logique individualiste, qui consiste à comparer la hauteur de la contribution au montant des sommes perçues, n’est pas conforme à l’esprit des ordonnances de 1945 qui ont, sous l’impulsion d’Ambroise Croizat, créé la sécurité sociale. Le principe était alors que chacun cotisait en fonction de ses moyens et bénéficiait de la solidarité nationale en fonction de ses besoins. Avec l’argumentation déployée par notre collègue, nous en sommes loin.
Cette confusion vient, sans doute, de la nature même de l’allocation personnalisée d’autonomie. Sa création a certainement permis aux personnes qui en bénéficient de connaître une amélioration notable de leur situation. Pour autant, il ne s’agit pas, contrairement à ce que nous souhaiterions, d’une véritable prestation sociale destinée à prendre en charge l’ensemble des besoins liés à la perte d’autonomie. C’est donc une avancée, mais elle est limitée.
La nature hybride de cette allocation soulève d’importantes difficultés et pose question. Disant cela, je pense au rapport de notre collègue Ronan Kerdraon, qui s’interrogeait sur la pertinence du financement par la CNSA, des soins dispensés au sein des établissements médicosociaux.
D’une certaine manière, la CNSA, bien qu’elle réponde à des besoins objectifs, qui auraient très bien pu être assumés par la sécurité sociale, participe à sa fragilisation. C’est la raison pour laquelle nous plaidons, pour notre part, en faveur d’une fusion de la CNSA et de la branche maladie qui aurait vocation, comme lors de sa création, à couvrir les besoins en termes de santé et d’accompagnement social, de la naissance de l’individu jusqu’à sa mort. L’objectif d’une réforme destinée à prendre en charge les besoins liés à la perte d’autonomie doit être la reconnaissance, cela a été souligné par d’autres, d’un droit universel assumé, selon nous, par une sécurité sociale financièrement renforcée.
Sa gestion doit être démocratisée par l’organisation d’élections dans chacune des branches, ainsi que par la représentation des associations d’usagers. L’efficacité du dispositif doit être consolidée par la coordination du sanitaire et du médicosocial à l’échelle du département. Cette donnée me paraît également importante.
Il faudra naturellement, et nous le rappellerons à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, que nous apportions à la sécurité sociale les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle étape solidaire. Ce financement ne peut pas reposer, comme le proposent certains, sur l’impôt, si faible soit-il. C’est là où nous divergeons. Ce financement doit être sociabilisé et reposer sur les cotisations sociales.
Voyez-vous, chers collègues, avant d’en appeler à la solidarité de celles et ceux qui travaillent ou qui sont victimes de la précarité, nous sommes persuadés que d’autres solutions sont possibles.
Aujourd’hui, des sommes colossales, toutes destinées à la spéculation et aux marchés financiers, échappent encore à la solidarité nationale. Je reprendrai, ici, la démonstration que j’ai faite en commission. Plutôt que d’adopter une mesure de taxation des retraités, pourquoi ne pas soumettre à contribution les actifs financiers des entreprises ? Ces derniers, qui représentent tout de même 5 000 milliards d’euros, taxés à 0,15 %, engendreraient 7,5 milliards d’euros, soit un peu plus que la part des trois allocations de solidarité à la charge des départements.
Convenez, mes chers collègues, que notre proposition est plus juste, plus solidaire, plus conforme au pacte social et permet, qui plus est, d’engendrer plus de ressources que la disposition qui nous est proposée ici.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe CRC votera contre cet article et demande qu’il soit mis aux voix par scrutin public.