L’ambition culturelle de la France mérite davantage d’audace

L'ambition culturelle de la France mérite davantage d'audace - Liberté de la création, architecture et patrimoine : conclusions de la CMP ( Expect Best)

Madame la présidente, madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, nous arrivons au terme d’un long et fructueux débat au Sénat, qui a duré plus de cinquante heures.

Le groupe CRC a défendu sa vision d’un monde de la culture, des arts, de l’architecture et du patrimoine accessible à toutes et tous, au service d’une société de liberté et d’émancipation humaine.

Pour que cette ambition ne se limite pas à des mots, nous avons soutenu les deux piliers sans lesquels il n’est rien : d’abord, donner les moyens aux créateurs de toutes disciplines de protéger leur travail et leur liberté ; ensuite, conduire et promouvoir en tous domaines des politiques audacieuses de service public. Il aurait aussi fallu, à nos yeux, parler des moyens budgétaires et construire une vraie loi d’orientation et de programmation. Nous l’avons dit dès le début de l’examen de ce texte, cette audace n’est au pas rendez-vous, mais nous y reviendrons très bientôt à l’occasion du débat budgétaire. Nous espérons que les actes suivront les ambitions affichées par ce texte – du moins travaillerons-nous pour qu’il en soit ainsi !

Grâce au débat législatif, le projet de loi s’est toutefois enrichi et comporte des avancées que nous apprécions.

Nous saluons la consécration législative de la liberté de création et de diffusion, comme le sens donné dans les premiers articles aux nécessaires politiques publiques ou le renforcement de la politique des labels. C’est une étape importante, qui demandera encore beaucoup de combats en matière de liberté de création. La polémique affligeante née ces derniers jours à propos d’une fresque éphémère de street art à Grenoble en dit long sur le chemin qui reste devant nous !

Le groupe CRC approuve aussi des dispositions, notamment dans le titre Ier, qui étendent à de nouveaux usages les garanties de rémunérations des artistes. En effet, nous estimons que pour garantir la liberté de création et de diffusion, encore faut-il réunir les conditions de son effectivité.

Cet objectif, que visent notamment les mesures tendant au partage de la valeur créée dans les nouveaux circuits numériques, a notre soutien. Citons pêle-mêle, et même si elles ne sont pas parfaites, les mesures sur les web radios, le NPVR, les relations contractuelles entre artistes-interprètes et producteurs, la transparence des comptes, l’application des droits d’auteurs dans le cadre des structures de référencement.

Toutefois, d’autres points susciteront le maintien de notre vigilance. Je pense aux quotas radiophoniques, domaine dans lequel le compromis trouvé sous la pression justifiée des auteurs reste, à nos yeux, fragile. La défense de la création française ne doit souffrir d’aucune exception et nous continuerons à suivre de très près le respect de cette exigence.

Plus problématique est l’élargissement des possibilités de recours dans le cadre de spectacles à but lucratif d’artistes amateurs non rémunérés – ce fut l’un de nos débats. Certes, les discussions menées encadrent cette possibilité et le décret sera très important, mais le fait est là : sous prétexte de valorisation de la pratique amateur, objectif auquel nous souscrivons, le texte légalise trop, selon nous, la mise en concurrence des amateurs et des professionnels, avec le risque évident d’encourager la non-rémunération du travail artistique.

Ce point est l’une de nos réticences majeures sur le texte final. Nous veillerons à ce que les dérives que le Gouvernement prétend encadrer ne deviennent pas réalité.

Par ailleurs, le groupe CRC s’oppose à la fragmentation qu’opère le texte en matière d’enseignement supérieur et de recherche, prenant le risque d’isoler de fait des structures d’excellence de filières universitaires à la qualité reconnue.

Toujours sur cette partie du texte, nous regrettons que notre position de conciliation relative au 1 % artistique ait été balayée pour revenir, en définitive, peu ou prou à la version insatisfaisante de l’Assemblée nationale.

Sur l’architecture, nous nous félicitons des dispositions du texte portant reconnaissance de l’excellence architecturale et du rôle majeur des architectes dans la constitution d’un patrimoine immobilier et de zones d’habitations qui soient des lieux de vie de qualité pour leurs habitants et pour la société. Le consensus trouvé sur l’article 26 quater et le projet d’aménagement, l’identification de la maîtrise d’œuvre et les délais incitatifs nous conviennent.

Concernant le volet consacré au patrimoine, notre groupe est plus critique. Nous saluons les dispositions allant dans le sens d’une meilleure protection du patrimoine : je pense à la réforme du régime de propriété des biens découverts, à la réforme des domaines nationaux ou à la mise en sécurité auprès de l’État de biens culturels appartenant à des États étrangers en situation de guerre ou de catastrophe naturelle.

Toutefois, notre désaccord subsiste sur l’archéologie préventive. Le texte ne remet en cause que trop à la marge l’ouverture à la concurrence de 2003, qui a durablement fragilisé le secteur.

L’autorisation de la sous-traitance, couplée à la mise en concurrence, certes atténuée par la commission mixte paritaire, des services territoriaux entre eux, porte le risque de conduire à un nouvel affaiblissement du service public de l’archéologie préventive.

Ainsi, la volonté affichée de réaffirmer le rôle de l’État en la matière nous semble encore trop diluée, même si la commission mixte paritaire a permis de réintroduire quelques éléments positifs comme la convention préalable ou la réception par les services de l’État de toutes les offres d’opérateurs avant l’attribution de marché.

Un vaste débat a également été consacré au crédit d’impôt recherche. Nous regrettons profondément que, sous la pression de la droite, les députés aient renoncé à mettre fin à ce recours au crédit d’impôt recherche, qui relève plus de l’effet d’aubaine fiscale que d’une véritable vocation de recherche. Personne ne nous a convaincus du contraire ! L’appel à la patience lancé par Mme la ministre ne peut pas nous satisfaire, car les dégâts sont là et ils vont perdurer !

Sur la protection du patrimoine bâti, notre groupe s’inquiète de la réforme des abords, car elle risque de faire « des abords à la carte » la règle, et du périmètre des 500 mètres l’exception. Pour nous, le patrimoine ne doit pas être une variable d’ajustement au profit d’une logique censée libérer toujours plus de sols constructibles et, en vérité, favorable à de nouvelles opérations immobilières.

Enfin, nous déplorons que cette réforme porte en creux une forme de défiance à l’égard des 120 architectes des Bâtiments de France.

Dernier regret, le recours trop important aux habilitations par ordonnances dans cette loi, notamment sur des sujets aussi centraux que l’octroi des aides financières au cinéma.

Au total, madame la ministre, nous nous abstiendrons sur ce texte, qui comporte, certes, des avancées, mais est bien loin de l’audace que nous attendions et que mérite l’ambition culturelle de la France !

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