Réaliser des économies au détriment des personnes handicapées n’est pas acceptable

Rapporteur spécial de la commission des finances.

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » regroupe les dépenses d’aide sociale de l’État à destination des personnes les plus fragiles de notre société, qu’il s’agisse des personnes à faibles revenus, des personnes porteuses de handicaps ou de celles qui sont placées sous un régime de protection juridique.

Ces dépenses s’élèveront à 18 milliards d’euros pour l’année 2016, un montant important mais, à mes yeux, parfaitement justifié puisqu’il permet, entre autres, d’assurer un revenu d’existence minimum aux personnes handicapées et de compléter les ressources des travailleurs modestes.

La mission « Solidarité » est marquée par de nombreux changements qui interviendront l’année prochaine.

Tout d’abord, elle prévoit les crédits de la future prime d’activité, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016 et qui représentera une dépense de près de 4 milliards d’euros. Cette prime sera proche, dans son fonctionnement, de l’actuel RSA « activité », mais elle comportera un dispositif de ciblage sur les revenus compris entre 0,8 et 1,2 SMIC. Surtout, et c’est une bonne nouvelle, elle sera ouverte aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, ainsi qu’aux étudiants et aux apprentis, sous certaines conditions de ressources.

Demeure, pourtant, une inconnue de taille : le nombre de personnes éligibles qui auront effectivement recours à cette prestation. Le Gouvernement a retenu l’hypothèse d’un taux de recours de 50 %, nettement supérieur à celui du RSA activité, qui était estimé à 32 %. Malgré les mesures de simplification annoncées, il est à craindre que le recours effectif ne soit nettement en deçà des prévisions, en particulier du fait qu’un grand nombre de personnes qui percevaient automatiquement la prime pour l’emploi, la PPE, devront désormais envoyer une déclaration trimestrielle de ressources afin de bénéficier de la prime d’activité. Le rapporteur général de la commission de finances, partant de ce constat, a déposé un amendement visant à amputer de 650 millions d’euros les crédits alloués à cette prime. Je considère, au contraire, qu’il convient de tout mettre en œuvre pour que le taux de recours soit le plus élevé possible. Madame la secrétaire d’État, quelles actions comptez-vous prendre en ce sens ?

Les dépenses entrant dans le périmètre de la présente mission sont vouées à augmenter, en raison, bien sûr, du contexte démographique et, surtout, économique.

En particulier, les dépenses relatives à l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, connaissent une progression importante depuis plusieurs années, liée à l’augmentation du nombre de bénéficiaires.

Afin de contenir cette progression, le Gouvernement avait fait le choix, hasardeux selon moi, de revoir les conditions de revalorisation de l’AAH et de prise en compte des revenus de ses bénéficiaires, afin d’y inclure les revenus du patrimoine non fiscalisés. Une telle réforme aurait permis de réaliser une économie de 90 millions d’euros, mais, face aux protestations des associations de personnes handicapées, ce projet a heureusement été abandonné. Réaliser des économies au détriment des personnes handicapées n’est pas acceptable à mes yeux. L’AAH n’est pas une allocation comme les autres, puisqu’elle vise à garantir un minimum de ressources à des personnes qui sont en incapacité de travailler.

Par ailleurs, je veux profiter de l’examen des crédits de cette mission pour dénoncer la situation actuelle de nombreuses personnes handicapées qui, faute de place en France, sont contraintes de partir pour la Belgique afin de trouver une solution d’accueil. Environ 6 000 personnes sont concernées, dont 1 500 enfants. Ce n’est pas par commodité géographique, mais bien par manque de places en France que ces personnes partent, puisque deux tiers d’entre elles viennent de la région parisienne et du reste de la France, et non de régions frontalières à la Belgique – au total, quarante-deux départements seraient concernés par ce phénomène. Chaque année, l’assurance maladie finance ces places à hauteur de 82 millions d’euros. Il vaudrait mieux utiliser cet argent pour financer des places en France, d’autant que, si l’on y ajoute les crédits des départements, le montant en jeu s’élève à 250 millions d’euros par an.

Lors d’un déplacement que j’ai effectué en Belgique, j’ai rencontré des responsables de l’Agence wallonne pour l’insertion des personnes handicapées, l’AWIPH, qui m’ont confirmé que certains établissements belges accueillent quasi exclusivement des personnes françaises et font du démarchage en France afin de « rentabiliser » leurs structures. C’est toute une économie qui s’est développée et qui cherche la rentabilité, au détriment, parfois, de la qualité.

Le Gouvernement a récemment annoncé la création d’un fonds d’amorçage, doté de 15 millions d’euros, pour éviter les départs vers la Belgique, ce qui paraît bien peu compte tenu des enjeux que je viens d’évoquer. Madame la secrétaire d’État, quelles actions le Gouvernement entend-il mettre en place en vue de mettre fin à cette situation ?

Pour terminer, le ministère des affaires sociales et l’administration déconcentrée seront marqués, comme les années précédentes, par une réduction des effectifs, à raison de 150 postes. La réforme de la carte territoriale conduira à diminuer le nombre de directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et des agences régionales de santé, sans que les conséquences budgétaires et humaines de cette restructuration soient pour l’instant ni connues ni estimées. Bien sûr, cela n’est pas sans soulever quelques inquiétudes dans les territoires…

Pour ces différentes raisons, j’avais émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. La commission des finances a finalement décidé d’adopter ces crédits, tels que modifiés par l’amendement du rapporteur général que j’ai évoqué tout à l’heure, auquel, je le rappelle, je ne souscris pas.

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