Ce scandale perdure depuis de trop nombreuses années

Le Sénat a fait œuvre utile avec cette commission d’enquête sur la régulation des concessions autoroutières, et j’en remercie son rapporteur et son président.

Mieux qu’un rapport, ces travaux constituent un point d’appui utile et étayé pour mener le combat permettant le retour d’un État stratège en matière d’infrastructures d’intérêt national et d’aménagement du territoire.

Depuis de trop nombreuses années, ce scandale perdure sans que rien s’oppose aux mastodontes privés. Les sociétés concessionnaires sont de véritables machines à cash puisque, même en temps de crise, même en 2020, les dividendes s’élèvent à 2 milliards d’euros.

Entre 2006 et 2019, ce sont 24 milliards d’euros qui ont été distribués. Un « pognon de dingue » qui aurait été plus utile à la solidarité nationale…

Pourtant, les pouvoirs publics ne sont pas démunis.

Je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre, et avoir votre avis sur un point précis. Il s’agit des obligations reposant normalement sur le concessionnaire au titre de l’article L. 3131-5 du code de la commande publique relatif notamment à l’inventaire du patrimoine. À ma connaissance, ce rapport n’a jamais été remis à l’autorité concédante, donc à l’État. Comment justifier cette opacité ? Comment, dans ce cadre, travailler à une reprise des concessions ? Comment comprendre que l’État, encore une fois, ne fasse pas respecter ses droits, au nom de l’intérêt public ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je vais essayer de répondre le plus précisément possible à cette question technique. Vous avez raison de dire que l’établissement de l’inventaire du réseau est un enjeu clé, indispensable, lié à la définition du bon état cible du réseau en fin de concession sur lequel je reviendrai.

Je tiens à rappeler un chiffre important, que nous avons déjà évoqué : celui de 150 milliards d’euros, qui représente le patrimoine autoroutier français. À défaut d’un entretien soigné et régulier, ce patrimoine se détériore sous l’action du trafic et des agressions naturelles et nécessite alors des travaux de régénération considérables.

La rénovation et le renouvellement de ce patrimoine se planifient et requièrent des travaux s’étalant sur plusieurs années dont les concessionnaires ont la responsabilité. En amont des fins de concession, l’action du concédant, c’est-à-dire l’État, en matière de contrôle du patrimoine et de politique d’entretien doit s’intensifier – c’est la fameuse clause des sept ans – afin d’éviter qu’un sous-investissement ne se traduise par une dégradation du patrimoine en fin de contrat.

Depuis plusieurs années, l’État élabore une stratégie et un plan d’action pour structurer et renforcer l’efficacité de son intervention dans ce domaine. Trois chantiers ont ainsi été engagés avec les concessionnaires. Il s’agit d’abord de dresser un inventaire du patrimoine autoroutier concédé, ensuite de définir les outils et les méthodes permettant de mieux connaître, contrôler et suivre l’état fonctionnel du patrimoine, et enfin d’établir le bon état cible de ce patrimoine en vue de la préparation de la fin de contrat.

Comme je l’évoquais précédemment, cet inventaire a été réalisé pour les ponts de Tancarville et de Normandie qui arriveront à échéance en 2027 et pour lesquels les échanges et les expertises techniques entre concédant et concessionnaire se sont déroulés sur près de deux ans entre la fin de 2018 et la mi-2020. La discussion n’a pas encore été engagée sur les contrats historiques puisque la clause des sept ans s’appliquera, par définition, sept ans avant les échéances de 2031 à 2036.

Je souhaite que mon ministère, qui dispose de compétences et de moyens propres, continue d’assurer ces missions, en s’appuyant le cas échéant sur les équipes techniques du Centre d’études des tunnels (CETU) et du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Je suis comme vous particulièrement attaché à ce sujet important.

Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, je ne pense pas avoir entendu de réponse précise concernant le défaut de transmission du rapport annuel par les concessionnaires à l’autorité concédante, donc à l’État. En fait, tout dans ce dossier est ubuesque, de la conclusion des contrats aux sous-délégations qui favorisent les ententes en passant par la définition du niveau des péages.

Dans une étude de 2020, deux universitaires français rappellent l’illégalité des surcompensations ainsi que celle du décret de 1995 indexant les péages sur l’inflation. Ces dispositifs pourraient être considérés soit comme des aides d’État au niveau européen, soit comme contraires aux règles définies par le code monétaire et financier, ce qui pourrait justifier une rupture anticipée. Pour cela, il faudrait une vraie volonté politique, dont je constate qu’elle est malheureusement absente.

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