Loi d’orientation sur la forêt : nouvelle lecture

Loi d'orientation sur la forêt : nouvelle lecture

par Gérard Le Cam

En avril dernier, en introduction du débat sur ce projet de loi d’orientation sur la forêt, vous aviez, monsieur le ministre, souligné ceci : « élément fondamental de notre économie et de nos paysages, la forêt illustre par excellence la nécessité et l’utilité de l’action politique et du rôle de l’Etat dans la prise en compte du long terme, de l’intérêt collectif, de l’emploi, comme de la prévention des risques naturels et du patrimoine ».

Ces propos liminaires donnaient le ton et l’orientation prometteuse d’un débat qui aborderait les questions de fond autour de deux grands axes : l’emploi et la valorisation du potentiel économique et industriel de nos forêts, d’une part, les missions d’intérêt général et la valorisation des fonctions sociale et environnementale de nos forêts, d’autre part. Vos propos mettaient aussi en évidence le rôle fondamental de l’Etat et la nécessité de sa participation active à la réalisation de ces deux grandes ambitions.

La déception était cependant au rendez-vous, avec le sentiment que nous étions, en quelque sorte, « passés à côté » et que nous n’avions pas véritablement réussi à inscrire dans ce projet de loi d’orientation sur la forêt les réels choix politiques fondés sur l’innovante prise en compte de la multifonctionnalité de la forêt.
La focalisation du débat sur les conséquences des tempêtes nous avait sans doute éloignés des préoccupations à plus long terme. Celle sur les incitations fiscales qui révèle, à mon sens, une certaine conception du politique nous avait pour le moins égarés.

Tous les rapports sur la forêt ont souligné le potentiel de création d’emplois que recelait l’ensemble de la filière bois. En 1978, Bertrand de Jouvenel, prévisionniste patenté, tablait sur la création de 50 000 emplois, tandis qu’aujourd’hui Jean-Louis Bianco estime ce nombre à environ 100 000. Pour autant, entre la publication des deux rapports, 200 000 emplois auront été perdus. Il est nécessaire maintenant de tenter d’identifier les causes de cette hémorragie d’emplois.
La forêt ne subit pourtant pas de crise de vocation. Un article du Monde de Philippe Baverel, daté de fin décembre 1998, titrait : « Les forêts suscitent plus de vocations que d’emplois ». Sur cent quatre-vingt-dix-sept BTS forestiers, expliquait-il, seuls vingt ont trouvé un débouché à l’ONF sur un emploi de technicien, cinquante-deux sur un emploi d’agent technique et dix sur un emploi-jeune ; parmi les cent quinze restants, ving-quatre n’ont pas trouvé d’emploi. Cet exemple mériterait d’être médité par tous ceux qui continuent de penser que le chômage serait essentiellement le résultat d’un manque de qualification !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, la forêt n’est pas un bien comme les autres. C’est un bien très particulier que l’on peut qualifier de « collectif » ou de « public ».
En effet, il constitue un héritage, un héritage de siècles d’investissements et de travail des forestiers. Notre forêt s’est, au fil des temps, beaucoup modifiée ; elle est aujourd’hui plus vaste qu’elle ne l’était au xixe siècle. C’est là le résultat aussi d’une volonté politique pérenne.

Face au développement de gigantesques métropoles, zones de concentration des activités humaines contribuant à la dégradation - par la pollution par exemple - en même temps qu’à l’artificialisation de nos espaces de vie, notre espace forestier joue aujourd’hui un rôle essentiel dans l’équilibre territorial, car il constitue un espace de liberté, un espace propre aux loisirs, à la détente, à la chasse, un espace naturel propice à la découverte de la faune et de la flore.
Nous prenons aujourd’hui la véritable mesure de cette notion de « bien collectif » en inscrivant la politique forestière dans la problématique du développement et de la gestion durables.

