L’énergie doit être un bien public et le rester

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre système électrique est le produit d’un projet collectif incarné pendant des années par l’entreprise publique EDF-GDF et par ses agents. L’énergie doit être un bien public et le rester.

Notre système électrique constituait aussi, au travers de la péréquation tarifaire, l’affirmation du principe d’égalité de traitement, d’un « pacte républicain » entre mondes rural et urbain, d’une part, et entre zones économiques riches et régions plus défavorisées, d’autre part. Il me semble opportun de rappeler cette partie de notre histoire. En effet, la libéralisation des marchés de l’énergie devait garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité à un coût socialement acceptable : nous en sommes bien loin !
Comment peut-on parler du droit à l’énergie pour tous quand notre pays compte près de 12 millions de précaires énergétiques et que le Gouvernement fait la promotion de l’effacement de millions de foyers en lieu et place de l’effacement habituel des entreprises ?

Ou encore quand les gouvernements successifs renoncent à faire de l’État le garant de la solidarité nationale prenant en charge les activités d’intérêt général nécessaires au développement de la vie collective et le transforment en simple actionnaire parmi d’autres ?

Ce rappel est opportun, car ces ordonnances prévues par la loi de transition énergétique nous sont présentées alors que la Commission européenne est en train d’élaborer le cadre juridique de l’autoconsommation d’énergie renouvelable. Cette évolution des modes de production et de consommation d’énergie, peu conforme à notre vision du problème, se traduit, notamment, par de nouvelles dispositions au sein du « paquet énergie propre » que la Commission vient de présenter.

Ce « paquet d’hiver » présenté le 30 novembre 2016 comporte plusieurs propositions de modifications des textes relatives au marché intérieur de l’électricité, à l’efficacité énergétique ou bien encore aux énergies renouvelables. L’un des éléments les plus structurants de ce paquet « énergie propre » tient à la volonté affichée par la Commission de donner aux citoyens européens un pouvoir de contrôle plus grand sur leur production et sur leur consommation d’énergie.

Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, l’autoconsommation bénéficie d’une reconnaissance et d’un cadre juridique. C’est dans ce contexte de démantèlement d’un modèle centralisé ayant démontré son efficacité qu’il faut aborder ce projet de loi ratifiant l’ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables.

Il en est ainsi des mesures qui ont en commun de modifier diverses dispositions du code de l’énergie concernant les conditions de raccordement des énergies renouvelables aux réseaux publics de distribution d’électricité, les sites fortement consommateurs d’électricité ou de gaz naturel ou la valorisation des garanties d’origine de la production d’électricité renouvelable bénéficiant de l’obligation d’achat.

Ces ordonnances s’inscrivent au cœur de la transition énergétique. Nous regrettons néanmoins que l’on mélange la production d’énergies renouvelables et l’autoproduction ou l’autoconsommation.

En ce qui concerne l’autoconsommation, le projet de loi fixe une définition très large. Apparaît ainsi la possibilité d’une autoconsommation collective, ce qui est nouveau. Des logements collectifs ou des centres commerciaux pourront produire leur propre électricité en fonction de leurs besoins de consommation, par exemple par le biais d’installations photovoltaïques. En soi, c’est une bonne chose. En revanche ce qui est plus problématique, c’est qu’ils pourront la vendre et déroger à l’obligation de conclure un contrat de vente avec un tiers pour le surplus d’électricité non consommée.

La production d’électricité à partir d’énergies renouvelables est l’objet de la seconde ordonnance, qui comporte de nombreuses dispositions, parmi lesquelles la possibilité de recourir à d’autres procédures de mise en concurrence que l’appel d’offres. La procédure d’appel d’offres pourra notamment être remplacée par la procédure de dialogue concurrentiel, inspirée du dialogue compétitif utilisé en matière de commande publique.
Comme l’ont souligné nos collègues de l’Assemblée nationale, si la mise en place de cette nouvelle procédure pour les installations de production d’électricité a été saluée par la Commission de régulation de l’énergie, elle nous éloigne un peu plus de l’objectif d’une maîtrise publique accrue du secteur de l’énergie renouvelable. Devons-nous continuer dans la voie du développement de ces filières très capitalistiques pour le plus grand profit de quelques opérateurs privés ?

Nous approuvons les dispositions de l’article 2, qui vise à interdire la valorisation des garanties d’origine de la production d’électricité renouvelable bénéficiant déjà d’un soutien public.

Nous ne pouvons continuer de faire payer aux consommateurs le surcoût de l’aide aux investisseurs éoliens, répercutée dans la contribution au service public de l’électricité, alors que ces filières ont atteint la maturité économique et que le chiffre d’affaires de l’éolien, en France, s’élève aujourd’hui à plus de 10 milliards d’euros. Mme la secrétaire d’État a d’ailleurs rappelé que la construction de la première usine d’éoliennes terrestres était en cours.
À nos yeux, nous l’avons dit et répété, les marchés et le recours exclusif au secteur privé, avec leurs logiques de profit à court terme, ne peuvent nous permettre de nous hisser à la hauteur des enjeux de la transition énergétique, qui nécessitent des temps longs et d’importants investissements publics.
Enfin, le Conseil d’État saisi pour avis sur ce texte considère que « de façon générale, l’étude d’impact transmise par le Gouvernement est très insuffisante, voire confuse sur les objectifs poursuivis », et ce sur tous les sujets abordés, qu’il s’agisse de la garantie d’origine, de la modulation des tarifs de réseau pour les entreprises fortement consommatrices d’électricité ou de gaz, de l’impact sur les consommateurs ou encore des conséquences pour le réseau du changement de gaz.

Certes, l’autoconsommation avait besoin d’un cadre légal. Toutefois, comme le souligne le rapporteur, celle-ci présente « des risques pour la couverture des coûts du système électrique et le financement de la transition énergétique ». En effet, elle « pourrait conduire à des transferts de charges significatifs entre les autoconsommateurs et les autres utilisateurs ainsi qu’à des baisses de recettes fiscales ».

À cet égard le texte organise l’exonération de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, pour les autoconsommateurs, même lorsque ceux-ci ne consomment pas entièrement l’énergie produite, ce qui implique un report sur les autres consommateurs.

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, en particulier la casse de notre système unifié de production et de distribution de l’énergie, nous ne voterons pas ce projet de loi.

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