Une solution à court terme

Tribune parue dans Initiatives n°101.

Dresser un tableau de la situation migratoire à Calais et en France n’est pas chose simple compte tenu de la diversité des responsabilités et des approches. Si tout le monde s’accorde pour dénoncer les conditions d’existence des migrants dans ce que les locaux dénomment « la lande », la question de l’évacuation interpelle.

Sur la forme bien sûr, puisque l’annonce du chef de l’État qui rompt avec les plans précédents apparaît davantage comme une mesure électoraliste que comme une réelle solution de long terme. En effet, le démantèlement du camp n’empêchera nullement des milliers de nouveaux réfugiés de venir tant que le passage en Angleterre restera leur objectif. Et on le sait aussi, des milliers d’autres ont déjà quitté le Centre d’Accueil Provisoire et la jungle par peur du « coup de force » pour revenir après.

Mais dans quelles conditions catastrophiques après le démantèlement de toutes les infrastructures d’accueil ? De la même manière, nous dénonçons la circulaire envoyée par le ministre de l’Intérieur aux préfets pour qu’ils libèrent de la « place » dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile, y compris en chassant les déboutés. La question des réfugiés est beaucoup plus large que la seule question du passage en Angleterre, travailler sur la situation des migrants de Calais, c’est aussi et surtout réfléchir sur les causes et les conséquences économiques, sociales, politiques, européennes et internationales qui gravitent autour de cette présence.

Calais pose la question de l’absence de politique d’asile dans notre pays, alors que c’est une tradition historique française à faire vivre auprès de ceux qui ont fui des pays ravagés par des guerres civiles que la politique internationale de puissances occidentales comme la France ont engendrées en Irak, en Syrie ou en Afghanistan. De même, nous avons interpellé à plusieurs reprises le gouvernement sur la situation de non-droit que vivent les mineurs isolés dans la jungle. Mais l’évacuation des réfugiés vers des centres d’accueil ouverts en fait une question nationale, brûlante quand des dirigeants politiques font ouvertement campagne sur le sujet. Mais plus que tout, Calais est un problème européen : absence de consensus sur l’accueil des réfugiés, montée des populistes d’extrême-droite et des conservateurs dans toute l’Europe, dumping social entre pays et notamment entre la Grande-Bretagne et le reste de l’Europe.

Ainsi, la possibilité ouverte de travail au noir en Angleterre fait des côtes anglaises un eldorado bien souvent fantasmé par les migrants et un mirage entretenu par les passeurs. Par ricochet, la formation d’un goulot d’étranglement à Calais et les tensions qu’elle génère impactent l’activité économique du port situé à 300 mètres du camp. Les transporteurs routiers n’en peuvent ainsi plus d’être victimes de la volonté des migrants de monter à bord à tout prix, ce qui leur coûte des amendes de la part des autorités britanniques, quand ils ne sont pas eux-mêmes traumatisés par des découvertes macabres dans leurs camions frigorifiques…

Les salariés du port partent au travail la gorge nouée. L’urgence est donc aujourd’hui de trouver les solutions nécessaires avec les Britanniques pour revoir les Accords du Touquet, permettre l’examen accéléré des demandes d’asile dans les deux pays, accélérer le regroupement familial en Grande-Bretagne des mineurs qui y ont de la famille. Tout cela ne se fera pas en une semaine ni en un mois. D’où la nécessité aussi d’organiser, au moins de manière temporaire, limitée et contrôlée un accueil digne de ce nom pour toutes les situations qui le justifieraient. Tant que ces conditions ne seront pas réunies, le démantèlement total du camp de Calais risque de se transformer en nouvelle catastrophe humanitaire.

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