Retour à l’emploi et droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux

Retour à l'emploi et droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux (Josh Hild - https://www.pexels.com/fr-fr/@josh-hild-1270765)

Depuis quatre ans les gouvernements successifs affichent l’emploi au premier rang de leurs priorités. Régulièrement, le Président Chirac revient sur la fracture sociale, pour dire qu’elle n’est pas une fatalité et qu’on lutte contre les inégalités. Or, qu’il s’agisse de la fiscalité, des services publics, et de la politique de l’emploi, tous les moyens ont été utilisés non pas pour agir sur les causes de la pauvreté et de l’exclusion du marché du travail, mais pour asseoir les mutations du capitalisme et la financiarisation de l’économie. Les conséquences en sont connues : généralisation de la précarité, amplification des phénomènes de sous-emploi et aggravation de la misère.

Telle est aujourd’hui la réalité d’une France portant les stigmates de votre politique de baisse du coût du travail, comptant entre 1,2 et 3,5 millions de travailleurs pauvres qui perçoivent des salaires mensuels inférieurs à 600 euros, soit la moitié du S.M.I.C. La part des salaires et prestations sociales en espèces dans le revenu des ménages est devenue plus faible qu’en 1970. Telle est notre société ou six millions d’individus dépendent des minima sociaux dont le niveau situe la France dans le bas du tableau européen.

C’est en pleine connaissance de cause que vous opposez dangereusement les smicards, victimes de cette dévalorisation du travail, aux moins méritants, chômeurs et bénéficiaires du R.M.I. lesquels, avec 425 euros par mois, « profiteraient » d’un système ! Aux uns, vous expliquez que la hausse du S.M.I.C. aurait un effet négatif sur l’emploi non qualifié, préparant ainsi la disparition des mécanismes actuels de fixation du S.M.I.C. tant voulue par le Médef et proposez de cumuler des miettes d’emploi, pour, au final, gagner un vrai salaire. Aux autres, vous offrez les mêmes miettes partielles d’emploi sous- rémunérées.

Pour tous, vous suggérez de réduire le degré de solidarité, de sécurité, au lieu d’agir pour réduire le chômage et redonner de la qualité et du sens au travail. Comment retrouver plus rapidement un emploi quand les périodes d’indemnisation sont plus courtes ? Les salariés seront-ils d’autant plus dociles et appliqués que leurs conditions d’emploi et leur statut seront précaires ? La potion est amère : la solidarité devient un privilège, la coercition la règle. Et ce, alors que le gouvernement assure un partage des revenus favorable au capital.

Le budget 2006 témoigne de ce déséquilibre. D’un parti pris insupportable en faveur des riches, qui, gagnant déjà 20 000 euros, se sont vu offrir grâce au bouclier fiscal, 10 000 euros supplémentaires alors que des gens mouraient de froid, comme l’a déploré Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. C’est pour dénoncer ce même mépris envers les mal-logés que l’Abbé Pierre a occupé symboliquement l’Assemblée nationale, où les députés de droite ont relancé l’offensive contre la loi S.R.U.

Nos concitoyens sont conscients du décalage constant entre le discours qui se veut socialement rassurant et la dureté des solutions néolibérales. C’est d’ailleurs pourquoi deux Français sur trois se disent mécontents de la politique économique et sociale.

En ce début d’année, malgré les efforts soutenus du Premier ministre à toutes les questions abordées par le baromètre mensuel B.V.A. pour « les Échos », nos concitoyens répondent par le pessimisme.

Les faits sont têtus. Vous pouvez vous abriter derrière les statistiques, rechercher la caution d’experts, du très sérieux patron de l’A.N.P.E. pour nier vos tours de passe-passe ou l’augmentation des radiations de chômeurs. Vous pouvez omettre les départs à la retraite des générations du baby-boom, l’évidence s’impose à chacun. L’économie française reste faiblement créatrice d’emploi et elle en détruit beaucoup.

