Simplification du droit

Simplification du droit

par Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, le texte aujourd’hui inscrit à notre ordre du jour est présenté par le Gouvernement comme relevant du bon sens et dépourvu d’enjeu politique majeur. Dans ces conditions, l’adopter ne devrait être qu’une formalité pour notre assemblée.

Mais la réalité est bien différente.

Ce projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit a été rebaptisé par nos collègues de l’Assemblée nationale en « projet de loi de simplification du droit ». Que cache donc ce changement sémantique ?

En faisant disparaître de l’intitulé du projet la référence explicite à un pouvoir exceptionnellement attribué au Gouvernement, ne cherche-t-on pas à masquer la gravité des entorses constitutionnelles que l’on s’apprête à commettre ? Ne cherche-t-on pas à donner ainsi une image trompeuse de ce qu’est véritablement ce texte ?

Car il s’agit bel et bien de confier au Gouvernement des pouvoirs qui, ordinairement, ne lui reviennent pas. S’il est de tradition d’habiliter le Gouvernement à prendre telle ou telle mesure par ordonnance, la pratique a toujours voulu que l’on se limite à un objet précis et circonscrit, se traduisant par un projet de loi composé de quelques articles seulement. Habituellement, ce sont des raisons techniques qui amènent le législateur à se défausser de ses compétences au profit de l’exécutif.

Or, avec le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, tel n’est pas le cas. Au demeurant, ce n’est pas la première fois : en deux ans, c’est le deuxième projet de loi habilitant le Gouvernement à faire seul la loi. L’an dernier, nous avons déjà eu l’occasion de dénoncer cette dérive avec un texte qui comportait vingt et un articles. Celui-ci en contient soixante-cinq !

Et un troisième projet de loi de ce type serait en préparation... Nul doute qu’il dépassera encore les précédents par l’ampleur de son champ et le nombre des dispositions prises !

Le Président de la République lui-même souhaiterait qu’une loi de simplification soit votée chaque année. Il s’agit pour nous d’une sérieuse entorse au fonctionnement des institutions de la Ve République, dont le régime est déjà largement « présidentiel ».

Le champ des compétences couvert par le présent projet est très large. Y figurent près de deux cents dispositions portant sur les sujets les plus variés : l’urbanisme, l’organisation de l’administration, la pêche, l’agriculture, le secteur sanitaire et social, les entreprises, l’architecture, etc. Des mesures concrètes, par exemple celles qui sont relatives au droit funéraire, au code de commerce ou au code de la consommation, se mêlent à des dispositions touchant le régime de la filiation, l’accès aux documents administratifs, le régime social des travailleurs indépendants...

Ce véritable patchwork a mobilisé l’attention de quatre de nos commissions, outre la commission des lois.

De plus, ce projet de loi mélange l’habilitation à prendre des ordonnances, la ratification d’ordonnances et la codification.

D’où notre interrogation, monsieur le secrétaire d’Etat : quelle est la volonté réelle du Gouvernement ?

Nous avons le sentiment que se banalise et s’accélère un processus visant à réduire le rôle du Parlement.

Certes, vous vous appuyez sur l’article 38 de la Constitution pour solliciter des deux chambres l’autorisation de légiférer par ordonnance. Mais votre recours fréquent à cette procédure nous apparaît clairement comme une manoeuvre pour contourner l’article 34 de la même Constitution, qui fixe les prérogatives du Parlement.

Ainsi, à l’article 4, dans ce cadre prétendument technique, vous prévoyez que le Gouvernement pourra modifier les dispositions relatives à la filiation. Je note toutefois que la commission des lois propose de supprimer cet article. En effet, sur un tel sujet, nous sommes clairement dans le domaine de la loi et non dans celui de la simplification du droit. S’il faut adapter le droit aux réalités d’aujourd’hui, faisons-le, mais sereinement et en profondeur !

En vérité, par votre démarche, vous nous demandez à nous, législateur, de nous dessaisir de nos propres compétences et responsabilités. Ce faisant, vous renforcez les facteurs qui sont à l’origine de la crise de confiance entre les citoyens et leurs représentants. Cet affaiblissement du Parlement ne peut que creuser le fossé entre les élus et leurs mandants.

Nous ressentons de votre part du mépris envers la représentation nationale, envers le principe même de séparation des pouvoirs, fondement de notre démocratie.

Agissant de la sorte, vous faites preuve d’autoritarisme.

Vous estimez que votre projet de loi vise à simplifier l’accès des citoyens au droit, et donc à leurs droits. Il y a là un principe dont nous ne contestons évidemment pas le bien-fondé. Mais force est de constater que vos choix politiques et les lois promulguées depuis que l’actuelle majorité est en place produisent l’effet inverse.

Comment croire en votre volonté de rapprocher le citoyen du droit alors que, en ce moment même, agents et usagers de l’un des tout premiers services publics du pays, La Poste, sont dans l’action contre la fermeture prévue de 6 000 bureaux sur les 11 500 qui maillent le territoire national ?

Comment pourriez-vous simplifier l’accès des citoyens au droit quand vous vous employez à réduire les services publics à leur plus simple expression ?

Vous dites vouloir stopper l’inflation législative, mais vous convoquez chaque année le Parlement en session extraordinaire jusqu’au coeur de l’été pour faire adopter au pas de charge des réformes dont la portée est considérable pour notre société, et cela en déclarant de surcroît l’urgence sur la plupart de vos textes, comme c’est encore le cas aujourd’hui.

Comment restaurer la confiance envers l’Etat, ses services et ses entreprises, lorsque vous vous acharnez à en changer la nature, voire à les privatiser ? De France Télécom à EDF, nous venons d’en faire l’amère expérience ! Vous nous proposez aujourd’hui le même scénario pour le Laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies, qui, de groupement d’intérêt public ayant une mission de santé publique, devrait se transformer en une société anonyme, soumise à une tout autre logique, celle de la rentabilité, propre à ce type de société.

Votre projet de loi comporte un certain nombre de dispositions qui sont rejetées par celles et ceux à qui elles s’adressent en premier lieu.

Ainsi, vous souhaitez modifier le mode de gestion des établissements à caractère sanitaire. Mais votre fameuse « gouvernance de l’hôpital » ne fera pas l’objet d’une discussion publique ni de négociations avec les agents hospitaliers et leurs représentants. Ce qui se profile à travers l’article 50, c’est l’accroissement des compétences des directeurs de ces établissements, alors que ceux-ci souffrent déjà d’un manque de transparence et de démocratie.

Ma collègue Nicole Borvo défendra notre motion tendant à opposer la question préalable, mais mon groupe a déposé des amendements de suppression.

Parce que l’esprit de votre texte ne se résume pas à une simplification, parce qu’il ne tend pas véritablement à faciliter l’accès au droit de tous les citoyens, la lisibilité du droit restant réservée aux experts et le citoyen ne pouvant que difficilement s’en saisir, se l’approprier, l’utiliser, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyens voteront contre ce projet.

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