Arrestation de députés kurdes

Monsieur l’ambassadeur,

Il n’est pas un jour sans que soient annoncées en Turquie de nouvelles mesures d’atteintes aux libertés publiques, que ce soit contre la liberté de la presse, des médias audiovisuels ou des partis politiques de l’opposition.

Celles-ci sont toujours mises en relation avec la tentative de coup d’Etat du 15 juillet dernier qui a heureusement échoué. Mais c’est bien loin d’être toujours les cas.

Ainsi, dans la nuit de jeudi à ce vendredi, les deux coprésidents et plusieurs députés du HDP ont été placés en garde à vue, une mesure qui risque d’aggraver les tensions dans le sud-est du pays.

Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag, qui dirigent conjointement le Parti démocratique des peuples, ont été interpellés dans le cadre d’une enquête soi-disant « antiterroriste » liée au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), selon l’agence de presse Anadolu. Ces arrestations, ordonnées par le parquet de Diyarbakir représentent un coup de filet sans précédent contre le HDP dont le principal défaut est d’être farouchement opposé au président Erdogan. Avec 59 députés, c’est la troisième force parlementaire du pays qui est ainsi menacée. Au total, 11 députés du HDP ont été placés en garde à vue, selon une liste diffusée par le ministère de l’Intérieur. Parmi eux figurent Idris Baluken, président du groupe parlementaire HDP, et Sirri Süreyya Önder, figure respectée de la cause kurde.

Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag font également l’objet de plusieurs enquêtes pour des liens présumés avec les rebelles kurdes. Selon Anadolu, leur placement en garde à vue aurait été décidé après qu’ils eurent refusé de répondre à des convocations judiciaires.

Cette vaste « opération anti-terroriste » poursuit le glissement de votre pays vers un Etat autoritaire après la levée arbitraire et sans fondement de l’immunité parlementaire de cinquante des cinquante-neuf députés du HDP en mai dernier, l’organisation d’une purge suite à la tentative de coup d’Etat du 15 juillet et la fermeture administrative de 160 médias turcs.

Ce que beaucoup d’observateurs internationaux qualifient plutôt de « contre-coup » d’Etat institutionnel a conduit à l’arrestation de 80 000 personnes et la suspension de 110 000 fonctionnaires. Les arrestations de cette nuit interviennent dans un contexte très tendu, notamment depuis le placement en détention des deux maires de Diyarbakir, le tout dans une ambiance de censure du peu de médias pluralistes qui pouvaient rester dans votre pays, avec blocage cette nuit des réseaux sociaux Twitter et Whatsapp afin qu’aucune information autre que la propagande officielle ne puisse filtrer à l’étranger.

Monsieur l’ambassadeur, cette politique de la terre brulée démocratique me révolte d’autant plus que je connais bien votre pays pour m’y être rendu à plusieurs reprises, et notamment récemment en tant que rapporteur d’une mission d’information parlementaire sur l’Accord UE TURQUIE concernant les réfugiés, rapport adopté à l’unanimité au Sénat.

J’ai un profond respect pour le peuple turc dans toute sa diversité. Je crois que la Turquie peut poursuivre encore son développement et devenir un Etat qui compte dans le Monde. Mais je ne crois pas que cela se fasse sans le respect de la démocratie, de l’Etat de droit, du respect des libertés publiques et notamment de la liberté d’expression. Je ne crois pas non plus que la question kurde sera résolue par la force. Cette stratégie a toujours échouée mais en faisant de trop nombreuses victimes. Seule la voie politique est porteuse d’avenir.

Monsieur l’ambassadeur, dans votre message de prise de fonction, vous évoquez « le riche passé commun » de la France et de la Turquie, « ces deux importantes puissances régionales, qui par leurs identités d’état laïc, démocratique et de justice sociale se sont réunis autour de valeurs et d’objectifs communs ».

C’est au nom de ces valeurs autrefois partagées que je vous demande de bien vouloir transmettre cette très vive protestation auprès de votre gouvernement et vous prie de croire, monsieur l’ambassadeur, à l’assurance de ma considération distinguée.

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