Les politiques de restriction de la dépense publique montrent aujourd’hui leurs limites

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un pays peut présenter un excédent budgétaire primaire sans que cette situation soit le signe d’une bonne santé économique et sociale.

Comme nul ne l’ignore, la France demeure à la recherche, depuis fort longtemps désormais, de ce que l’on appelle un excédent primaire. Selon les chiffres disponibles, il manque actuellement de 30 à 40 milliards d’euros pour que ce soit le cas.

Nous avons entendu hier de nombreuses déclarations sur ce que devraient faire les Grecs, certains mettant même en cause l’expression démocratique du peuple grec, qui refuse de céder aux exigences de la Troïka.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le budget de l’État grec a obtenu en 2014 un résultat moins dégradé que celui de l’État français, avant paiement des intérêts de sa dette. Mais cet excédent budgétaire est le produit de politiques d’austérité que la population vient de rejeter par référendum. Rappelons, à cet égard, la chute des salaires et pensions de 25 % à 50 % pour les couches moyennes et modestes, quand les plus riches sont encore plus riches.

Ce rejet de l’austérité progresse dans d’autres pays européens et la France, elle aussi, doit s’interroger sur l’accroissement de la pauvreté, l’aggravation des inégalités, l’augmentation continue du chômage, et ce alors même que les plus riches le sont toujours davantage, comme le traduit l’augmentation du produit de l’ISF en 2014.

À l’occasion de ce débat sur l’orientation des finances publiques et de l’examen de ce projet de loi de règlement, interrogeons-nous donc sur certains choix.

Cela fait cinq ans que la valeur du point d’indice des fonctionnaires n’a pas été relevée. On constate un déficit de main-d’œuvre grandissant dans la fonction publique : 50 000 postes demeurent inoccupés dans les services de l’État et les établissements publics, nous dit-on. Mais 1 600 euros par mois pour un professeur certifié débutant, est-ce une rémunération qui peut attirer les vocations de pédagogue et de formateur ?

Autre exemple : il a été décidé de priver en quatre ans les collectivités locales de 28 milliards d’euros, en résultat cumulé, de ressources budgétaires normalement dues, puisque la DGF ne fait que compenser des recettes fiscales antérieurement perçues. Rappelons que les collectivités locales ne sont dépositaires que de moins de 10 % de la dette publique !

Selon une étude de l’Association des maires de France, la réduction de 1,5 milliard d’euros de dotation en 2014 a causé 4,3 milliards d’euros de perte pour notre économie. Cela signifie que la baisse réalisée sur les dotations se révèle moins élevée que la perte de recettes fiscales et sociales liée aux moindres investissements locaux.

Cette baisse des dotations est largement combattue et contestée par les élus et les populations. Elle se traduit par une chute des travaux engagés, mais aussi par une réduction des services rendus à la population. Pourquoi poursuivre dans cette orientation ?

À l’évidence, les politiques de restriction de la dépense publique montrent aujourd’hui leurs limites : les déficits publics ne diminuent pas et la dette publique continue de bien se porter !

Que la situation du budget de l’État ne s’améliore que par la baisse des taux d’intérêt de la dette publique est tout simplement significatif des limites des politiques d’austérité.

De plus, la dépense fiscale continue, elle aussi, de se bien porter. Dans le budget 2014, la diminution des recettes fiscales est imputable, en totalité, à la baisse du rendement d’un impôt sur les sociétés miné par les niches fiscales et, entre autres, par le CICE et par le CIR !

Le crédit d’impôt recherche, sans garantie que des moyens accrus soient consacrés à la recherche et développement, ce sont 160 euros d’impôt en plus pour chaque contribuable ! Le rapport de la commission d’enquête sur le sujet nous aurait probablement permis de mieux apprécier cette réalité... s’il avait été adopté en commission !

Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, même moins élevé que prévu, coûte, pour sa part, 300 euros par contribuable, sans que l’emploi et la compétitivité soient au rendez-vous.

Les allégements de cotisations sociales, ce sont 850 euros d’impôt en plus !

Le coût du travail en France n’aura jamais été aussi allégé qu’en ce moment. Pourtant, le nombre de personnes privées d’emploi bat, mois après mois, des records !

Le régime des groupes, qui permet aux entreprises transnationales à base française d’optimiser leurs impôts en toute légalité, ce sont 1 200 euros d’impôt en plus à payer pour les contribuables ordinaires !

