Les premiers bénéficiaires de cet avenant sont les grands groupes français

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « gagnant-gagnant », « perdant-perdant », « gagnant-perdant », « perdant-gagnant » : il est parfois difficile, dans un accord international, qui plus est lorsqu’il est question de limiter la double imposition entre deux États, de trouver un gagnant. Ici, il n’y a nulle ambiguïté. Sur dix articles, le score est sans appel : neuf à un, la France semble l’emporter haut la main !

M. Jérôme Bascher. Excellent !

M. Éric Bocquet. Bien qu’il n’y ait pas de contentieux entre les deux États, le gouvernement français a jugé bon de diminuer les ressources fiscales argentines pour en récupérer autant. Certes, les finances publiques françaises sont en difficulté, on le sait, mais une analyse de la situation économique et sociale du peuple argentin aurait peut-être dû nous inspirer plus d’égards. L’Argentine connaît en effet une récession latente depuis trois années, laquelle a atteint 12,1 % en 2020 ; un taux de chômage de 13,1 %, ce qui constitue un triste record depuis 2004 et une inflation massive, qui pourrait atteindre 40 % en 2021. Enfin, la pauvreté devrait toucher six enfants sur dix.

Les premiers bénéficiaires de cet accord seront notamment les grands groupes français qui se trouveront en situation de concurrence significativement avantagée. À cet égard, l’article 7 de l’avenant prévoit que la France bénéficiera automatiquement du traitement le plus favorable que l’Argentine accorderait à autre État. La France a décidément obtenu beaucoup d’un pays qu’elle qualifie de « partenaire ».

La situation est bien résumée dans l’étude d’impact. La France n’a fait qu’une seule concession, en contrepartie de la renonciation par l’Argentine à une imposition plus large des services rendus dans le pays par les entreprises françaises. Elle a consenti à la taxation des établissements stables, mais uniquement de services, seulement sur les bénéfices nets, à partir de 183 jours : c’est aux antipodes de la volonté initiale de nos partenaires argentins !

Pourtant, cette affaire s’est réglée en un seul tour de négociation, et pour cause : les bailleurs privés et la troïka maintiennent une pression constante sur le pays depuis soixante ans. Pour quel résultat ?

Pour la neuvième fois de son histoire, le 22 mai dernier, l’Argentine a encore fait partie des six pays à avoir renégocié sa dette ou à avoir fait défaut en 2020. En conséquence, ses créanciers, dont BlackRock, ont refusé la première offre de restructuration de la dette proposée par le gouvernement argentin. Ils n’ont pas voulu d’une réduction de 5,4 % du principal et de 62 % des intérêts.

L’accord s’est fait sur une réduction du capital trois fois moins importante et sur une baisse du taux d’intérêt moyen de 7 % à 3,07 %. On prêtait à la vingt et unième économie du globe à un taux de 7 % en moyenne ! L’opération n’aura entraîné une atténuation des gains escomptés par les bailleurs que d’environ 11 %.

Si nous ne pouvons nous réjouir de cet accord au rabais, la direction générale du Trésor, elle, a fanfaronné en titrant l’un de ses articles : « Succès de la restructuration de la dette argentine. Et maintenant ? »

Et maintenant, l’Argentine s’apprête à devoir négocier avec le Fonds monétaire international (FMI) le report des échéances de remboursement des 44 milliards de dollars d’un prêt contracté par l’ancien gouvernement libéral de Mauricio Macri auprès de cette même institution.

Ce dernier s’extasiait alors devant l’ex-patronne du FMI en ces termes : « Je dois avouer qu’avec Christine, nous avons débuté une grande relation depuis quelques mois, nous espérons que cela marchera et, qu’au final, l’Argentine tout entière tombera amoureuse de Christine. » L’avenir nous le dira… Je ne sais pas si un Argentin s’est épris de « Christine », mais nul doute que tel n’est pas le cas du nouveau chef du gouvernement, qui doit désormais soustraire son pays au joug du FMI.

Comme d’habitude, l’institution a déclaré avoir pour objectif final d’« aider l’Argentine à renforcer sa croissance et sa stabilité, générer de l’emploi, réduire la pauvreté ». Cette renégociation doit pourtant s’accompagner d’un programme économique. Nul doute que sera une nouvelle fois imposée à l’Argentine une cure d’austérité sous la forme d’un programme d’économies structurelles, peu susceptible de faire redémarrer une économie prise dans une spirale inflationniste, combinée à une récession chronique.

Nous nous abstiendrons donc sur cet accord, qui aurait dû, selon nous, prendre en compte la réalité économique et sociale de l’Argentine et reposer, surtout, sur des principes de solidarité.

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