Limiter les normes ne doit pas constituer une forme de déréglementation

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui un sujet récurrent au sein de notre hémicycle et dans les réflexions des pouvoirs publics.

Ainsi, en 1991, le Conseil d’État faisait déjà part de ses inquiétudes concernant la complexité du droit, caractérisé par la prolifération désordonnée des textes, l’instabilité croissante des règles et la dégradation manifeste de la norme.

En 2011, une mission d’information sur cette question a été conduite par le Sénat sous l’égide de la délégation aux collectivités territoriales, portée par notre collègue Éric Doligé. Ce rapport a abouti au dépôt d’une proposition de loi, toujours en cours de navette, que l’examen de cette proposition de résolution remet d’une certaine façon au goût du jour.

De fait, le sujet est important, en particulier pour les élus locaux. Aujourd’hui, ce sont plus de 400 000 normes qui sont applicables. Cette situation pose de vraies questions, liées notamment à l’insécurité juridique pour les collectivités.
Trop de normes tue l’idée même de la norme et rend impossible l’idée que la loi soit connue et intelligible par tous. C’est donc aussi un problème démocratique.

Il faut cependant aller plus loin et remettre en cause non seulement le volume, mais aussi les modes d’élaboration de la norme et de la loi. Les efforts à produire en matière de démocratie sont immenses et, dans ce domaine aussi, les collectivités, notamment les communes, ont fait preuve d’un esprit d’initiative et d’innovation remarquable.

Dans d’autres circonstances, en particulier dans le cadre de l’élaboration de la loi, nous nous trouvons trop souvent enfermés dans des débats d’experts. Or de la vivacité de notre démocratie dépend aussi la qualité des normes et des lois.

Pour autant, il faut être clair. Cette volonté de diminuer les normes, donc les contraintes sur les collectivités, ne doit pas conduire à réduire la qualité et la sécurité pour nos concitoyens.

Limiter les normes ne doit pas constituer non plus une forme de déréglementation des secteurs de l’urbanisme, du logement et de l’environnement, dans lesquels les objectifs en matière d’accessibilité, de sécurité, de normes sanitaires et de protection de l’environnement seraient relégués comme des questions annexes ou trop complexes. Une telle posture est dangereuse.

Par ailleurs, derrière le rejet des normes par les élus, se cachent, pour beaucoup d’entre ces derniers, de réelles difficultés dans la mise en œuvre, faute d’accompagnement technique par les administrations et de soutien financier par l’État. En matière d’urbanisme, nous regrettons d’ailleurs la quasi-suppression de l’assistance technique de l’État, l’ATESAT, tout comme la baisse des dotations qui obère les capacités d’intervention des collectivités et leurs moyens humains pour garantir le respect de ces normes.

Gardons à l’esprit le fait que l’édiction de règles répond, le plus souvent, à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique.

Au-delà de ces considérations sur l’utilité des normes, c’est aussi l’argument libéral qui est avancé. Ainsi, dans la discussion sur sa proposition de loi, Éric Doligé rappelait l’essentiel : « N’oublions pas que la compétitivité se mesure sur les marchés internationaux. Celui qui ne maîtrise pas ses charges et contraintes perd de la compétitivité. Chaque norme supérieure à celle de notre concurrent nous pénalise ».

Manifestement, nous ne sommes donc pas seulement dans une volonté de sécuriser les collectivités, mais bien de libéraliser les secteurs économiques qui ne le seraient pas encore, en abaissant le niveau des normes, qu’elles soient urbanistiques, environnementales, de sécurité ou encore sociales. Ce discours de l’ultralibéralisme débridé conduit à des catastrophes humaines, sociales et environnementales – nous le savons bien !
Les sénateurs et sénatrices du groupe CRC condamnent cette orientation politique du moins-disant.

De notre côté, nous pouvons avancer deux propositions.

Tout d’abord, pour éviter l’écueil de lois utiles, mais inapplicables faute de moyens, ne faudrait-il pas prévoir, de manière systématique, un volet fixant les règles financières de leur mise en œuvre ?

Ensuite, ne pourrait-on pas encourager plus encore le dialogue avec les autorités devant délivrer des avis, par exemple les architectes des bâtiments de France ou les agences régionales de santé, pour éviter des recours systématiques à la justice administrative par ailleurs surchargée, recours qui allongent les délais ?

S’agissant des propositions formulées dans cette proposition de résolution, il faut bien reconnaître que nous ne les partageons pas.

En ce qui concerne le principe « pour une norme créée, une norme supprimée », nous considérons que cette affirmation est purement démagogique. Ce qui doit prévaloir pour définir le droit positif, c’est non sa masse globale, mais bien la justesse et l’utilité de ces normes. Toute idée mécanique est donc à bannir. Quant à savoir si un décret a plus de force qu’une circulaire, ce débat sur la hiérarchie des normes réglementaires est – franchement – bien en deçà des questions que vous posez.

Cette proposition de résolution semble être une curieuse collection de dispositions issues de divers rapports et propositions de loi, dont la portée et le contenu sont extrêmement variables, allant de la santé à l’environnement, en passant par l’assainissement. D’ailleurs, la plupart de ces mesures relèvent purement du pouvoir réglementaire ou même du bon sens. La proposition de résolution va même jusqu’à évoquer la question de formulaires administratifs...

La création de chartes nationales pour fixer le niveau d’exigence des commissions de sécurité ou celui des architectes des bâtiments de France relève uniquement, là encore, de bonnes pratiques.

Le fil conducteur de ces propositions, c’est au fond l’idée que l’administration serait par nature arbitraire et même dangereuse, alors qu’elle protège les administrés et notre environnement.

D’autres préconisations nous semblent tout autant problématiques, notamment en matière d’urbanisme, avec cette volonté tenace de déréglementer le droit des sols. Il en est ainsi de la proposition d’établir une liste des actes d’urbanisme de faible importance pouvant être exclus du contrôle de légalité ou de celle qui entend carrément limiter la réglementation applicable aux plans locaux d’urbanisme.

Pour ces raisons, nous ne voterons pas ce texte.

Nous, nous demandons en priorité au Gouvernement, et ce pour soulager les collectivités, de cesser ses coupes budgétaires et de remettre des fonctionnaires dans les préfectures et les services déconcentrés. Les collectivités pourront ainsi mener les politiques pour lesquelles les électeurs ont voté. Derrière la question des normes, c’est cela le vrai sujet !

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