Le 1er avril dernier, lors d’une question orale avec débat dont vous êtes à l’origine pour le groupe CRC-SPG, vous avez interpellé le gouvernement à propos de l’avenir de l’industrie du raffinage en France. Êtes-vous rassuré par la réponse que vous a faite Christian Estrosi, le ministre chargé de l’industrie ?
Jean-claude Danglot. Absolument pas. Il y a même une forme de malhonnêteté politique, je l’ai dit en séance publique, à accepter la fermeture du site Total de Dunkerque comme le fait le gouvernement. Selon moi, les arguments relatifs aux marges et à l’existence de surcapacités de production avancés par la droite au cours de ce débat sont faux. Les salariés du secteur du raffinage, ceux de Dunkerque en particulier, ont raison de ne pas faire confiance aux propositions du groupe Total. Les propos de Christian Estrosi seront loin de suffire à les rassurer, parce le ministre reste prisonnier des dogmes du libéralisme. En fait, rien ne justifie la fermeture du site de Dunkerque. Total, sixième groupe mondial en termes de chiffre d’affaires, a réalisé des profits de 13,9 milliards d’euros en 2008 et de 8 milliards d’euros en 2009. Le problème est simple : le pétrolier ne veut pas mettre cet argent au service des besoins de l’entreprise, des salariés et du pays. Sa stratégie est claire : avec ses projets de construction de dépôts ou de transformation de sites de production en dépôts, le groupe entend délocaliser ses activités industrielles situées en France et en Europe vers des pays dans lesquels les exigences sociales, salariales, environnementales et les normes de sécurité sont moindres. Nous connaissons trop bien les conséquences des fermetures d’entreprises et la valeur réelle des belles paroles qui les accompagnent. On remet d’abord un chèque au salarié pour qu’il accepte son licenciement – pécule vite épuisé dans une famille modeste ; ensuite viennent des promesses de maintien d’activité, plus ou moins tenues, les nouveaux emplois ne valant en tout état de cause jamais ceux qui ont été perdus, en termes de stabilité, de salaires et d’acquis ; enfin, des cellules de reclassement sont mises en place, mais, dans des secteurs où le taux de chômage est des plus élevés, de nombreux salariés licenciés restent sur le bord du chemin. Voilà le scénario envisagé par Total si on laisse fermer le site de Dunkerque. Quant aux nombreux sous-traitants, dont le cas n’est guère évoqué, on les laissera tomber !
Qu’est-ce qui vous pousse à dire que Total n’est pas une entreprise comme une autre ?
Jean-claude Danglot. Total n’est pas un groupe industriel quelconque, car il maîtrise ce qui reste la ressource énergétique essentielle, même si des substituts se mettent progressivement en place. Nous savons très bien que des évolutions sont inéluctables et qu’il existe d’autres options que le « tout pétrole ». Mais, pour l’heure, nous n’en sommes pas là. L’outil industriel n’est pas obsolète et les marchés des essences, du fioul et du gasoil n’ont pas disparu. En 2009, les raffineurs ont construit de nouveaux sites dans les régions pétrolières et les pays émergents, au Moyen-Orient et en Asie. Le secteur industriel du raffinage constitue en outre un levier indispensable pour l’économie française. Il fait vivre des territoires entiers, en étant le coeur de bassins d’emploi. Les industries de chimie de base, de parachimie, la fabrication des savons, de produits d’entretien, la pharmacie, le caoutchouc, les matières plastiques sont directement liés à l’activité de raffinage. La fermeture de la raffinerie des Flandres, outre les conséquences dramatiques pour les familles des travailleurs concernés - 380 salariés et 450 sous-traitants directs -, aurait des répercussions très négatives sur le tissu économique, social, local et régional.
Pourquoi proposez-vous la nationalisation de l’entreprise ?
Jean-claude Danglot. S’il faut redynamiser l’industrie en France, il faut surtout reprendre en main les industries stratégiques lorsque l’intérêt national est menacé par de grands groupes privés qui ne pensent qu’à la courbe de leurs profits. La seule réponse pour enrayer le désengagement progressif et calculé de Total du territoire français passe par la maîtrise publique, et donc par une rupture idéologique. Dans ce cas précis, l’État doit entrer au capital de Total et se donner le pouvoir d’intervenir dans les choix stratégiques, auxquels les salariés et leurs représentants doivent être pleinement associés. Il n’est plus possible de laisser les requins de la finance décider de la vie ou de la mort de territoires entiers. La réalité, celle que vivent les Français, c’est la casse de leur outil de travail. Combien de travailleurs se trouvent un beau matin à la grille de leur usine ? Combien ont vu les locaux déménagés et leur outil de travail disparaître en douce ? Ces pratiques sont intolérables et les Français ne les tolèrent plus. Mon groupe, comme l’ont également expliqué Michel Billout et Thierry Foucaud au cours de ce débat, soutient totalement les salariés qui réclament le redémarrage des installations et la reprise de la production. A Dunkerque, ils mènent une lutte exemplaire. Avec eux, nous refusons cette dérive qui consiste à capter les profits au détriment de l’investissement et de l’emploi.