La France doit changer d’échelle et redéfinir le contenu de son aide

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est peu de dire que nous attendions, sous le sceau de l’urgence, ce projet de loi de programmation pour l’aide publique au développement (APD).

Face à l’ampleur des inégalités sociales et économiques mondiales, face aux déstabilisations qu’elles entraînent dans nombre d’États et de régions du monde, face à la pandémie aujourd’hui, au danger climatique, aux crises de plus en plus nombreuses, le développement solidaire de l’humanité n’est plus une option : c’est devenue la condition première de la sécurité humaine collective.

Le droit à un développement humain digne est le premier des biens communs à promouvoir. Nous en sommes loin ! La France doit changer d’échelle en matière d’APD et redéfinir le contenu de son aide.

Les objectifs justement rappelés, via un ajout de l’Assemblée nationale, en tête du projet de loi – éradication de la pauvreté, lutte contre les inégalités, promotion des droits humains, de l’éducation et de la santé, des droits des femmes, protection des biens publics mondiaux –, doivent guider toute notre action et non une logique d’influence au service d’une puissance réservée à un petit club de nations les plus riches et de quelques grands groupes privés.

C’est au service du développement de tous les peuples que le rayonnement de la France peut prendre du sens, et non au service d’une logique de concurrence et de puissance de plus en plus contestée et contestable.

Le débat sur la levée des brevets des vaccins illustre parfaitement ces deux logiques.

Considérer d’abord l’APD à l’aune, comme vous l’avez déclaré, monsieur le ministre, des « bénéfices à en attendre pour notre pays », ce serait continuer à rater la cible d’une politique solidaire internationale à la hauteur.

À son arrivée au Sénat, ce texte n’avait de programmation que le nom. La commission a faiblement corrigé cela avec la programmation des crédits budgétaires jusqu’en 2025.

Nous proposons une autre ambition : premièrement, en inscrivant enfin et clairement dans la loi l’objectif contraignant des 0,7 %, auquel la France se dérobe depuis des années ; deuxièmement, en fixant les objectifs chiffrés qui vont avec car, nous le savons, les taux ne suffisent pas ; troisièmement, en pérennisant cette ambition jusqu’en 2030. Membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la France ne peut pas décemment continuer à tourner le dos à ces objectifs fixés par l’Assemblée générale des Nations unies en 1971 !

Monsieur le ministre, l’argument, avancé pour se dérober, des incertitudes budgétaires ou politiques en vue des échéances de 2022 n’en est pas un. Au contraire ! La pandémie et ses terribles conséquences appellent un engagement massif contre les inégalités mondiales, pour le développement et la sécurité de tous. C’est le moment de garantir dans la durée une véritable ambition. Sans cela, le tournant dont vous parlez ne sera que belles paroles.

Pour financer cette ambition, il faut non seulement garantir nos choix budgétaires, mais nous vous proposerons également d’augmenter l’assiette, le rendement et l’affectation de la taxe sur les transactions financières. Car la financiarisation délirante du monde capitaliste, à l’origine du krach mondial de 2008, est une indécence chaque jour lancée à la face des plus pauvres de la planète.

Garantir une nouvelle ambition, c’est aussi réorienter notre aide en profondeur : priorité aux pays les moins avancés (PMA), aux services sociaux de base, à l’émancipation des femmes, aux dons et non aux prêts. Ces objectifs doivent être gravés dans le marbre avec des cibles chiffrées.

Enfin, et j’ai envie de dire qu’il s’agit en fait de l’essentiel, il convient de changer en profondeur la philosophie de notre aide, pour la tourner résolument vers la construction des bases solides d’un développement propre des pays destinataires et la dégager de toutes les logiques de pillage qui persistent encore largement.

Nos amendements iront dans ce sens, pour ce qui concerne les instruments du secteur privé (ISP) et les contrats de désendettement, lesquels doivent être mis en cause et sortis des comptes de l’APD, car ils maintiennent les pays concernés dans la dépendance financière au lieu de les en dégager.

Nous devons également consacrer des fonds importants à la construction de recettes fiscales pérennes et solides pour les pays bénéficiaires, comme le FMI commence même à le prôner.

Enfin, la cohérence de toutes nos politiques doit être recherchée. Car à quoi sert d’aider d’une main si nous prenons de l’autre autant, et trop souvent plus ?

Accords commerciaux et libre-échange, lutte contre le changement climatique, conventions fiscales, relations monétaires, conditions d’engagements léonines des grands groupes français... : tout doit être réexaminé si nous voulons que la cohérence en faveur du développement entre dans la réalité. Nous proposons à cette fin qu’un rapporteur spécial suive dans chaque assemblée du Parlement la mise en œuvre de cette cohérence transversale.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons, avec des suggestions d’amélioration, l’instauration d’un rapport et d’un débat annuel ainsi que la création d’une commission indépendante d’évaluation.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Laurent. Nous proposons également de renforcer le suivi citoyen des projets d’APD et de contrat de désendettement et de développement (C2D).

Mme le président. Vous dépassez largement votre temps de parole.

M. Pierre Laurent. En l’état, nous nous apprêtons à nous abstenir sur ce texte, mais nous ne désespérons pas d’obtenir lors du débat des progrès significatifs.

Retour en haut