Il est regrettable que l’exception culturelle, qui a fait la force de notre pays, soit aujourd’hui de moins en moins valorisée

Il est regrettable que l'exception culturelle, qui a fait la force de notre pays, soit aujourd'hui de moins en moins valorisée - Projet de loi de finances pour 2016 : médias, livre et industries culturelles (Pixabay)

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette mission revêt une importance capitale pour notre démocratie, encore plus aujourd’hui au regard du contexte national et international.

Droit à l’information et droit à la confrontation d’idées sont en effet consubstantiels à l’exercice de la démocratie. Les industries culturelles jouent un rôle essentiel dans la compréhension des enjeux et des questions qui traversent notre société et, donc, dans l’émancipation humaine.

On ne peut ignorer le rôle qu’ont eu les industries culturelles dans la massification de l’accès aux œuvres. Il est toutefois regrettable que l’exception culturelle, qui a fait la force de notre pays, soit aujourd’hui de moins en moins valorisée. L’uniformisation de la production culturelle et artistique, conduite par les obligations du marché, n’a pu être empêchée, faute d’ambition étatique suffisante.

De fait, s’il nous apparaît contre-productif de s’opposer à la production culturelle industrielle au nom d’un élitisme assumé et revendiqué, il convient de déplorer que nombre de créateurs dits « originaux » soient en difficulté pour présenter leurs œuvres, faute de soutiens suffisants tant des géants du secteur que des pouvoirs publics.

S’agissant du programme 180 « Presse », mon collègue Patrick Abate a rappelé nos satisfactions et nos inquiétudes.

Si nous pouvons nous réjouir de l’augmentation des aides en faveur du pluralisme, le constat global doit être plus mesuré : la situation des messageries et de l’AFP est particulièrement bancale et fragile, des doutes sur la suite donnée aux accords Schwartz sur les tarifs postaux. Nous restons inquiets et serons vigilants tant la presse, pourtant au cœur du processus démocratique, comme je viens de le rappeler, est affaiblie.

J’appelle le Gouvernement à une vigilance accrue quant à la dynamique de concentration des groupes de presse et à la situation des pigistes, des photojournalistes et de tous ceux qui sont au cœur de ce rouage si indispensable.

En effet, de plus en plus de titres se retrouvent sous la houlette de quelques grands groupes, ce qui n’est pas sans conséquence sur le pluralisme et les conditions d’emploi et de travail des salariés.

J’en viens maintenant aux autres programmes de la mission.

Concernant les crédits alloués au livre, ce budget nous interpelle une nouvelle fois, et ce pour plusieurs raisons.

Rappelons tout de même que c’est la Bibliothèque nationale de France, la BNF, qui en capte l’essentiel.

Il convient aussi de relever qu’une partie des dispositifs, notamment concernant le livre, se font en collaboration avec les collectivités territoriales. Je pense, entre autres, aux « contrats territoires-lecture » et au projet
« Premières Pages ». Si l’on peut se réjouir de voir la participation de l’État presque doubler pour ce qui concerne ces dispositifs, je crains que cela ne soit pas suffisant, eu égard aux restrictions budgétaires imposées aux collectivités territoriales.

Par ailleurs, un certain nombre d’autres craintes demeurent. Le Centre national du livre, déjà fragile économiquement, voit les taxes le finançant plafonnées, alors même que sa contribution au plan de soutien aux librairies est accrue.

L’augmentation importante des crédits dans le domaine des industries culturelles ne doit pas nous faire oublier que le renforcement de la HADOPI en capte la moitié, ce qui laisse, de fait, les autres champs couverts insuffisamment nantis, comme la musique enregistrée, le cinéma et les jeux vidéos.

Sur ce dernier point, qu’en est-il, madame la ministre, de la mise en œuvre du dispositif de compensation et d’incitation via un crédit d’impôt pour faire en sorte que les studios de jeux vidéos restent en France ?

La situation du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, pose aussi question. Si le Gouvernement a pris l’engagement, cette année, de ne pas ponctionner le fonds de roulement, faire reposer son financement sur le produit des taxes et les recettes des SMS et du replay représente un risque et une imprévisibilité majeure à nos yeux, une moindre consommation des usagers impliquant une baisse des recettes.

Sur le programme 313 « Contribution à l’audiovisuel et à la diversité radiophonique », le constat est tout aussi préoccupant.

Face à l’exigence de renforcer le pluralisme et le droit à l’information, vous répondez par une limitation des budgets et renvoyez les opérateurs à la « maîtrise de leur masse salariale » et à la recherche de ressources propres. Il faut donc que des opérateurs comme Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, ou encore France Télévisions se lancent dans l’activité chronophage de recherche de fonds propres, bien souvent issus du privé.

Ce que vous proposez cette année pour France
Télévisions, dont la situation budgétaire est déjà plus que précaire, aurait mérité un débat.

En effet, vous avez fait adopter par l’Assemblée nationale un amendement visant à anticiper d’un an la suppression des dotations budgétaires allouées à ce groupe pour ne faire reposer son financement que sur trois leviers : le produit de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, la TOCE, celui de la contribution à l’audiovisuel public, la CAP, et les ressources propres.

L’idée que ce mode de financement serait garant de l’indépendance et de la stabilité financière de France Télévisions, et plus largement des opérateurs publics, ne va pas de soi.

Nous pensons que cette question du financement, mérite un véritable débat de fond, en prenant le temps nécessaire, sur les réels acquis en termes d’indépendance et de continuité des missions de service public qui leur incombent et ne doit pas être traitée à la hussarde, par voie d’amendement.

L’exemple de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, doit nous inciter à la vigilance : après avoir testé ce modèle de financement, vous avez dû faire marche arrière, en réinstaurant une subvention pour charge de service public !

Pour conclure, je souhaite souligner une nouvelle fois la nécessité pour notre société de bénéficier de médias libres, pluralistes et indépendants et de garantir un accès universel à toutes les formes d’œuvres culturelles.

Nous aurions aimé avoir sous les yeux un budget à la hauteur des ambitions des enjeux au regard de la situation actuelle. En l’état, notre inquiétude est grande. Et c’est pourquoi nous voterons contre les crédits de cette mission.

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