Et les intérêts de la dette, ce sont environ 1 200 euros que chacun contribue à payer, salariés, retraités et leurs familles, même non imposés sur le revenu, particulièrement par l’intermédiaire de la TVA. Ceux qui en profitent sont nos créanciers, et plus précisément les marchés financiers.

Cette politique budgétaire de la réduction à tout prix de la dépense publique, généreuse quant à la fiscalité des entreprises, mais sans aucune contrepartie tangible dans le domaine de l’emploi et en termes d’amélioration du tissu économique, se double d’une démarche calamiteuse en matière de politique sociale.

Bas salaires et sous-emploi chronique continuent de saper les bases de la sécurité sociale, et la réduction des déficits sociaux, lesquels représentent encore 13 milliards d’euros environ cette année, doit beaucoup plus à la modération des dépenses et des prestations qu’à autre chose.

Le redressement des comptes sociaux ne passe pas par de nouveaux allégements de cotisations, pas plus que par la baisse des retraites, par la diminution des remboursements médicaux, par l’étranglement des établissements hospitaliers, par les vacances de postes de personnel soignant et par les déserts médicaux qui s’étendent dans nos villes et nos campagnes.

On voit, au travers de ce projet de loi de règlement et des orientations des finances publiques, les conséquences logiques de la mise en œuvre du dernier traité européen, qui n’a jamais été renégocié, contrairement aux engagements pris juste avant l’élection présidentielle de 2012. Ce traité, adopté au Parlement, et majoritairement dans cette assemblée, n’avait pas recueilli notre assentiment. La situation actuelle nous conforte quant à la justesse de notre choix.

La situation en Grèce nous rappelle quel est le résultat d’une construction européenne qui a soutenu les gouvernements dont les Grecs ont aujourd’hui décidé de se libérer.

Il est, à notre avis, du devoir de la France d’aider le gouvernement que les Grecs se sont donné pour sortir leur pays du marasme dans lequel il se trouve.

Pour ce qui concerne notre pays, l’exigence de la sortie des politiques d’austérité est une nécessité, notamment parce qu’elles sont le ferment et le terreau de nouvelles inégalités sociales, de nouvelles confrontations, de la montée de l’intolérance, de la xénophobie et des courants politiques qui en ont fait leur fonds de commerce. Nous n’avons nulle envie que, dans notre pays, les plus pauvres soient les boucs émissaires des difficultés des moins pauvres qu’eux.

L’affaire uberPOP a montré la nocivité de ce système qui, sous couvert de répondre à un besoin, s’attaque en fait au fondement de notre modèle social et laisse croire que, en exerçant plusieurs métiers, on peut échapper à une vie précaire. Tout cela parce que la logique des bas salaires est la marque de fabrique des politiques qui se développent au sein de l’Union Européenne, au détriment des capacités de développement de chaque pays...

J’ai participé au déplacement de la délégation du bureau de la commission des finances en Espagne et au Portugal. Nous avons constaté sur place que ces politiques, et particulièrement celle des bas salaires, n’ont eu pour résultat que le déménagement des activités économiques d’un pays de l’Union vers un autre pays européen. J’en veux pour exemple l’installation des centres d’appel français au Portugal.

Il est temps que la construction européenne se fixe enfin des objectifs ambitieux dans les domaines économique et social.

La réduction des déficits et de la dette publics passe par un changement total d’orientation des politiques budgétaires, en France également. Les défis de la formation des salariés et de la jeunesse, la réponse à la crise du logement, la nécessité de réaliser des infrastructures décisives pour un aménagement du territoire pertinent, la mise en œuvre de la transition énergétique, sont autant de priorités que nous devons poursuivre.

L’argent public ne doit pas être gaspillé en dépenses fiscales et en dispositifs incitatifs ne débouchant sur aucun résultat. Il doit servir plus utilement. Le secteur bancaire doit mieux participer à financer les investissements porteurs de dynamique économique, plutôt que de s’inscrire dans la spéculation.

Partir des besoins collectifs pour y répondre et créer les conditions d’une croissance d’un type nouveau, c’est, nous semble-t-il, la seule voie possible pour le redressement de notre pays.

N’ayant pas voté la loi de finances initiale, nous ne voterons pas ce projet de loi de règlement.

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