Au lendemain des élections régionales de mars 2010 et de la lourde défaite de son camp, Nicolas Sarkozy avait annoncé de nouvelles mesures en faveur des agriculteurs. Confronté à une baisse drastique de ses ressources, le monde paysan traverse, chacun le sait, une crise profonde. Crise des revenus à laquelle, fait nouveau, s’est ajoutée une crise de défiance envers le pouvoir et que le chef de l’Etat n’a pas manqué de constater avec une certaine inquiétude : traditionnellement à droite, l’électorat paysan a boudé les urnes. Moins de trois mois plus tard, la traduction législative de ses promesses s’est incarnée dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que le Sénat a adoptée en première lecture le samedi 29 mai par 185 voix contre 152. Présenté comme un texte clef du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il aura occupé les sénateurs pendant une dizaine de jours. Pour un résultat finalement assez minuscule : la mesure phare de la loi se limite à un développement de la contractualisation des relations entre agriculteurs et industriels qui devront signer des contrats écrits mentionnant prix et volumes de livraisons. Pour le reste, le projet encourage les producteurs à se regrouper ; prône une alimentation de qualité ; et prévoit, dans son volet pêche, de faire travailler ensemble pêcheurs, consommateurs et scientifiques. Toutes choses qui, sans doute, vont mieux en les disant...Tout cela, a affirmé sans rire Bruno Le Maire, le ministre de l’Agriculture « doit garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur travail ». Ce n’est évidemment pas le sentiment des élus du groupe CRC-SPG, lesquels se sont prononcés contre le projet gouvernemental. « La contractualisation encadrée et renforcée nous est présentée comme la solution idéale, a répondu Gérard Le Cam. La LME – loi de modernisation de l’économie – restant effective, j’en doute, d’autant qu’une telle contractualisation existe déjà dans le code rural et de la pêche maritime et n’a pas été utilisée. La seule bonne loi de nature à favoriser des revenus agricoles rémunérateurs est une loi qui fera hurler les tenants de la grande distribution. Pour l’instant, je n’entends ni ne vois rien de nouveau : les centrales d’achat continuent d’imposer leur loi d’airain, leurs propres règles, et élargissent leur dictature, y compris sur les produits biologiques, pour modéliser ce type d’agriculture, comme elles l’ont fait pour l’agriculture conventionnelle. L’accord sur les fruits et légumes intervenu hier avec la grande distribution ne garantit en rien des prix rémunérateurs, dans la mesure où il se réfère aux années passées, au cours desquelles les prix étaient particulièrement bas. Il en faudra bien plus pour désamorcer les crises à répétition. » Surtout, le gouvernement refuse de s’attaquer aux logiques qui conduisent à appauvrir le monde paysan. « Ce texte comporte certes des dispositions de bon sens, a poursuivi le sénateur des Côtes-d’Armor, mais il ne remet pas en cause les logiques de marché, de concentration et de productivisme, qui ont fait tant de mal à la profession depuis des décennies. Aucune disposition n’interdit la spéculation sur les denrées agricoles. Rien ne limite les importations abusives extranationales ou extracommunautaires pour casser les prix à la production. » Dans ces conditions, les difficultés structurelles du monde agricole vont perdurer. La responsabilité du gouvernement dans la crise est manifeste, a expliqué pour sa part Evelyne Didier, sénatrice de Meurthe-et-Moselle : « L’agriculture souffre d’une sous-rémunération du travail paysan, car les prix ne couvrent pas les coûts de production. Les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs le savent, c’est tout un système qu’il est nécessaire de repenser. Fondamentalement, il est plus qu’urgent de soustraire le secteur agricole aux règles de la concurrence libre et non faussée. Lors des débats au sein de la commission de l’économie, la majorité des sénateurs qui se sont exprimés était d’accord pour défendre aux niveaux européen et international l’utilité des outils de régulation et la nécessité de garantir un revenu agricole. Pourtant, sous la présidence française de l’Union européenne, le 20 novembre 2008, un accord politique sur le bilan de santé de la politique agricole commune a été conclu par les ministres européens de l’agriculture. Or cet accord va dans un tout autre sens. La réforme de la PAC soutenue par les députés européens de droite et par les gouvernements s’inscrit dans une logique de dérégulation de la production et des marchés. L’Union européenne s’est engagée, rappelons-le, à ouvrir de plus en plus largement le marché européen. »
Sarkozy rentre bredouille de la pêche aux voix des agriculteurs
Adoptée par la majorité sénatoriale à la fin du mois de mai, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche devait répondre à la profonde crise que traverse le monde agricole, et accessoirement réconcilier les agriculteurs avec le pouvoir actuel. Dans les deux cas, c’est raté.