Notre forêt est fragile, les dernières tempêtes l’ont, hélas ! rappelé. Mais, à plus long terme, notre forêt est fragilisée par les changements climatiques qui suscitent tant d’interrogations chez les scientifiques. C’est pourtant elle qui participe indirectement à la régulation climatique grâce aux réductions des gaz à effet de serre qu’elle permet. Son équilibre est cependant instable et précaire, assuré dans un rapport complexe par une régulation naturelle, une autorégulation, et l’intervention de l’homme. Qu’une tempête survienne et l’équilibre peut être rompu... Que le travail des hommes soit compromis, que les missions régaliennes ne puissent plus être assurées correctement, et c’est la transmission de cet héritage bien particulier participant à la régulation de notre biotope et de notre écosystème qui est remis en cause.

Inscrire la politique forestière au coeur de la problématique du développement durable, c’est aussi prendre conscience que de nouvelles missions apparaissent, qu’elles se diversifient pour mieux prendre en compte l’intérêt général et répondre aux nouveaux besoins en matière d’aménagement du territoire et de préservation de l’environnement. Ne serait-ce que pour vérifier l’application des plans de gestion de nos forêts, à 70 % privées, les effectifs seront-ils suffisants ?
Cela suppose le maintien, si ce n’est l’augmentation, des effectifs des services administratifs de la forêt. Le rôle de l’ONF en matière de gestion durable de nos forêts est fondamental. Mener une politique de recrutement d’emplois stables et qualifiés est en ce sens une priorité. Je ne peux donc que me féliciter du fait que certaines orientations en faveur de la promotion « de la qualification des emplois en vue de leur pérennisation » soit inscrites dans ce projet de loi. Je ne peux que me féliciter également, face à la pénibilité des métiers de la forêt, mais aussi au développement depuis plusieurs années des formes précaires d’emploi, que des dispositions sociales visant à assurer une meilleure protection des métiers de la forêt figurent à nouveau dans le texte de ce projet de loi.

Je serai donc tout particulièrement attentif à ce que la majorité sénatoriale ne se livre pas à un travail de « déconstruction » (Protestations sur les travées du RPR)...

M. Gérard César. Jamais !

M. Gérard Le Cam. ... en éliminant du projet de loi les éléments constitutifs d’avancées sociales qui ont pu être introduits ou réintroduits lors de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, permettant ainsi d’améliorer nettement le contenu du texte.
Reste que - et je m’en félicite - nous sommes globalement d’accord sur de nombreux choix novateurs et porteurs inscrits dans ce texte qui nous revient en deuxième lecture.
Citons, au rang de ces innovations, la mise en place de chartes forestières de territoire, qui permettront à tous les acteurs de la filière de valoriser sur le long terme les potentialités non encore exploitées de nos forêts, que ce soit pour satisfaire les besoins sociaux, économiques ou environnementaux.
Il est un autre point novateur, je veux parler de l’inscription dans le code forestier d’un nouveau titre intitulé : « accueil du public en forêt », qui permet une plus large accessibilité de nos forêts au public.

Enfin, la mise en place d’un dispositif financier, un fonds commun de placement, destiné à favoriser l’investissement forestier, mérite toute notre attention car les investissements d’aujourd’hui sont les emplois de demain.
Pour terminer, permettez-moi, monsieur le ministre, d’emprunter à nouveau ma conclusion à Jean-Louis Bianco : « Nous vivons un temps dominé, selon la belle formule d’Edgard Pisani, par la pression du court terme hurlant. Soyons aussi attentifs au long terme silencieux. Il faut environ 120 ans pour faire un hêtre et 160 ans pour faire un chêne. Mais il suffit de quelques minutes pour les détruire. » Propos prémonitoires, s’il en fut !

Vote sur l’ensemble

Comme en première lecture, le groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendra sur le projet de loi, compte tenu d’un certain nombre d’amendements que le Sénat a adoptés, notamment ceux qui visent à revenir au texte voté en première lecture par notre assemblée.
Nous espérons que la commission mixte paritaire pourra faire évoluer le projet de loi, encore que j’aie quelques doutes.

Quoi qu’il en soit, ce texte devrait aboutir à une bonne loi d’orientation pour la forêt, et c’est ce que nous souhaitions. J’ai confiance en l’avenir, qu’il passe par une commission mixte paritaire ou par une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.

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