Adopté par l’Assemblée nationale le premier décembre 2009, le projet de loi relatif au Grand Paris a été examiné par le Sénat du 6 au 9 avril. Entre-temps, le dispositif défendu par Christian Blanc a subi un sérieux revers électoral, les électeurs franciliens désavouant par leur vote un projet que l’UMP avait mis au coeur de son programme. Les griefs à l’égard de ce Grand Paris sont en effet multiples, alors que ce dernier apparait comme une reprise en main autoritaire de l’état, au mépris des collectivités, de leurs habitants et de leurs élus. Qui plus est, le projet du gouvernement ne répond pas aux besoins des onze millions de Franciliens, car il ne permet pas un développement équilibré, durable et solidaire de la région Ile-de-France. Il ignore aussi les priorités que sont le logement, les transports de proximité, et les équipemements collectifs de service public. .
Un métro élitiste
Un métro automatique dont le tracé dessine deux boucles autour de Paris et sa banlieue : voilà le principal chantier du Grand Paris. Séduisant sur le papier, ce futur « grand huit » a en fait de quoi donner le vertige, voire la nausée. Son itinéraire, décidé dans le secret des cabinets ministériels, favorise avant tout le ralliement des pôles économiques et financiers. Sa construction, si le projet sort un jour de terre, se fera au prix d’une dérogation systématique aux règles d’urbanisme de droit commun, écartant encore une fois les collectivités, leurs habitants et leurs élus. Bref, le gouvernement a concocté un métro pour les hommes d’affaires et non pour les Franciliens. Ainsi qu’un immense terrain de jeu pour les bétonneurs. « Nous estimons que ce texte remet en cause l’égalité de tous devant la loi, l’égalité de tous devant les services publics, analyse Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC-SPG. Alors que l’article premier se donne comme objectif principal la lutte contre les inégalités sociales, territoriales et fiscales, c’est bien l’inverse qui va se construire. Ce projet, par sa vision de l’aménagement comme devant relier des pôles de compétitivité les uns aux autres, induit nécessairement l’abandon de toute une partie du territoire, celui sur lequel aucun potentiel économique n’aura été détecté. Ce n’est donc pas le nécessaire réinvestissement de l’état que permet ce texte, mais son désengagement de toute exigence de cohésion sociale et territoriale, de toute exigence de péréquation sur le territoire francilien. D’autre part, cette double boucle, dont on voit bien que le financement s’opérera pour majeure partie par la valorisation des terrains, inventera un nouveau périphérique rejetant les couches populaires encore plus loin du centre de la métropole. Ségrégation sociale et spéculation foncière, sont les bases de ce projet de loi, dans le droit fil des politiques libérales que la droite met en oeuvre depuis de nombreuses années et qui ont conduit à la crise que nous traversons. Par ce projet de loi, la majorité organise les bases d’une nouvelle crise en donnant la part belle à la finance et aux spéculateurs, tout cela bien évidemment au nom de l’intérêt général. Nous ne pouvons admettre une telle remise en cause de notre pacte républicain. »
La recherche soumise
La création de l’établissement public Paris-Saclay constitue l’autre morceau de choix du projet gouvernemental. « On s’interroge sur les raisons qui incitent le gouvernement à définir par la loi des dispositions relatives à la création d’un ensemble scientifique et technologique qui existe déjà, remarque Bernard Vera. La réponse à cette question se trouve dans une des déclarations de Christian Blanc : « L’excellence des équipes devra être utilisée pour nourrir des thématiques plus orientées vers le marché ». C’est donc clair : le gouvernement veut s’assurer la maîtrise et l’orientation de ce pôle scientifique afin de le réorienter vers les secteurs susceptibles de rentabilité à court terme tout en connectant l’élite de la recherche avec les grands groupes privés. Avec ses atouts d’exception, le plateau de Saclay est le cadre idéal pour réaliser le prototype d’une conception libérale des relations entre la science, l’enseignement supérieur et les intérêts privés. Cette réalisation aurait valeur de référence pour l’ensemble du territoire national et valeur démonstrative pour les pays étrangers. »
Les collectivités dépossédées
Avec la création d’une Société du grand Paris toute puissante, le gouvernement entend reprendre en main autoritairement le développement de la région capitale. Calquée sur le modèle d’une société anonyme et pilotée par un directoire de trois personnes nommées par décret, cette structure sera le bras armé de l’état dont les représentants composeront majoritairement le conseil de surveillance. La SGP pourra également constituer des filiales et même déléguer leurs compétences à des personnes publiques ou privées. Tout cela sans que les élus locaux puissent s’y opposer. Mais évidemment, ils seront consultés au préalable... « Les décisions prises par cette instance, dénonce Eliane Assassi, s’imposeront aux collectivités et notamment à la Région. Ce déni de démocratie s’inscrit pleinement dans l’objectif de la réforme des collectivités locales : dévitaliser tout espace démocratique de proximité. Pourtant, comment nous faire croire que le dessaisissement des collectivités permettra un quelconque progrès alors même que l’État n’assume plus ses responsabilités en termes de services publics depuis de si nombreuses années dans les domaines du logement, des transports et de la politique de la ville ? » A l’évidence, plaide l’élue de Seine-Saint-Denis, « penser de manière durable la gouvernance de la métropole ne peut se faire de manière autoritaire et centralisée. La seule voie est celle de l’imbrication des structures, de la conjugaison des volontés, du respect des différents acteurs, de la participation à chaque étape des Franciliens eux-mêmes, au plus près des attentes, mais aussi des réalités ».
Le désaveu des urnes
Avant même d’être adopté ou non par la majorité parlementaire UMP, le Grand Paris est passé au révélateur des urnes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas fait recette. Imposé de force par l’exécutif, rejeté par une majorité d’élus, sa légitimité est ressortie étrillée du dernier scrutin régional. « L’expression de notre peuple a été claire, rappelle Jean-François Voguet, sénateur du Val-de-Marne et maire de Fontenay-Sous-Bois. Elle doit être respectée. Ce projet de loi sur le Grand Paris ayant été au cœur du débat régional, ce serait faire offense à notre peuple que d’en poursuivre l’examen. En soutenant majoritairement des représentants régionaux s’étant exprimés clairement et publiquement contre ce projet de loi, les citoyens d’Ile-de-France ont rejeté dans l’opposition la liste concurrente qui soutenait ce projet. Le peuple a exercé sa souveraineté, il a tranché en élisant ces représentants. Il doit donc être entendu. C’est votre gouvernement qui a décidé de soumettre ce projet de loi au parlement, contre l’avis de l’immense majorité des élus municipaux, départementaux et régionaux. » Conclusion de Jean-François Voguet : en maintenant son projet de loi, le gouvernement se rend coupable d’un « coup de force démocratique et institutionnel ».