L’Europe de l’argent persiste et signe

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire en cours et le plan de relance consécutif, le Brexit et ses répercussions, bien tangibles sur le budget commun à venir, conjugués à la détermination en cours du cadre financier pluriannuel de l’Union pour les sept prochaines années confèrent à l’examen de ce budget annuel une importance toute particulière.

Ce contexte explique de fait la croissance du budget européen pour 2021, et mécaniquement, celle de la part de la contribution de la France. Le budget prévu au titre de la participation de la France au budget européen s’élève à 26,9 milliards d’euros, soit une hausse de 5,9 milliards d’euros par rapport à 2019 et de 3,5 milliards d’euros par rapport à la prévision revue de 2020. Cela représente environ 7,1 % des dépenses pour notre pays.

À ce budget, nous ne pouvons que donner notre blanc-seing, puisque la marge de manœuvre de notre parlement est infiniment faible, voire inexistante, sans parler de l’enrobage très consensuel que le Gouvernement nous propose, alors que rien n’est encore entériné, les États membres peinant à s’harmoniser sur les conclusions de cet accord, de surcroît mis à l’arrêt par la Hongrie et la Pologne ce lundi pour des questions de respect de l’État de droit.

Mais surtout, mes chers collègues, laissez-moi vous dire que ce plan de relance n’a rien d’historique. En effet, en tant que contributrice nette, la France devrait, certes, recevoir 40 milliards d’euros immédiatement, mais, dès 2028, elle devra rembourser 75 milliards d’euros sur trente ans. Jamais nous n’aurons autant contribué au budget de l’Union européenne, et jamais nous n’aurons reçu aussi peu.

Pourquoi pas, me direz-vous, puisque nous prônons l’Europe de la solidarité ? Certes, mais l’Europe de la solidarité ne doit pas être l’apanage de quelques États membres, quand d’autres, plutôt partisans d’une Europe des concurrences nationales, bénéficient de rabais exponentiels tout en continuant d’abriter de grands groupes adeptes du dumping social et fiscal.

Ainsi, l’Europe de l’argent persiste et signe. Pourtant, des solutions de financement pour avancer vers une union européenne en commun et solidaire existent. J’en mentionnerai au moins deux importantes.

La première consisterait à s’appuyer sur l’immense pouvoir de refinancement de la Banque centrale européenne, seul acteur à même de redonner aux États une marge de manœuvre budgétaire plus que jamais nécessaire aujourd’hui. À la fin du mois de septembre dernier, la BCE ne détenait pas moins de 2 550 milliards d’euros de dettes des États membres, dont un quart de la dette française.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement s’honorerait à travailler à la tenue d’une conférence européenne sur la dette, afin d’en annuler une partie et de restructurer l’autre.

Par ailleurs, au terme de l’accord de juillet, une seule et unique ressource propre a été créée – la contribution assise sur la part d’emballages plastiques non recyclés –, la mise en œuvre progressive de plusieurs autres ressources propres étant prévue… Cela est bien timide, trop timide, et plus que décevant eu égard à la création de la ressource propre qui permettrait à elle seule de financer le plan de relance – beaucoup de collègues l’ont évoquée –, à savoir la taxe sur les transactions financières.

Le projet de directive visant à introduire la taxe sur la spéculation est pourtant sur la table depuis 2013. Vendredi dernier, le 13 novembre, le Parlement a encore exprimé cette demande dans une résolution sur le financement du green deal votée par 68 % des députés. Selon une estimation de la Commission européenne, cette taxe rapporterait 81 milliards d’euros par an – entre 50 milliards d’euros et 60 milliards d’euros sans le Royaume-Uni, où la finance fait florès – si on ne la fixait qu’au taux de 0,1 % sur chaque transaction financière. Le rapporteur général du budget européen, Pierre Larrouturou, s’est évertué à le faire entendre avec sa grève de la faim, achevée voilà quelques jours seulement.

La Commission européenne est appelée à réfléchir sur la mise en place de cette taxe par le Conseil de l’Union, afin, paraît-il, « de mettre des grains de sable dans les rouages du capitalisme financier et de ses excès ».

Nous vivons une crise sanitaire économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Tout est à rebâtir, et les rouages du capitalisme financier sont trop bien huilés, trop bien gardés pour être empêchés par quelques grains de sable. Il faut s’en prendre au mécanisme même et à ceux qui l’activent. Ils sont nombreux et puissants. C’est pourquoi la réponse doit être considérable et intraitable.

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