E n principe, ce devait être la traduction législative de l’accord dit de « Bercy » . Mais à l’arrivée, le projet de loi relatif au dialogue social dans la fonction publique, aprouvé par la majorité sénatoriale au début du mois de juin, n’a plus grand-chose à voir avec l’accord signé le 2 juin 2008 par six des huit organisations syndicales représentatives de la fonction publique. Le texte original prévoyait un certain nombre d’avancées sociales et démocratiques en faveur des fonctionnaires, avec à la clef une meilleure représentativité des syndicats. Le gouvernement en a certes conservé quelques-unes : les élections aux comités techniques associeront l’ensemble des personnels titulaires et contractuels. Leurs résultats serviront de base au calcul de la représentativité syndicale, pour que la voix de chacun soit prise en compte à tous les niveaux ; la création d’une instance de dialogue social commune aux trois fonctions publiques, longtemps attendue, est aussi prévue ; et la reconnaissance des compétences développées dans l’exercice d’un mandat syndical au titre des acquis de l’expérience professionnelle est enfin à l’ordre du jour. Pour le reste, le gouvernement n’en a fait qu’à sa tête, puisque son texte prévoit la suppression du paritarisme au sein des comités techniques paritaires, des conseils supérieurs des trois fonctions publiques, ainsi que dans l’instance commune à ces trois conseils supérieurs. « La disparition du paritarisme conduira à un affaiblissement de la qualité des débats entre syndicats et administration, voire à leur disparition, a regretté à ce propos Josiane Mathon-Poinat. Il nous paraît pourtant pour le moins paradoxal que, dans un texte relatif au dialogue social, le gouvernement introduise des dispositions qui n’ont fait l’objet d’aucun accord et qu’il supprime un outil de régulation démocratique. » D’autres articles, ajoutés par les députés UMP avec l’accord du gouvernement, instaurent des primes de résultat et des dispositifs d’intéressement collectif, ainsi que l’équivalent de parachutes dorés pour les cadres. Conclusion : l’exposé des motifs du projet de loi a beau faire référence à un
« tournant historique », à un « consensus sans précédent », à une « modernisation très profonde » ou encore à une « nouvelle ère de démocratie sociale »,
« jamais un gouvernement n’aura fait autant de tort au service public et porté à ce point atteinte aux principes d’égalité et de modernité qui le sous-tendent, analyse la sénatrice de la Loire. Tous les corps de la fonction publique subissent une saignée sans précédent du fait de la révision générale des politiques publiques qui conduit à sabrer des pans entiers des services publics de la vie quotidienne. Le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux a été justifié par un discours démagogique sur la nécessité de réduire les dépenses publiques. Or, les économies ainsi escomptées ont aussitôt été perdues avec la réduction du taux de TVA applicable à la restauration. Cette politique a détruit des dizaines de milliers d’emplois utiles à des centaines de milliers de citoyens ! » Autre raison de l’opposition du groupe CRC-SPG : l’article 30 du texte, qui suscite aussi la colère des infirmières et de leurs organisations syndicales. Et pour cause : cet article prive tout simplement les blouses blanches de leur droit à la retraite anticipée. « Il s’agit, a dénoncé François Autain, sénateur de Loire-Atlantique, sous prétexte de satisfaire une ancienne et légitime revendication des personnels infirmiers et paramédicaux des établissements publics de santé – le passage de la catégorie B à la catégorie A –, de supprimer le droit à bénéficier d’une retraite anticipée à 55 ans. Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, cette disposition ne représente pas une simple attaque scandaleuse contre un droit acquis. Elle est une traduction concrète de ce que nous dénonçons depuis le début du débat sur les retraites : la volonté du gouvernement de ne pas traiter, voire de nier, la question de la pénibilité. En effet, le gouvernement propose ni plus ni moins que de demander aux infirmiers de choisir entre, d’un côté, le passage en catégorie A et les hausses de rémunération, d’ailleurs très faibles, qui l’accompagnent, et, de l’autre, le maintien du droit à la retraite à 55 ans. Or, ce droit à la retraite anticipée a été accordé à ces professionnels en raison de la pénibilité de leurs conditions de travail. Leur demander aujourd’hui d’y renoncer, même volontairement, c’est considérer, au mieux, que cette pénibilité peut être financièrement compensée, au pire, qu’elle n’existe pas. Pourtant, les faits sont tenaces. Si l’on s’en tient au recueil statistique réalisé en 2008 par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, sur 1 070 infirmiers pensionnés décédés, 192 étaient titulaires d’une pension d’invalidité, soit un sur cinq. De la même manière, comment ne pas tenir compte du nombre important d’infirmiers qui renoncent à exercer à l’hôpital public au bout de cinq ans d’activité à peine ? Ils représentent 8 % de l’effectif de la profession et citent majoritairement deux causes pour expliquer leur départ de la fonction publique hospitalière : le manque de travail en équipe et, surtout, l’épuisement lié aux conditions de travail. »
Dialogue de dupes avec les fonctionnaires
S’il contient quelques avancées, le projet de loi relatif au dialogue social dans la fonction publique remet en cause le paritarisme et introduit des modes de management empruntés au secteur privé. Ce que ne prévoyait pas du tout l’accord signé par les organisations syndicales en 2008, dont la loi devait pourtant être l’émanation.