Retraite complémentaire agricole

par Gérard Le Cam

Votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, la création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire en faveur des non-salariés agricoles est très attendue des agriculteurs. Les chefs d’exploitation agricole ont en effet été exclus du progrès social dont ont peu à peu bénéficié les autres catégories socioprofessionnelles.

Une retraite agricole décente est une impérieuse nécessité, d’autant plus qu’elle intervient après une longue vie de dur labeur. Pour nombre d’agriculteurs, les 40 années de travail sont souvent largement dépassées !

Comment ne pas souligner, aussi, l’extraordinaire mutation qu’a connue notre agriculture depuis la fin de la seconde guerre mondiale : en quelques décennies, le métier des agriculteurs s’est compliqué, exigeant simultanément le recours aux technologies nouvelles pour rationaliser le travail, et aux biotechnologies pour accroître la productivité.

Les performances accrues en matière de technicité auraient mérité une traduction en termes de revenus ! Par leur travail, nos paysans auront permis à la France d’accéder en quelques décennies à l’autosuffisance alimentaire et de devenir la deuxième puissance exportatrice de produits agroalimentaires. Chacun a conscience des efforts, tant quantitatifs que qualitatifs, qu’ils ont consenti depuis la fin de la seconde guerre mondiale, efforts qui comme le déclarait notre collègue Leyzour le 11 décembre dernier lors du débat à l’Assemblée nationale, créent des droits et justifient la reconnaissance de la nation.

Peut-on vivre aujourd’hui dignement avec des pensions aussi modestes ? Ce niveau qui constitue tout juste un minimum de subsistance ne peut qu’engendrer des privations et frustrations de toutes sortes face aux nouveaux besoins engendrés par la vie moderne. Les générations présentes ne vivent plus comme les anciens qui, bon gré mal gré, trouvaient place dans l’exploitation qu’ils avaient cédée à leurs enfants et au sein de laquelle ils continuaient à accomplir divers travaux. Outre que dans bien des cas, les exploitations ne sont plus reprises par les enfants, les modes de vie agricole ont évolué et se sont rapprochés des standards des autres catégories socioprofessionnelles.

La justice sociale requérait qu’on franchisse une étape supplémentaire. Cette proposition de loi devrait donc permettre aux chefs d’exploitation retraités de compléter leur pension de base de 74 euros, atteignant ainsi 75 % du S.M.I.C. net. Notre groupe n’a eu de cesse de réclamer une revalorisation portant la retraite des non-salariés agricoles à 75 % du S.M.I.C. brut pour 2002. Dès la loi de finances pour 1999, nous avions souhaité que les pensions des autres catégories atteignent le minimum de 3 000 francs. Nous nous sommes toujours battus en faveur de la revalorisation des pensions de base, toutes catégories d’actifs agricoles confondues. La mise en place d’un système de retraite complémentaire est certes une avancée mais l’augmentation des pensions de base doit demeurer un objectif prioritaire.

Nous regrettons que les conjoints, principalement des femmes, soient exclus du nouveau régime. C’est une injustice perpétrée à leur encontre, un grave retard à l’heure de la parité ! Là aussi, nous attendions de notables avancées.

Il devient urgent de corriger une autre injustice sociale, celle qui ne permet pas encore aux agriculteurs de disposer de la mensualisation. Le coût en serait certes important, il a été estimé à 8,8 milliards de francs. La M.S.A. a quelques réticences à se séparer d’une trésorerie conséquente qu’elle sait bien gérer et valoriser.

Si la proposition de loi de notre collègue César est ambitieuse et généreuse, un mystère demeure : pourquoi n’a-t-elle pas vu le jour lorsque la droite était au gouvernement ?

M. CÉSAR, rapporteur pour avis. La gauche y est depuis si longtemps ?

M. LE CAM. La solidarité nationale à l’égard du monde agricole devrait être plus conséquente, d’autant que le nombre d’actifs par rapport aux retraités a fortement diminué et n’est plus que de quatre pour dix. Limitée à 182 millions d’euros selon l’hypothèse la plus haute avancée par le rapporteur, la participation de l’État est trop faible pour permettre l’extension du régime complémentaire aux conjoints-collaborateurs et aides familiaux ainsi qu’à l’ensemble des actuels conjoints-survivants par le biais des pensions de réversion. Cette extension alourdirait tellement le poids des cotisations que les non-salariés les plus modestes seraient incapables d’y faire face. Or ils sont de plus en plus nombreux.

