Ce que vous proposez, à la grande satisfaction de Pierre Gattaz, c’est une précarité généralisée

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, nous allons donc examiner en nouvelle lecture un texte qui n’a jamais rassemblé de majorité de gauche pour le soutenir.

À l’heure où le Gouvernement grec a fait le choix de mettre entre les mains de son peuple, par voie référendaire, les décisions majeures que le pays va devoir prendre, nous ne pouvons que dénoncer un déni de démocratie s’agissant de ce projet de loi.

Le déni de démocratie tient d’abord au fait que ce texte va à l’encontre du mandat qui avait été donné en 2012 à François Hollande par nos concitoyens.

M. Philippe Dallier. Mais c’est vieux, ça !

M. Jean-Pierre Bosino. Certes, mais c’est toujours valable, cher collègue !

Le déni de démocratie tient ensuite au fait que ce texte n’a pas été élaboré en lien avec les forces sociales, syndicats et associations qui font la richesse de notre pays, mais contre eux.

Le déni de démocratie tient enfin au fait que ce projet de loi, supposé « révolutionner » notre économie, n’a pu être voté par l’Assemblée nationale, bâillonnée par le recours au 49-3.

Ces derniers jours, notre pays a vécu de violents affrontements entre les chauffeurs de taxi et ceux d’UberPop. Si je fais un détour par ce sujet d’actualité, c’est que celui-ci incarne parfaitement le débat qui traverse notre société et se cristallise dans votre projet de loi. Qu’est-ce donc qu’UberPop, sinon la traduction d’une volonté de casser le droit social, d’institutionnaliser la fraude fiscale et d’instaurer une concurrence sauvage en nivelant par le bas les conditions de travail ? Sans statut légal, sans protection sociale ni la moindre retraite, chacun serait « libre » de travailler quinze heures par jour jusqu’à la fin de sa vie, en bon prestataire de services rémunéré à la tâche. Voilà le modèle que défend l’entreprise UberPop, au nom d’un ultralibéralisme décomplexé. À cet égard, il faut espérer que les procédures qui ont été engagées aboutiront ! Or c’est la même logique qui sous-tend le texte dont nous débattons aujourd’hui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la droite s’y reconnaît si bien au final…

Mme Nicole Bricq. Pas vraiment !

M. Jean-Pierre Bosino. Vous le savez, monsieur le ministre, notre désaccord avec votre politique ne relève pas d’une posture. Nous refusons la logique et l’idéologie qui vous animent. Nous refusons l’instauration d’une société où l’intermittence serait érigée en modèle social et le salariat réservé à une élite « talentueuse », pour reprendre les propos de M. Attali.

Nous ne croyons pas que l’on puisse « librement » travailler de nuit ou le dimanche quand on en connaît les conséquences sur la santé, les relations sociales et familiales. Nous sommes convaincus – c’est une question de réalisme – que les salariés qui ne souhaitent pas travailler le soir et le dimanche y seront de toute façon contraints pour conserver leur emploi.

Mme Éliane Assassi. Eh oui !

M. Jean-Pierre Bosino. Comment croire, enfin, que faciliter les licenciements, individuels et collectifs, pourra enrayer le chômage et relancer notre économie ? Les politiques de flexibilisation et de réduction du prétendu « coût du travail » se succèdent depuis trente ans sans produire aucun effet positif sur l’emploi.

Ce que vous proposez, à la grande satisfaction de Pierre Gattaz, c’est une généralisation de la précarité, une remise en cause du code du travail,…

M. Jean-Claude Lenoir. C’est aussi ce que suggère M. Badinter !

M. Jean-Pierre Bosino. … sans aucune réelle mesure de relance, aucun élément d’amélioration des conditions de vie et du pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Ainsi, le texte prévoit désormais le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif. Cela marque la fin de la possibilité, pour chaque salarié, d’obtenir réparation intégrale du préjudice subi, ce qui est pourtant un principe fondamental du droit. Plus encore, c’est tourner le dos à la convention 158 de l’Organisation internationale du travail, que la France a pourtant ratifiée, ou au principe de la réparation intégrale du préjudice posé par la Convention européenne des droits de l’homme. Pis, vous justifiez cette mesure en vous appuyant sur les contre-vérités répandues par la droite, selon lesquelles la France souffrirait d’un recours excessif aux procédures judiciaires ou connaîtrait une explosion du contentieux prud’homal. Pour reprendre la formule du Syndicat des avocats de France, « bienvenue dans un monde de violation programmée des règles du droit du licenciement fondé sur la promesse paradoxale et mensongère que moins sanctionner les licenciements abusifs créera de l’emploi » !

Au reste, ces reculs se constatent dans bien d’autres domaines. En effet, comment croire que l’instauration de lignes de cars privées est une mesure de progrès, alors qu’elle est destinée, vous l’avez dit vous-même, aux jeunes de condition modeste et que, dans le même temps, nombre de trains d’équilibre du territoire seront supprimés ?

Par ailleurs, le projet de loi renonce encore davantage à toute politique industrielle et rompt définitivement avec la notion d’État stratège. Après la privatisation des aéroports, vous avez récemment annoncé la cession de 0,9 % du capital d’Engie, soit 372 millions d’euros d’actions, pour réduire le déficit public et, prétendument, investir dans les secteurs porteurs. Chaque année, les participations de l’État procurent 4 milliards d’euros de dividendes à notre pays. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoyait 4 milliards d’euros de cessions, sur les 110 milliards d’euros d’actifs de l’État, mais vous avez décidé d’aller encore plus loin. Dans le même temps, vous confirmez et renforcez le principe des « actions gratuites ».

En conclusion, rien dans ce projet de loi ne mérite d’être soutenu par le groupe communiste républicain et citoyen, au nom des vraies valeurs de gauche que nous défendons. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Nous n’avons pas la même définition des mots « équilibre » et « contrôle ».

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Bosino. Lors de la première lecture, nous avons cherché à mettre en avant des propositions alternatives, à montrer qu’une autre politique est possible. Nous abordons cette nouvelle lecture dans le même état d’esprit, en espérant susciter un écho parmi celles et ceux qui, dans cette assemblée, entendent agir pour plus de justice sociale et d’efficacité économique. Plus que jamais, nous voulons faire émerger une autre société, où l’économie sera mise au service des femmes et des hommes de ce pays, à l’opposé de ce qui se pratique aujourd’hui.

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