Quand Mac Donald’s et Coca-Cola veulent faire la loi

Patrick Kanner
Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des
Sports

Monsieur le Ministre,

C’est la lecture d’un grand quotidien régional qui évoque, dans son édition du samedi 5 mars dernier, les conditions imposées aux commerçants installés aux abords du Grand Stade Pierre Mauroy de Villeneuve-d’Ascq, à l’occasion des matches de football du prochain EURO2016.
Ainsi il semble que ce sont les multinationales Mac Donald’s et Coca Cola qui imposent leur loi ; les commerçants installés sur le site depuis 2012 devraient s’acquitter d’une redevance, masquer leur propre enseigne, enfiler les tenues UEFA et servir des boissons dans des gobelets de l’instance européenne, comble du comble en cas de refus de se plier à ces conditions les commerçants « rebelles » se trouveraient relégués derrière une palissade de 2,6 mètres de hauteur couverte de bâches occultantes. On frise l’humiliation !

Ces conditions sont tout simplement inacceptables !

Rappelons ici que le Stade Pierre Mauroy est financé par nos grandes collectivités publiques, la Métropole Européenne de Lille par la redevance annuelle qui sera versée pendant 31 ans, la Région par une subvention de 45 millions d’euros et le Département par le financement de travaux d’accessibilité. J’ajoute à ces partenaires des intervenants privés qui seront priés de s’effacer quelques temps au profit des généreux sponsors multinationaux les jours de match. Serons-nous autorisés à conserver le nom de Pierre Mauroy ? (!)

Cette situation est d’autant plus intolérable (choquante) qu’elle nous est imposée par des multinationales qui échappent très souvent à l’impôt. Celle de la restauration rapide, 2ème employeur privé au monde, est présente dans 119 pays avec 36 000 points de vente et 69 millions de clients quotidiens dans le monde.

C’est d’ailleurs un sujet dont s’est emparée récemment la Commission Européenne, nous apprenons ainsi qu’en 2013 le taux d’impôt société payé par ce groupe avait atteint 1,46 % en Europe et quasiment 0 aux États-Unis.

A qui fera-t-on croire que l’équilibre financier de ce groupe dépend d’éventuelles recettes de l’EURO 2016 ? Ce n’est pas le cas de nos commerçants locaux...

Quant au géant de la boisson gazeuse, il réussit le tour de force de loger 1 milliard de dollars de profit aux iles Caïmans où il ne dispose d’aucun salarié.

Avons-nous affaire ici à des règles de concurrence loyale ?

N’y a-t’il pas, au regard du droit, atteinte à la liberté d’entreprendre pour les commerçants implantés près du Stade ? Ils ont pris le risque d’investir autour de cet équipement financé, je le rappelle, par des crédits publics, l’argent des contribuables de la région.

Par ailleurs, quelques mois après les révélations sur les scandales de corruption parmi les plus hautes instances dirigeantes du football mondial, il me semble qu’il y aurait matière à tenir un débat sur ce dossier au sein de nos instances respectives, à l’Assemblée régionale, au Conseil de la Métropole Européenne de Lille ainsi qu’au Département.

Les pouvoirs publics, les élus de la République doivent-ils accepter de se soumettre aux règles dictées par les plus grands financeurs des événements sportifs internationaux ? Pour ma part je ne m’y résous pas, au nom de l’argent public investi et au nom de la dignité de la population de notre région et de ses acteurs économiques.

Je souhaiterais, Monsieur le Ministre, connaître votre point de vue sur cette situation, très illustrative du modèle dominant d’aujourd’hui dans le sport, à savoir le « sport business ».
Dans cette attente,

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

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