L’UE est de plus en plus vue comme une machine bureaucratique et un espace de concurrence déloyale

L'UE est de plus en plus vue comme une machine bureaucratique et un espace de concurrence déloyale - Accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne (Friedemann W.-W. - https://flickr.com/photos/e2/)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, presque cinq ans après le vote des Britanniques exprimant leur volonté de sortir de l’Union européenne et à l’issue d’un an de négociations difficiles entrecoupées par la crise sanitaire, un accord a enfin été trouvé. La performance mérite d’être soulignée tant la situation est inédite.

Ainsi, l’Union européenne a dû faire avec un gouvernement Johnson aux abois jouant, durant tout le processus, son avenir et sa crédibilité. La situation est également historique : un pays – et pas n’importe lequel – a fait le choix de quitter l’Union européenne. Puissance économique et diplomatique, Londres en était un pilier. Ce constat impose une réflexion sur l’organisation de l’Union européenne elle-même et les réticences qu’elle peut susciter. Je partage ainsi pleinement le souhait du président de la commission des affaires étrangères de bien analyser les causes profondes du choix de nos amis britanniques, choix qui a un effet direct sur la construction européenne.

Plus qu’un espace de solidarité et d’harmonisation, l’Union européenne est de plus en plus vue comme une machine technocratique et un espace de concurrence déloyale. La France, pourtant aux origines mêmes de la communauté européenne, n’est pas épargnée : « Même atténuée, l’ombre du Frexit demeure », comme le titrait Le Monde au mois de décembre dernier. La privatisation passée ou à venir de plusieurs entreprises et services publics et la gestion parfois erratique de la crise sanitaire n’ont fait que donner des arguments supplémentaires aux tenants de la sortie.

À bien des égards, cet accord post-Brexit comporte des dispositions essentielles qui vont dans le bon sens. Toutefois, elles doivent encore être interrogées.

En premier lieu, contrairement à ce que souhaitait Boris Johnson, l’Europe n’aura pas, à ses portes, un concurrent britannique non tenu par les normes sanitaires, sociales et environnementales. Cela aurait été une catastrophe à tous les niveaux pour les Européens et leurs entreprises.

En second lieu – c’est un nouvel élément à mettre au crédit de Michel Barnier –, les eaux les plus poissonneuses de l’espace européen ne seront pas fermées. Mieux, l’abandon de 60 % des prises des pêcheurs européens a été largement revu à la baisse : il a été fixé à 25 % pour les cinq prochaines années. Cette situation reste toutefois moins favorable aux pêcheurs que la politique commune européenne. Si la Commission européenne commence à rattraper son retard, les délivrances de licences aux pêcheurs ont traîné.

Les ports des Hauts-de-France ont fortement pâti de cette situation. Il faut rappeler que 70 % de la pêche artisanale et 96 % de la pêche hauturière de Boulogne-sur-Mer, par exemple, se font dans les eaux britanniques. Or, il y a quinze jours, seuls seize des cent cinquante bateaux avaient obtenu le précieux sésame leur permettant de travailler. À Dunkerque, la pêche artisanale, déjà dramatiquement affaiblie par la concurrence et la diminution des ressources halieutiques causée par la pêche électrique, risque de disparaître totalement.

Sur ces deux sujets, et c’est mon premier point d’inquiétude, cet accord n’est que temporaire. La bonne nouvelle est que cela implique un dialogue nourri entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ; la mauvaise est que la situation reste instable et pourrait se dégrader.

Ainsi, les Européens ont échoué à mettre en place un mécanisme d’alignement dynamique des normes. Je parlais tout à l’heure des évolutions que devait opérer l’Union européenne pour maintenir l’adhésion volontaire des États membres. La question de la production responsable doit faire partie des chantiers prioritaires et nous pouvons espérer un renforcement des normes dans les années à venir.

De fait, l’absence de mécanisme de réalignement risque de conduire à des normes britanniques en deçà des standards européens. Il ne faudrait pas que, d’un côté, l’Union européenne se résigne à ne pas renforcer la protection des Européens et que, de l’autre, on se retrouve dans la situation tant redoutée de dumping.

En matière de pêche, ne risquons-nous pas d’assister, en 2026, à une reprise en main britannique de ses eaux poissonneuses ? La question se pose. L’Union européenne peut-elle garantir la protection des pêcheurs européens, lorsque Londres pourra renégocier annuellement avec, à n’en pas douter, l’ambition d’augmenter le taux d’abandon des prises européennes ?

Tout reste à faire dans ce domaine. La City reste une plaque tournante essentielle de la finance mondiale. Les annonces récentes de Boris Johnson doivent nous inquiéter. Il envisage en effet de créer dix ports francs sur son territoire, à l’instar de ceux qui existent au Luxembourg ou en Suisse. Nous pourrions ainsi avoir à nos portes un « Singapour sur Tamise ».

Il y a bien eu quelques transferts en direction d’Amsterdam, de Dublin et même de Paris, mais la suprématie de la City n’est pas entamée sur le fond. Les récentes révélations OpenLux doivent, plus que jamais, appeler l’Union européenne à agir résolument contre les paradis fiscaux en son sein. Voilà encore un axe sur lequel l’Union européenne doit impérativement travailler. Comment s’étonner d’un rejet de l’Union européenne quand on assiste, dans le même temps, à une chasse aux services publics à l’échelon européen, à un refus permanent de politiques fiscales ambitieuses et solidaires comme la taxation des transactions financières et, trop souvent, à une indifférence coupable en ce qui concerne les paradis fiscaux ?

Cet accord de coopération constitue, à bien des égards, la conclusion d’un épisode qui marquera l’histoire européenne. Ce dernier doit nous obliger à réinterroger le fonctionnement et la visée de l’Union européenne. C’est d’autant plus central quand on voit avec quelle difficulté le moindre acte de solidarité entre ses pays membres est âprement négocié, à l’image du plan de relance européen.

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