L’Institut national de la recherche agronomique a montré que, depuis dix ans, les inégalités de revenus dans l’agriculture se sont fortement accrues. Actuellement, 40 % des exploitations dégagent un revenu par actif familial à temps complet inférieur au S.M.I.C. Parmi ces exploitations figurent à la fois les petites exploitations qui se sont excessivement endettées en tentant d’accroître la productivité de leur installation et celles, faiblement modernisées, qui n’ont pu s’inscrire dans le modèle productiviste. Y figurent aussi celles situées sur des marchés faiblement organisés ou dont les prix connaissent d’importantes fluctuations : maraîchage, arboriculture, élevages porcins et avicoles, viticulture ordinaire. Les petites exploitations, pourtant utiles à l’aménagement du territoire, ont du mal à persister et à dégager un revenu convenable ­ qui, de plus, est absorbé par la filière aval et par la grande distribution.

Si la solidarité nationale doit jouer, la solidarité doit aussi s’exercer à l’intérieur de la profession agricole ! De ce point de vue, le financement du nouveau régime de retraite complémentaire soulève de nombreuses interrogations. Il n’est pas tolérable que les plus faibles revenus soient soumis à une surcotisation, et il est nécessaire que l’aide de l’État soit dégressive en fonction de la progressivité du revenu. Les exploitations aux revenus les plus élevés peuvent bénéficier d’une retraite complémentaire par capitalisation.

Un revenu annuel de 35 000 francs soumis à la cotisation forfaitaire contribuerait à une cotisation réelle de 7,2 %. Plus d’un tiers des exploitants agricoles ont un revenu inférieur à ce niveau. Un revenu annuel de 20 000 francs contribuerait à une cotisation réelle de 12,6 % et un revenu annuel de 10 000 francs y contribuerait pour 25 %. À l’autre extrême de l’échelle des revenus, soit pour la tranche des revenus supérieure à 2 028 S.M.I.C. horaires, la contribution réelle serait fixe et limitée à 2,84 % ! Parallèlement, la contribution de l’État s’élèvera en fonction de l’augmentation des revenus. Pour la tranche des revenus élevés, la participation de l’État ne devrait plus intervenir en allégement de cotisations pour les revenus supérieurs au plafond de sécurité sociale. Les revenus les plus élevés bénéficient de déductions fiscales non négligeables, évidemment inaccessibles aux non imposables ! Non seulement, donc le nouveau système ne bénéficie pas à l’ensemble des non-salariés agricoles mais son mécanisme assis sur une cotisation forfaitaire pour l’assiette des revenus inférieurs à 2 028 S.M.I.C. horaires et sur une cotisation à taux fixe de 2,84 % pour les tranches de revenus supérieures à ce seuil, est particulièrement inégalitaire !

Je ne doute pas, monsieur le Ministre, que vous effectuerez les ajustements nécessaires à une meilleure justice sociale. Soumettre les revenus les plus faibles à une cotisation forfaitaire qui se traduirait dans les faits par une surcotisation constituerait une grave aberration, à laquelle le groupe C.R.C. ne saurait s’associer.

Nous voterons, cette proposition de loi qui devrait permettre aux chefs d’exploitation d’accéder à une retraite un peu plus digne. C’est un pas en avant et nous ne pratiquons pas la politique du tout ou rien.

Nous serons cependant attentifs à ce que certaines corrections soient apportées au mécanisme de base.

Ce n’est qu’une étape : les insuffisances en matière de niveau de retraite, de parité, de proportionnalité contributive dessinent assez bien le chemin qui reste à parcourir. Les solidarités de l’État, de la profession et de l’aval de la filière agricole devront à nouveau être sollicitées pour que demain le monde des agriculteurs ne soit plus un monde à part.

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