La priorité d’emploi reconnue aux ouvriers dockers doit être préservée

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je prends la parole en remplacement de ma collègue Évelyne Didier, empêchée de prendre part à nos travaux ; c’est elle qui a étudié les questions dont nous débattons, avec le sérieux que vous lui connaissez.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Tout à fait !

M. Michel Le Scouarnec. La proposition de loi soumise à notre examen vise à clarifier juridiquement la priorité d’emploi reconnue aux ouvriers dockers, que nous souhaitons voir préservée.

Elle est issue d’un travail de concertation approfondi, mené sous l’égide du Conseil général de l’environnement et du développement durable pour répondre à une situation d’urgence. Pendant six mois ce sont tous les acteurs du secteur de la manutention portuaire qui ont été entendus : syndicats de dockers, représentants des entreprises de manutention, représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, autorités portuaires, membres de l’administration en charge du transport maritime et personnalités qualifiées. Les préconisations présentées par Mme Bonny à l’issue de ce travail sont des propositions d’équilibre traduisant un consensus entre l’ensemble de ces acteurs.

Or les amendements adoptés en commission sur l’initiative du rapporteur ont profondément modifié la proposition de loi, réduisant à néant plusieurs mois de travail et les espoirs de nombreux salariés. Il est suffisamment rare qu’un tel consensus soit obtenu pour que nous, parlementaires, ayons la sagesse d’en prendre acte. C’est pourquoi nous en appelons à la raison, et demandons à la majorité du Sénat de bien vouloir reconsidérer sa position. La maintiendrait-elle, on en viendrait à penser que certains aimeraient voir la situation se bloquer, ce que je n’ose imaginer.

Je ne doute pas du sérieux du travail accompli par M. le rapporteur ; mais peut-être a-t-il été trop sensible à certaines dissonances et, surtout, à l’idéologie qui veut casser tous les statuts protecteurs pour les salariés. J’ajoute que certains ont voulu faire peur en laissant croire que tous les accords seraient caducs, alors que la charte ne s’applique que pour l’avenir.

Si la majorité du Sénat ne revient pas à la raison, nous souhaitons que le Gouvernement s’engage à faire adopter à l’Assemblée nationale, à l’issue de la navette parlementaire, un texte conforme à l’accord trouvé grâce au dialogue social et à l’intelligence collective, un texte, donc, qui soit fidèle aux préconisations du rapport Bonny.

Le texte issu des travaux de la commission maintient la clarification juridique consistant à rompre le lien entre priorité d’emploi et présence de dockers intermittents et conserve le travail de définition qui a été opéré, ce dont nous nous réjouissons. Malheureusement, la commission a effacé tous les autres aspects positifs de la proposition de loi.

Ainsi, à l’article 5, elle a supprimé la définition du docker occasionnel, qui est un docker dont le contrat est régi par la convention collective unifiée, ce qui revient à favoriser le recours à l’intérim classique. Il y a là une position de principe qui ne résiste pas à l’analyse. Monsieur le rapporteur, dans l’exposé des motifs de l’amendement que vous avez fait adopter par la commission, vous expliquez vouloir lutter contre les corporatismes. Est-ce à dire que votre position est d’abord dogmatique ?

Pour notre part, nous considérons qu’il convient de maintenir la priorité d’emploi des ouvriers dockers occasionnels sur les intérimaires, parce que le statut de docker est associé à une convention collective unifiée qui protège l’ensemble de ces salariés dans l’intérêt de tous. Est-il donc si grave de protéger les salariés ?

Par ailleurs, ce régime répond aux objectifs de sécurité et de continuité des opérations de manutention. Il contribue aussi à mieux garantir le savoir-faire spécifique des ouvriers dockers, un savoir-faire d’autant plus précieux que l’amélioration des conditions de chargement et de déchargement des cargaisons, parfois dangereuses, est un objectif d’intérêt général.

Nous regrettons également que la commission ait fait le choix de s’abstenir de toute réflexion sur l’avenir du périmètre de la priorité d’emploi, alors que, de toute évidence, celui-ci semble menacé.

L’article 6, supprimé par la commission, prévoyait qu’un décret en Conseil d’État définirait un périmètre de priorité d’emploi justifié par la nécessité de garantir la sécurité des personnes et des biens. Il excluait de cette priorité les entreprises titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, renvoyant cette question à une charte nationale conclue entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives du secteur de la manutention portuaire. En effet, toute disposition législative établissant une priorité d’emploi générale serait regardée par l’Union européenne comme une atteinte aux règles de la libre concurrence. C’est d’ailleurs ce même argument que vous invoquez, monsieur le rapporteur, pour ne pas légiférer.

Vous arguez également que des discussions auront lieu l’année prochaine au sein du comité du dialogue social sectoriel européen pour les travailleurs portuaires sur les qualifications professionnelles requises, de sorte qu’il conviendrait d’attendre. Nous ne partageons pas votre position. Nous considérons au contraire que la France doit agir vite pour promouvoir son modèle, celui du service public, dans les domaines mettant en jeu la sécurité et l’intérêt général, et qu’elle doit montrer le chemin d’une mise en conformité laissant du champ à la négociation collective.

Ainsi, nous souhaitons que la charte négociée entre en vigueur le plus rapidement possible, afin que le modèle français soit protégé. Nous appelons également à un débat plus large sur la situation des ports français, dont ni la réforme de 1992 ni celle de 2008 n’a enrayé le déclin. Alors que la mer recèle des possibilités immenses de développement industriel, comme le soulignent les conclusions du Grenelle de la mer, il serait intéressant d’approfondir l’analyse et les propositions au sujet de l’ensemble du secteur.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons contre la proposition de loi amendée par la majorité sénatoriale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Monsieur Le Scouarnec, vous transmettrez nos salutations à Évelyne Didier, qui est présentement aphone. Comme vous voyez, mes chers collègues, il y a un certain virus qui circule ! (Sourires.)

M. Michel Le Scouarnec. Je lui ai prêté ma voix !

Retour en haut