Situation des travailleurs saisonniers
Par Michel Le Scouarnec / 28 janvier 2015Avec raison, notre Haute-Assemblée se penche sur la situation des travailleurs saisonniers. Ces salariés de l’ombre représentent un peu plus de 2 millions de nos concitoyens tous secteurs confondus.
L’apport économique du travail saisonnier est souvent ignoré ou en tout cas sous-estimé : dans le pays d’Auray en Morbihan, il représente par exemple près de 20% de l’emploi, voire même 40% des nouvelles offres de Pôle Emploi selon la saison, pour un bassin de population de 90 000 habitants. Il en est de même dans de très nombreux territoires, de la montagne au littoral en passant par la campagne, mais aussi dans nos villes. Il ne faut surtout pas oublier non plus la grande région parisienne, première pourvoyeuse d’emplois saisonniers.
Le visage du travail saisonnier est méconnu à double titre : Occulté d’une part, parce que la définition même de ce type de contrat est floue selon les instances compétentes. Mystérieux d’autre part car l’exercice même des missions des travailleurs saisonniers peut dans certains cas s’exercer hors du droit.
Le résultat de cette somme d’imprécisions est une grande précarité pour ces travailleurs dont la physionomie a bien changé depuis les années 70. Ce type de contrat ne concerne plus uniquement des jeunes mais aussi des personnes plus âgées et avancées dans leur parcours professionnel. Il n’y a pas d’âge pour en faire partie.
Les travailleurs saisonniers sont des salariés par définition précaires puisque leurs contrats sont des CDD dits « par nature », c’est-à-dire sans prime de précarité. Jusqu’en 2011 et une procédure judiciaire, leurs allocations chômage étaient minorées de 25% par rapport aux autres allocataires. Une précarité à grande échelle. Si rien n’est fait, le contrat saisonnier sera le siphon qui entraînera tous les autres contrats vers le bas.
Cette dégradation est à associer plus largement à la situation des salariés saisonniers en matière d’hygiène et de sécurité. La fréquence et la gravité des accidents du travail, des conditions de vies déplorables faute de pouvoir se loger décemment, l’accès aux soins de santé compliqué pendant les saisons…autant de phénomènes sous-estimés car la forte mobilité de l’emploi, la grande diversité des lieux de travail, rendent très difficile le suivi des saisonniers et la traçabilité de leur exposition aux risques professionnels.
Il est nécessaire d’actionner plusieurs leviers pour faire reculer la précarisation sociale et professionnelle liée à leurs conditions de travail et aux conditions spécifiques de l’exercice de leur métier.
Depuis la loi montagne de 1985, les initiatives gouvernementales se sont succédées produisant peu d’avancées. Rapports, recommandations braquant les projecteurs sur le sujet ne manquent pas : les 31 propositions d’Anicet Le Pors, le rapport Hall-French Simon, la mission de François Vannson en 2011, celui de François Nogué en 2013. Que de consultations, de commissions, de rapports, de préconisations pour n’aboutir à aucune mesure efficace correspondant à l’objectif affiché.
Pourtant, le cœur des dispositions qui contribueraient à s’attaquer à cette précarité massive est connu : il serait efficace par exemple, d’instituer une clause de reconduction des contrats pour les saisonniers fidélisés. Cela sécuriserait leur parcours et favoriserait leur liberté d’action, limiterait la course à l’emploi, aiderait à construire un parcours de formation et bien sûr leur permettrait d’être moins angoissés et d’accéder à une vie plus sereine, plus normale, avec d’autres perspectives que la peur du lendemain.
Concernant le logement des saisonniers, premier critère de précarisation, sa garantie doit reposer sur la triple responsabilité du législateur, des collectivités et des employeurs. Confronté à de graves difficultés, les élus du pays d’Auray ont su créer un foyer pour les jeunes travailleurs et une auberge de jeunesse avec des logements dédiés aux travailleurs saisonniers.
Il en va de même pour les transports. Faire se déplacer des centaines de milliers de salariés des quatre coins de France en laissant le coût des trajets à leur charge est scandaleux. Bien souvent, l’éloignement géographique cause de vrais soucis familiaux. Il ne contribue pas à une vie familiale harmonieuse. Les enfants en souffrent.
