On peut s’interroger sur le périmètre de notre aide au développement, trop autocentrée

On peut s'interroger sur le périmètre de notre aide au développement, trop autocentrée - Loi de finances pour 2019 : aide publique au développement (Pixabay)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons avec cette mission ce qui devrait être l’un des axes majeurs de la politique internationale de la France. Or notre pays n’a jamais été au rendez-vous de l’engagement international fixant à 0,7 % du PIB l’aide publique au développement. Longtemps, nous nous en sommes même éloignés.

Pour la première fois, le budget inverse la trajectoire, et c’est tant mieux, mais en fixant d’emblée un objectif pour 2022 qui reste inférieur à 0,7 %. Si la trajectoire est nouvelle, l’ambition nécessaire n’est pas encore au rendez-vous.

Cette discussion reprendra très vite, dès 2019, avec le projet de loi de programmation de l’aide publique au développement. J’espère que nous réviserons à la hausse l’ambition affichée – pour ce qui nous concerne, nous travaillerons en ce sens. Ce serait un signe fort de réorientation de notre politique extérieure, aujourd’hui clairement dominée par la militarisation de nos relations internationales.

Si l’on ajoute la LPM, les OPEX et le niveau des ventes d’armes, dont nous sommes champions, on mesure à quel point l’APD fait figure de parent pauvre de notre politique internationale. Or c’est un grave contresens historique, tant le développement et la réduction des inégalités mondiales sont aujourd’hui les véritables clefs de la paix et de la sécurité collective mondiales. Je note toutefois que, adossées à l’effort budgétaire nouveau annoncé, la création d’un conseil de développement et la réactivation du conseil d’orientation stratégique de l’AFD constituent de premiers pas vers un nouveau pilotage de notre politique en la matière. Néanmoins, la trajectoire budgétaire appelle plusieurs remarques.

Selon le budget triennal proposé par le Gouvernement, les crédits budgétaires devraient progresser de manière exponentielle : cette hausse devrait être de 4,9 % en 2019, de 10,3 % en 2020, puis de 51,4 % en 2021 et 2022. À terme, l’abondement public atteindrait ainsi 7 milliards d’euros, contre 2,8 milliards d’euros aujourd’hui. L’effort est important, mais il est renvoyé dans le temps, ce qui laisse planer un doute regrettable quant au respect de la trajectoire annoncée.

Pour cette année, le Gouvernement annonce une progression de 1,4 milliard d’euros, mais la hausse réelle est plus limitée. En effet, 1 milliard d’euros crédité cette année ne pourra être décaissé que sur plusieurs années, et 270 millions d’euros proviennent d’une réécriture budgétaire, avec l’inscription dans la mission des fonds provenant initialement de la taxe sur les transactions financières.

À ce propos, nous regrettons vivement la décision de diminuer la part de cette taxe dédiée à l’aide au développement. Elle laisse craindre de futures amputations du même type. Pourtant, des leviers existent pour atteindre et surpasser les objectifs annoncés par le Président de la République. Plusieurs organisations ont fait, en ce sens, des propositions que nous avons choisi de relayer par nos amendements au titre de la première partie du projet de loi de finances. Ainsi, en réorientant la totalité du produit de la TTF et de la taxe sur les billets d’avion, et en lissant sur l’ensemble du quinquennat la hausse des crédits, nous aurions pu obtenir une trajectoire montant plus rapidement ; ce faisant, les objectifs finaux auraient même été dépassés.

D’autres questions essentielles demeurent, quant au périmètre et aux objectifs de notre aide au développement. Notre politique reste étroitement autocentrée.

Monsieur le ministre, vous avez souligné qu’« il faut reconnaître comme légitime le lien entre notre effort de solidarité et les bénéfices à en attendre pour notre pays ». Mais cette action est-elle bien à la hauteur de la situation ? Est-ce bien comprendre les enjeux du développement, quand la survie de la planète et le développement humain sont en cause ? Est-ce cette logique qui nous conduit, par exemple, à considérer que la régulation de l’immigration est du ressort de notre aide publique au développement, à y inclure le financement d’accords discutables avec la Turquie ? Ce choix est d’autant plus discutable que le développement des pays favorisera nécessairement des migrations à court et moyen terme. Ces dernières seront alors conçues comme des vecteurs d’échanges et des chances d’élévation sociale. Cette conception restrictive de l’APD est d’ailleurs contraire aux intentions premières de la déclaration de Paris et des principes de Busan.

À nos yeux, la volonté exprimée d’inscrire dans l’APD des dépenses de sécurité et de défense est également très contestable. Procéder ainsi, c’est prendre le problème à l’envers, quand l’insécurité naît de plus en plus de l’accumulation des inégalités de développement.

Par ailleurs, à une question que je vous avais posée, vous aviez répondu le 30 août dernier que vous comptiez lever les freins au soutien financier du secteur privé et inscrire ces investissements comme partie intégrante de l’APD. Si le secteur privé investit à l’étranger via des fondations, c’est tant mieux. Mais l’État ne peut arguer de ces initiatives pour freiner les engagements propres du développement public.

Vous le constatez, ces choix nous inspirent de multiples réserves – et je pourrais en détailler d’autres. Nous aborderons avec exigence le débat décisif que nous consacrerons au projet de loi de programmation en 2019.

Les membres de notre groupe ne pourront pas voter ce budget. Nous soulignons les progrès accomplis, mais nous souhaitons que la France s’engage au plus vite vers un effort autrement ambitieux, vers une réelle réorientation des aides apportées.

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