L’enseignement agricole en souffrance

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour compléter les propos de Patrick Abate, je souhaite m’arrêter sur les conséquences de la réforme du bac pro sur l’enseignement agricole technique.

Il existe d’ailleurs un point commun entre ces deux voies de formation initiale : l’effet négatif que cette réforme a eu sur la culture professionnelle, en réduisant d’un an le temps de formation.

Le bac pro conduite et gestion de l’exploitation agricole est sans doute celui qui a le plus souffert à ce titre, la mission de ce baccalauréat étant de former non seulement un bon technicien agricole, mais aussi un futur chef d’entreprise.

Avant la réforme, la formation était articulée en deux temps : d’abord, les deux années du BEPA, le brevet d’études professionnelles agricoles, pour former des ouvriers agricoles, puis les deux années du bac pro, pour les former à réfléchir au fonctionnement d’une exploitation dans un environnement géographique et économique, sachant que le bac pro équivaut à une capacité à l’installation.

Les enjeux environnementaux auxquels ce métier doit faire face, inscrits dans un contexte économique de plus en plus compliqué, impliquent de former des citoyens autonomes, acteurs de leur métier, ce que ne permet plus une formation en seulement trois ans.

C’est un paradoxe, dans la mesure où il convient aujourd’hui de former les futurs agriculteurs à produire autrement ! L’actualité nous rappelle d’ailleurs l’importance de la formation pour y parvenir. Or l’évolution du pourcentage d’élèves reçus aux examens du bac pro de l’enseignement agricole, toutes voies confondues, a baissé depuis 2009. Il s’établissait à 89,3 % en 2009, session de juin, et plafonne depuis 2012 autour de 83 %, selon Agreste, le site de la statistique, de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

En outre, ce taux global ne distingue pas le pourcentage d’élèves qui décrochent leur baccalauréat sans passer par la nouvelle épreuve de rattrapage, laquelle, de l’aveu même d’enseignants, de professionnels et de présidents de jurys qui dénoncent cette épreuve, gonfle les résultats.

Autre paradoxe de cette réforme, les dispositifs de mise à niveau qui existaient auparavant ont été supprimés. Il s’agissait de remettre à niveau les élèves dans les matières générales, comme les mathématiques, pour lesquelles les établissements disposaient de 60 heures supplémentaires dans le cadre de leur dotation globale horaire, pour chaque élève de bac pro.

Compte tenu des difficultés constatées sur le terrain en seconde, première et terminale, des heures d’individualisation ont été instaurées, mais sur projet et non plus de façon automatique. Ces projets, qui doivent être présentés en année n-1, entrent en concurrence avec tous les autres projets pédagogiques des voies générale, technologique et professionnelle et sont désormais ouverts au BTS agricole, pour une enveloppe constante. Cela se traduit par une progression des sorties sans qualification, du fait d’abandons à chaque palier de la scolarité, les études s’avérant très difficiles à poursuivre pour un très grand nombre d’élèves.

Certes, la loi d’avenir pour l’agriculture a prévu de mettre en place des passerelles, pour faciliter l’accès des bacheliers pro aux écoles d’ingénieurs. Pourquoi pas ? Toutefois, il faudrait déjà donner aux élèves les moyens de réussir leur baccalauréat.

Il est vrai qu’un cursus en quatre années pouvait paraître trop long pour certains élèves. Reste que ceux qui allaient plus vite étaient souvent réorientés vers la voie technologique, nombre de lycées agricoles proposant les deux voies.

Or cette réforme est justement venue bouleverser l’équilibre qui existait au sein de l’enseignement agricole entre les filières technologique et professionnelle, au détriment de la première.

Aujourd’hui, le raccourcissement du bac pro à trois ans place beaucoup d’élèves, qui sont de surcroît plus jeunes, en souffrance. Celle-ci peut se traduire par des comportements plus difficiles à gérer, du fait d’incivilités dans des classes devenues très hétérogènes. Ce phénomène se retrouve notamment dans la filière « conduite et gestion de l’entreprise hippique ».

De plus, si cette réforme a pu entraîner un certain effet d’aubaine, toutefois difficile à mesurer, elle ne s’est accompagnée au final que de peu d’ouvertures de classes. Surtout, le plafonnement des effectifs dans l’ensemble des classes de l’enseignement agricole public a été maintenu, ce qui se traduit chaque année par le rejet de certains élèves.

Le BEPA, qui a été supprimé en tant que diplôme – il comportait douze semaines de stage, contre huit aujourd’hui pour la certification – constituait véritablement une marche importante qui n’a pas été remplacée. Il existe donc un vide pour ce qui concerne les diplômes de niveau V, que les CAP agricoles, trop peu nombreux, n’ont pas comblé. Par ailleurs, le BEPA permettait aux jeunes de s’insérer professionnellement.

C’est pourquoi je ne comprends pas le refus, au mois de mai dernier, de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche d’autoriser l’expérimentation de classes spécifiques pour les élèves les plus fragiles de la voie professionnelle, classes défendues par les équipes pédagogiques du lycée agricole public de Laval et de celui de Radinghem dans le Pas-de-Calais. Un tel dispositif est pourtant prévu réglementairement depuis 2008, sur le modèle du travail réalisé au lycée de Tours-Fondettes, qui compte la seule classe de ce type en France. Je peux témoigner de sa qualité, puisque j’ai souvent rencontré les équipes concernées.

Ce refus traduit-il une forme de posture idéologique interdisant la cohabitation de deux systèmes, au détriment de la réussite des élèves ? Je souhaite, madame la ministre, que vous puissiez soit répondre à cette interrogation, soit la transmettre à votre collègue chargé de l’agriculture.

Nous connaissons la valeur et la qualité de l’enseignement agricole, que nous défendons au Sénat et dans nos territoires, notamment au travers des actions du Comité permanent de défense et de développement de l’enseignement agricole public, dont je suis membre avec d’autres parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le Comité sera d’ailleurs partie prenante d’une journée de réflexion sur le bac pro, organisée par le SNETAP–FSU le 24 mars prochain à Paris, pour évoquer les enjeux en termes de réussite scolaire, d’insertion professionnelle et de poursuite d’études et avancer des propositions d’évolution et d’amélioration de la réforme de la voie professionnelle.

C’est pourquoi nous plaidons pour que tous les moyens soient donnés à cet enseignement, afin de lui permettre de remplir ses missions.

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