Dès sa nomination, le ministre des Finances à mis en place un groupe de parlementaires ayant pour mission « d’apporter des solutions durables à une situation qui n’a que trop duré ». Après la juste indignation, nous attendons la suite…
Face au chômage de masse, l’emploi saisonnier peut constituer une chance et une richesse pour nos territoires. Mais celui-ci ne doit pas se faire au minima des droits sociaux et professionnels. De plus, la concurrence des travailleurs détachés est féroce en la matière. Ces sous-contrats de travail sont dangereux pour les travailleurs étrangers pauvres qui se retrouvent sans droit ni protection mais également pour nos salariés qui subissent de plein fouet cette concurrence déloyale du dumping social. Comme le préconise le CESE (Conseil Economique et Social Européen) il faut que l’Europe fasse des progrès en matière d’harmonisation sociale.
L’isolement des saisonniers constitue leur point faible. C’est un des nœuds qu’il convient de desserrer pour faire progresser les droits et la protection de ces salariés qui ont besoin de vivre 12 mois sur 12, ainsi que leur famille.
Face à ce constat, notre responsabilité est de faire de la saisonnalité, un levier et non plus une problématique. La saisonnalité ne doit plus être considérée comme un frein mais comme une ressource. Dans l’industrie du tourisme, 900 000 travailleurs sont employés sous contrat saisonnier. N’oublions pas non plus que la France est le premier pays visité au monde et que la manne s’élève à 145 milliards €. Nous devons donc être aussi les premiers et les meilleurs pour résoudre cette question sociale.
Dans nos territoires, des actions innovantes sont menées. Repartons en Bretagne, dans le pays d’Auray où la question de l’emploi saisonnier est prépondérante. La maison de l’emploi a su fédérer autour de ce sujet tous les acteurs. Son espace saisonnier est devenu un lieu de ressources identifié par tous et pour tous les publics. Elle propose une sécurisation des parcours professionnels et un accompagnement des salariés comme des entreprises en facilitant les partenariats et les actions de sensibilisation. Elle s’occupe également du logement des travailleurs par la mise en place d’un réseau spécifique à cette question.
Les travailleurs saisonniers ont vu leurs métiers se transformer nécessitant notamment, des formations adaptées aux exigences de ces évolutions. Une initiative novatrice est portée en Bretagne sur l’hôtellerie de plein air avec la mise en place d’une formation originale à destination des professionnels, alternant des cours pratiques et théoriques sur 3 ans, avec en finalité, l’obtention d’un diplôme mais surtout d’un contrat à durée indéterminée. Ce dispositif pérennise la main d’œuvre en la qualifiant tout en permettant à nos territoires, à nos entreprises et à nos salariés d’envisager un développement économique durable. Une autre avancée s’est concrétisée avec la montagne grâce aux missions locales et aux maisons de l’emploi qui ont su construire des ponts.
Pour illustrer mon propos, les acteurs du Pays d’Auray, Afpa, Réseau d’Employeurs, Mission Locale, Pôle Emploi et le Conseil Régional ont mis en œuvre une formation de 2 mois et demi qui invite des stagiaires issus de la restauration à sécuriser leurs projets professionnels entre la mer en été et la montagne en hiver. Puisque la clef de cette sécurisation est l’alternance, ces travailleurs saisonniers ont du travail 9 mois sur 12 et reviennent le plus souvent chez leur employeur d’origine. Ainsi de 2008 à 2011, on dénombre dans le secteur d’Auray, plus de 35 employeurs partenaires, 247 placements réalisés, 517 saisonniers reçus et 615 mises en relation avec l’employeur. Cette expérience mériterait d’être poursuivie et élargie au niveau national. D’autres territoires ont pu mettre en œuvre des expériences originales qui mériteraient elles aussi d’être connues et reconnues. Leur recensement pourrait permettre d’élaborer un projet de contrat novateur et adapté pour l’ensemble des régions de France.
Vous le comprenez, ces exemples de l’Ouest démontrent que la pluralité et la saisonnalité ont un impact sur les trajectoires professionnelles. L’emploi saisonnier est aussi une composante des parcours professionnels, ce n’est pas une anomalie. Il est une composante incontournable du marché de l’emploi et représente des enjeux économiques pour nos territoires. Leur rôle est fondamental dans de nombreux secteurs d’activités.
Les propositions d’Anicet Le Pors évoquées précédemment sont encore et toujours d’actualité, bien qu’elles aient 15 ans. Les travailleurs saisonniers attendent des gestes forts de la part du Gouvernement. Ils n’ont que trop attendu, mais peut-être peuvent-ils espérer quelques mesures nouvelles qui améliorent leurs conditions de travail et sécurisent leurs contrats ?