Trafic international de migrants

par Hélène Luc

Ce protocole préfigure une grande avancée du droit international. L’introduction d’un tel texte dans les législations nationales permettra la mise en œuvre de véritables coopérations en matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée. Je me félicite que la France ait activement participé à sa création.

Cela rend d’autant plus regrettable la frilosité de certains pays quant au sort réservé aux migrants. Comme l’a souligné M. Rouvière dans son rapport, un point du protocole a divisé les pays partie à la convention, celui qui touche à la personne des migrants. Si tout le monde s’entend sur la nécessité de condamner sans ambiguïté les organisations criminelles transnationales, je déplore qu’un même consensus ne se soit pas dégagé sur le sort réservé aux migrants eux-mêmes.

Quelles que soient les raisons des divergences entre pays d’origine et pays d’accueil, la solution retenue dans le protocole me paraît à plus d’un titre dangereuse.

Ainsi, je déplore que la notion de victime n’ait pas été retenue pour qualifier les migrants. Car ils sont indéniablement victimes : de n’être pas nés au bon endroit et de vivre dans un monde régi par les inégalités sociales.

Les mesures de protection insérées dans le protocole ne suffisent pas. En éludant le fait même que ces migrants soient des victimes, nous nous voilons la face devant les réalités.

Nous avons tous encore en mémoire les cadavres de ces 58 immigrés clandestins asiatiques découverts dans un camion frigorifique à Douvres, ces deux jeunes africains retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion, ou encore le naufrage d’un navire sur les côtes varoises avec à son bord 910 Kurdes de tous âges. Ces exemples ne sont que le reflet de la souffrance grandissante d’une majeure partie de la population mondiale.

Dans ces conditions quelles solutions pouvons-nous apporter ?

Nous nous plaçons de plus en plus dans une logique isolationniste et sécuritaire dont l’objectif final est l’immigration zéro. L’arsenal policier et administratif national et européen montre ses limites. L’une des conséquences est l’accroissement du trafic clandestin. En l’absence de moyens légaux, les migrants font appel à n’importe quel prix, à des réseaux criminels organisés. Seul compte d’arriver à destination. À plusieurs reprises, le Haut Commissariat aux réfugiés a mis en garde les pays contre les dérives protectionnistes. Il estime à un million de dollars le chiffre d’affaires annuel du trafic de migrants sur le continent européen.

Ces réseaux se multiplient et prolifèrent grâce au désespoir et à la misère. Ils obéissent à la seule logique du profit. Les migrants sont traités comme une marchandise. Le facteur humain n’a pas sa place ici. Malheureusement, ensuite, non plus ! Arrivés clandestinement, ces hommes, ces femmes et ces enfants ne possèdent aucun droit dans le pays d’accueil. Pouvons-nous réellement parler de pays d’accueil ? Leur seule perspective pour eux est de se voir reconduits dans leur pays d’origine.

Nous aurions pu espérer que le protocole prendrait en compte ce paramètre. Il n’en est rien et je le déplore vivement. Avant même d’envisager des reconduites à la frontière, il faudrait repenser les politiques de coopération et de développement. Ces dix dernières années, la plupart des pays de l’O.C.D.E. ú notamment la France ú ont réduit de moitié leur aide au développement. Les États-Unis consacrent le moins d’aide à la coopération proportionnellement à leur richesse : depuis peu, les dépenses militaires y ont considérablement augmenté au détriment des programmes de coopération. Bien sûr, il était nécessaire d’éradiquer le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001, mais il est tout aussi nécessaire de repenser le système international pour éviter que de tels événements ne se reproduisent, et cela grâce à une aide intelligente. C’est une des raisons pour lesquelles nous demandons l’annulation de la dette des pays en voix de développement et l’instauration de la taxe Tobin. Nous devons être solidaires avec ces pays et contribuer à un monde plus équitable, grâce à des politiques de codéveloppement durable. Notre engagement à agir pour un monde différent permettra de combattre les trafics illicites de migrants et les autres formes de criminalité transnationale, comme la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants dont nous avons eu de nombreux témoignages lors du colloque sur la prostitution organisée par notre regrettée collègue Dinah Derycke.

Le protocole marque un progrès non négligeable, mais il faut agir en amont. La France a toutes les possibilités pour le faire.

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