Le Sénat s’arrime à la majorité de l’Assemblée nationale

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « Budget rectificatif : accord a minima en commission mixte paritaire », titrait La Gazette des communes le 6 juillet dernier. Et pour cause : comme à chaque fois en de pareilles circonstances, nous nous réunissons au Sénat pour constater que vous avez négocié un texte au rabais. Il est à croire que nos travaux représentent finalement peu de choses…

La commission mixte paritaire s’est contentée de retenir quelques dispositions, pour certaines issues d’amendements que nous avions soutenus, telles que l’exonération d’impôt des indemnités exceptionnelles perçues par les internes lors de la première vague épidémique.

La majorité sénatoriale pourra également se réjouir du succès d’un amendement visant à repousser à 2023 la fin du tarif réduit de TICPE applicable au gazole non routier. Comme souvent, le Sénat s’arrime sur la position du Gouvernement. Il va même parfois plus loin que le groupe majoritaire La République en Marche de l’Assemblée nationale, qui demandait un moindre report de cette niche fiscale funeste pour l’environnement et extrêmement coûteuse pour les finances publiques.

Alors que vous avez rejeté notre proposition d’accroissement des taxations sur les transactions immobilières supérieures à 1 million d’euros, je me dois de me borner à évoquer une proposition du groupe CRCE, adoptée par le Sénat, qui a finalement été répudiée dans le conclave de la commission mixte paritaire. Elle est simple : interdire à une entreprise en déficit qui profiterait du dispositif du carry back de verser des dividendes. Ce dispositif correspond désormais à la possibilité de reporter en arrière sur les trois derniers exercices, sans plafond, des déficits constatés. Son objectif est de diminuer l’imposition des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises.

Qu’une entreprise ne paye pas d’impôt sur les bénéfices lorsqu’elle est en déficit, c’est bien heureux, car elle n’en génère pas, mais qu’elle profite d’une créance fiscale au titre d’un exercice bénéficiaire du simple fait d’une mauvaise année, cela ne nous semble pas raisonnable. Ainsi, une entreprise structurellement bénéficiaire qui décide de racheter un concurrent pourrait se retrouver en situation de déficit et se faire rembourser l’impôt déjà versé. À nos yeux, c’est tout bonnement scandaleux !

Vous refusez dans le même temps d’exiger de ces mêmes entreprises l’interdiction du versement de dividendes. Comment voulez-vous que nos concitoyennes et concitoyens comprennent une telle décision ? Même si comparaison n’est pas raison, cela reviendrait à permettre à un ménage de reporter ses créances causées par des dons d’argent aux membres de sa famille ou par des investissements dans sa voiture sur les années où il s’acquittait de l’impôt sur le revenu. Il en serait quitte avec de l’argent du fisc !

Nous n’avons pas vu l’opinion publique se mobiliser pour une telle demande, si ce n’est peut-être la majorité sénatoriale, qui s’enorgueillit de l’avoir proposée avant le Gouvernement. Il faut lire Les Échos, le 28 mai dernier, pour comprendre vos intentions. Tout est dit dans le titre : « Report de déficits : un coup de pouce fiscal très attendu par les entreprises ». Voici la première phrase de l’article : « Un gouvernement au chevet des entreprises. »

En vérité, la majorité présidentielle tout comme la majorité sénatoriale se fondent sur une croyance ainsi résumée dans le rapport de l’Assemblée nationale : « […], si l’État renonce, à travers cet article, à des recettes fiscales contemporaines, il devrait recevoir, à l’avenir, des recettes fiscales d’entreprises qui seront restées à flot et renoueront avec les bénéfices. » Mais cela revient à nier la réalité ! Si les entreprises renouent avec les bénéfices, elles pourront, en cas de déficit, reporter en avant, sans limite dans le temps. Voilà ce qui risque de se produire : report en arrière, report en avant !

Voilà que vous sonnez – temporairement, nous dites-vous – la fin de l’impôt sur les sociétés. Mais vous trouverez bien une raison pour prolonger ce mécanisme d’allégement fiscal. Nous aurons peut-être droit un jour, mes chers collègues, au carry back éternel !

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