Loi d’orientation agricole : question préalable

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’énergie, c’est aujourd’hui le secteur agricole que le Gouvernement entend livrer aux effets dévastateurs de la déréglementation. Et il entend le faire selon les procédures que sont l’urgence et le recours aux ordonnances.

Ne nous y trompons pas : la procédure législative ne constitue pas une question de forme ; bien au contraire, elle est la garante de l’exercice des droits fondamentaux que détient le Parlement. Le caractère récurrent de ces deux procédures, ajouté à leur utilisation sur des textes fondamentaux pour l’avenir de notre pays, comme les lois d’orientation, constitue un véritable déni des prérogatives de notre assemblée et de l’opposition.

Encore une fois, le débat parlementaire est tronqué et le recours aux ordonnances permettra que des dispositions essentielles de la réglementation agricole soient définies en dehors du Parlement.

Cela s’ajoute au fait que ce projet de loi d’orientation agricole s’inscrit directement dans le processus de soumission de notre agriculture aux objectifs ultra-libéraux de l’OMC et ne constitue qu’une adaptation à la réglementation issue de la réforme de la politique agricole commune de 2003.

Vous le savez, monsieur le ministre, l’objectif consiste à tirer vers le bas les prix à la production, à déconnecter le coût du produit agricole de celui du travail des agriculteurs, et à développer une agriculture dans laquelle les petites et moyennes exploitations n’ont plus leur place. Ainsi, c’est tout un équilibre, souvent fragile, qui risque d’être déstabilisé par les politiques menées à l’échelon national et international.

Pour mémoire, rappelons qu’à ses débuts, en 1962, la PAC avait pour objectif d’assurer l’autosuffisance alimentaire en Europe tout en maintenant un revenu convenable aux agriculteurs.

En 1992, un premier infléchissement a été apporté à cette politique au motif qu’il fallait corriger les excédents, maîtriser les dépenses et prendre en considération les atteintes à l’environnement. Sont instaurées alors les primes aux jachères et sont mises en place des aides directes aux revenus en compensation de la baisse du soutien au prix.

Ainsi, l’Europe abandonne toute politique de soutien des prix pour une politique de soutien des revenus. Le processus de la baisse des prix mondiaux de l’agriculture est ainsi encouragé. Dès 1999, sont instaurées de nouvelles aides dites de « développement rural ». Puis, le découplage entre les aides et la production est érigé en principe en 2003.

Ce bref rappel historique montre bien comment les agriculteurs, face à des prix qui ne sont plus rémunérateurs, ont dû, pour survivre, se soumettre à la loi du marché, celle de l’industrie agroalimentaire, des centrales d’achat et de la grande distribution. L’Europe remet aujourd’hui en cause la garantie des revenus à travers la diminution du montant des aides compensatoires versées aux agriculteurs.

Par ailleurs, l’absurdité de cette politique de découplage est renforcée par son application nationale. En effet, la valeur des droits à paiement unique sera fonction, en France, des aides versées pendant la période de référence 2000-2002. Le Gouvernement favorise ainsi les plus grosses exploitations, les 20 % qui touchent 80 % des aides. (M. .Alain Vasselle s’exclame.)
Cette concurrence organisée à l’échelon national est également renforcée à l’échelon international par la politique de l’OMC.

Le 28 octobre dernier, la Commission européenne a rendue publique une offre de réduction des droits de douanes sur les produits agricoles, de 35 % à 60 %, dans le cadre des négociations commerciales internationales. Cette décision risque de placer les paysans européens dans une situation de concurrence insoutenable face à des pays qui s’exonèrent des contraintes sociales et environnementales.
Ainsi, la suppression de toutes les protections tarifaires se poursuit, laissant la place à l’instauration de prix mondiaux uniques des denrées agricoles, les plus bas possibles, bien entendu.

L’agriculture devient un domaine où coexistent ceux qui, ayant investi des capitaux, souhaitent obtenir une rémunération, et les salariés.
Les politiques agricoles déterminées au sein de l’OMC et de l’Union européenne visent la suppression de toute aide pour insérer de plus en plus l’agriculture dans les rouages du capitalisme mondialisé. Et le projet de loi d’orientation agricole organise la mise en oeuvre de cette politique ultralibérale.

Le projet de loi va relancer la sélection par l’argent et la course aux hectares des grandes exploitations au détriment de l’installation des jeunes.
A titre d’exemple, la création d’un fonds agricole ne peut que favoriser une financiarisation de l’agriculture, notamment au regard de la question de l’intégration dans ce fonds des droits à prime. La cessibilité du bail est largement incompatible avec la dimension collective du contrôle des structures. Le foncier étant intégré au fonds agricole, l’accès au foncier sera le privilège du plus offrant.

Pour lutter contre le pouvoir écrasant de la grande distribution, vous proposez, par exemple, de mieux organiser l’offre par le regroupement des organisations de producteurs en entités à forme commerciale. Mais ces mesures restent largement insuffisantes tant que rien ne sera fait pour que les prix agricoles soient rémunérateurs pour l’ensemble des agriculteurs.

Enfin, le projet de loi d’orientation agricole va pousser au rendement, alors qu’il faudrait privilégier une agriculture durable en limitant l’utilisation des biocides ainsi que la consommation d’eau. Le Gouvernement n’engage pas de réflexion sérieuse en matière d’environnement. La préoccupation environnementale est d’abord un affichage de bonnes intentions, alors que la politique du Gouvernement - cela ne trompe personne ! - reste marquée par une approche consumériste de notre patrimoine environnemental, préférant la réparation à la prévention.
De plus, l’intérêt pour un certain nombre de produits issus de l’agriculture est guidé, avant toute chose, par le besoin de diversification des débouchés des productions agricoles.

Pour conclure, je souhaite rappeler que l’agriculture remplit de multiples fonctions : production de denrées, structuration de l’économie rurale, protection de l’environnement, valorisation des patrimoines et des savoir-faire. Mais sa première mission vitale est de nourrir les hommes. La nourriture joue un rôle unique dans la culture et la sécurité des populations. Elle constitue bien plus qu’un produit qui se vend et s’achète ; elle satisfait divers besoins humains culturels, psychologiques et sociaux. On ne peut donc pas la traiter comme les autres biens de consommation.

Il importe de créer une exception agricole dont la première expression pourrait être une loi d’orientation agricole garante pour tous de la qualité et de la sécurité des aliments, de la diversité des productions, de la juste rémunération des agriculteurs et de la pérennité des savoir-faire agricoles.

Parce que votre projet de loi d’orientation agricole s’oppose à cette conception de l’agriculture, parce qu’il est l’instrument de la déréglementation du secteur agricole organisée à l’échelon tant mondial que communautaire, parce que sa mise en oeuvre aura des conséquences dramatiques et irréversibles pour notre agriculture, pour les agriculteurs et pour nos concitoyens, nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi.

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