Lutte contre les discriminations au travail

par Roland Muzeau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, adoptée le 12 octobre dernier par l’Assemblée nationale, est un texte important qui permet de compléter efficacement les dispositifs existant déjà dans ce domaine, que ce soit à l’occasion de l’embauche d’un salarié ou dans le déroulement du contrat de travail de ce dernier.

Si, au fil des ans, le législateur a jugé utile de se doter de mesures nouvelles permettant de mieux qualifier, et donc de mieux prendre en compte, les pratiques discriminatoires subies par les salariés ou par les candidats à une embauche, c’est principalement en raison d’une augmentation intolérable du nombre de ces actes, liée au chômage massif de ces trente dernières années, chômage qui a complètement déséquilibré la relation salarié-employeur, au détriment exclusif des salariés.

Même si la situation de l’emploi s’améliore régulièrement depuis trois ans, la lutte contre le chômage n’est pas encore gagnée, et il convient donc de mieux protéger les candidats à l’emploi ou les salariés contre les pratiques discriminatoires intolérables de certains employeurs qui s’étaient trop habitués, ces dernières années, à avoir des exigences, parfois démentielles, en matière de recrutement, et ce en raison de la persistance d’un chômage très important.

Le texte qui nous est proposé est donc tout à fait d’actualité et parfaitement pertinent puisque - faut-il le rappeler ? - 40 % des cas de discrimination concernent l’emploi et que l’arsenal législatif actuel est souvent insuffisant pour lutter efficacement contre des pratiques discriminatoires parfois très insidieuses et dont la réalité est toujours difficile à établir pour le salarié ou le candidat qui en est victime.
Nous savons tous, pourtant, que les discriminations frappent encore durement de nombreux salariés, notamment lorsqu’ils sont titulaires de mandats syndicaux.

C’est là une réalité malheureusement incontournable, et il faut se féliciter de l’action des organisations syndicales, qui ont dénoncé ces injustices.
Vous avez tous en mémoire la reconnaissance par la direction de Peugeot, en avril 2000, de la discrimination pour fait syndical dont ont été victimes pendant des années 169 militants de la CGT, discrimination qui a donné lieu à réparation et à une indemnisation globale de 10 millions de francs.

De telles situations sont, hélas ! également vécues chez Thomson, Renault, à la SNECMA, qui figurent parmi les plus prestigieuses entreprises françaises.
Les exemples de salariés et de militants syndicaux victimes de discriminations pour le seul motif de fait syndical sont, vous le savez bien, très nombreux. Mais pour un cas de discrimination sanctionné, combien sont ignorés ?

Le texte que nous examinons aujourd’hui répond, selon nous, de façon intéressante à ces problèmes.
D’une part, il élargit la notion de discrimination en l’étendant à l’orientation sexuelle, à l’apparence physique et au patronyme, et il complète les textes existants en prenant en compte les discriminations subies par un salarié sur l’ensemble de sa carrière.
Par conséquent, le texte protège mieux les salariés contre les discriminations en matière d’affectation, de mutation, de rémunération et de formation professionnelle.
En cela, il complète les textes législatifs actuels, qui s’attachent surtout à la protection des salariés à l’embauche et en cas de licenciement.

La proposition de loi traite aussi de l’interdiction des discriminations dans l’accès aux stages. De nombreux élèves, tenus d’effectuer un stage en entreprise dans le cadre de leur scolarité, ont en effet souvent d’énormes difficultés à trouver un employeur qui accepte de les accueillir, et ce en raison de leur origine ou de la consonance de leur nom, voire de leur adresse. Le fait qu’ils possèdent la nationalité française ne change rien à l’affaire.

Cette situation n’est pas tolérable, car elle constitue immanquablement un obstacle majeur à l’intégration de ces jeunes, en les privant d’une formation nécessaire à l’obtention de leur diplôme.
D’autre part, le texte s’attaque à un aspect fondamental de la discrimination, en aménageant la charge de la preuve.
Jusqu’à présent, en effet, il incombait au salarié d’apporter les preuves que son employeur avait eu à son encontre des pratiques discriminatoires. Or, le salarié a très peu de possibilités d’accès à des documents prouvant la véracité de ses accusations.
D’ailleurs, la rareté des procédures engagées et le nombre infime d’employeurs condamnés pour pratiques discriminatoires témoignent à eux seuls de la difficulté pour les salariés d’obtenir réparation pour les préjudices subis.

Le texte prévoit donc que le salarié a à présenter des éléments de fait laissant supposer qu’il est victime d’une discrimination. Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que la différence de traitement appliquée à ce salarié est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il appartient enfin au juge de se faire une opinion et de prendre sa décision.

En cela, le texte n’inverse pas, comme ont trop tendance à le dire certains, la charge de la preuve ; il ne fait que l’aménager. Ce point essentiel de la lutte contre les discriminations constitue, selon nous, un réel progrès, que nous attendions depuis longtemps.

Enfin, le texte permet aux syndicats d’intenter une action en faveur d’un salarié ou d’un candidat à l’emploi sans être mandaté par l’intéressé, à condition que celui-ci ne s’y oppose pas. Cela vaut aussi pour les syndicats représentatifs sur le plan national, lorsque aucune organisation syndicale n’est présente dans l’entreprise.
De plus, les associations peuvent saisir les syndicats pour leur demander d’intenter une action.

Comme nous l’avons dit, ce texte améliore les dispositifs existants en matière de discrimination.
Nous souhaitons cependant lui apporter quelques améliorations, notamment en ce qui concerne la transmission des documents à l’inspection du travail et aux organisations syndicales. Nous avons déposé des amendements en ce sens.
Il faudra bien, un jour, traiter - mais je sais, monsieur le ministre, que vous êtes parfaitement conscient de ce problème - le cas des personnels intérimaires qui travaillent depuis des années à temps plein sur des postes permanents, et ce sans réelle perspective d’embauche.

Il s’agit, certes, d’une autre forme de discrimination, mais elle n’en est pas moins douloureuse.
Les réponses à nos demandes, ainsi que les infléchissements et les modifications que ne manqueront pas d’apporter nos collègues de la majorité sénatoriale détermineront notre vote.

C’est donc avec la plus grande attention que nous suivrons les débat et que nous y participerons, avec la ferme volonté de voir aboutir un texte juste et équilibré, prenant pleinement en compte les aspirations des salariés.
Explication de vote

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous prenons acte du fait que ce texte apporte de réels progrès dans la lutte contre les discriminations.

Certaines avancées ont été obtenues lors de notre débat. Il en est ainsi de l’élargissement de l’action des inspecteurs du travail pour l’accès à tous les documents nécessaires à l’établissement de leur avis. Il en est de même de la précision apportée à la notion de " race " et des conditions de la recevabilité des listes de candidats aux élections prud’homales.

Malheureusement, trop d’amendements de la commission des affaires sociales limitent la portée du texte. Pour nous, il ne peut être question de ne pas en tenir compte. Cela nous conduit à constater, une nouvelle fois, que les efforts législatifs visant à faire appliquer les droits des salariés et des organisations syndicales sont estompés, voire supprimés.
Nous nous sommes opposés à l’essentiel de l’article 1er, à la totalité de l’article 2 modifié par la majorité sénatoriale, ainsi que de l’article 4.

Nous souhaitons que l’Assemblée nationale rétablisse nombre de dispositions initialement retenues. Ainsi, nous, sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, sommes contraints, en l’instant, de voter contre le texte ainsi modifié et nous en appelons à nos collègues de l’Assemblée nationale pour rétablir l’avis que les salariés ont émis depuis bien des années auprès du pouvoir législatif.

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