Par ailleurs, s’il y a moins de chômeurs, il y a davantage de personnes acculées au R.M.I. : 6,2 % supplémentaires au cours de l’année 2005 en France métropolitaine. Dans mon département, les Hauts-de-Seine, cette augmentation atteint 8 %. C’est ce qui arrive lorsqu’on privilégie le traitement libéral du chômage !

Rien de surprenant à ce que 72 % des Français aient le sentiment que l’avenir de l’emploi reste sombre et 75 % que la croissance stagnera en 2006. Ils ont appris à leurs dépens le sens négatif donné au mot réforme. S’agissant de la protection sociale, en faisant du retour à l’emploi le pivot de toutes vos politiques sociales vous en avez détourné les buts, comme l’analyse Catherine Lévy dans son livre « Vivre au minimum ».

On parle désormais plus des charges patronales, que de sécurité face aux aléas de la vie et du travail.

Obsédé par le taux de croissance américain, qu’il regarde comme la conséquence du nombre d’heures travaillées, le gouvernement entend « assouplir » les 35 heures, « permettre à ceux qui veulent gagner plus, de travailler plus », sans dire à qui profite l’allongement de la durée du travail. Le piège du chantage à l’emploi s’est refermé sur les salariés de Bosch, d’Hewlett Packard, de Seb, de Fenwick : ils travaillent 39 heures payées 35 mais les emplois sont supprimés en pagaille !

Après que les gouvernements Raffarin, par intégrisme libéral, ont stoppé le traitement social du chômage, la loi dite de cohésion sociale devait - « pour réveiller une forme de citoyenneté des entreprises », nous dit M. Larcher - simplifier les contrats aidés, faciliter le retour à l’emploi des chômeurs qui en sont le plus éloignés. Elle a surtout eu comme effet, l’aubaine offerte aux entreprises, la dénaturation du service public de l’emploi et le durcissement des contrôles et des sanctions contre les demandeurs d’emploi, alors qu’un sur deux seulement est indemnisé. Toujours pas de contrat unique d’insertion : vous en avez ajouté de nouveaux ! M. Borloo fait adopter un texte relatif au développement des services à la personne, inspiré du modèle américain : il n’offre aux employés de ce secteur, principalement des femmes, que des petits boulots sous-qualifiés à temps partiel, plutôt que des emplois complets avec une professionnalisation.

Vous avez abrogé des dispositions de la loi de modernisation sociale qui responsabilisaient les employeurs sur le licenciement, au nom d’un « effort national de cohésion sociale » et en prétendant « renforcer la cohésion sociale en cas de licenciement collectif », comme l’a dit M. Gournac.

M. GOURNAC. - Je le redirais volontiers !

M. MUZEAU. - Nos craintes pour la protection des salariés étaient fondées : la Cour de cassation vient d’autoriser les licenciements préventifs ! Le Médef dit vouloir compter sur les décisions publiques en 2007 - il n’aura aucun mal, avec un M. Breton qui promet de « gérer la France comme une entreprise » ! Quand la présidente du Médef, déclarant que « la vie, la santé, l’amour sont précaires », feint de se demander pourquoi le travail échapperait à cette loi, elle légitime des politiques de moins-disant social et la flexibilité. Quand M. Sarkozy entonne son refrain contre le modèle social français - levier de « la paresse » et multiplicateur de « trappes d’inactivité » -, il ne tente rien moins que d’accréditer l’idée que la relance de l’emploi exigerait moins de solidarité, que l’insécurité serait un gage de dynamisme économique. Le patronat veut, lui aussi, « écraser les conformismes pour réenchanter le monde » (sourires) : en fait, brûler le Code du travail pour généraliser les formes atypiques d’emplois et simplifier le licenciement !

Au prétexte, encore, de « modernité », le Premier ministre a lancé le C.N.E., à durée indéterminée mais aux droits diminués pour le salarié. Cette forme de contrat est en passe d’être généralisée aux moins de 26 ans avec le C.P.E., remake du contrat Balladur de 1994, avant la réforme globale du contrat de travail. L’O.F.C.E. et l’INSEE confirment les risques d’effets d’aubaine.

M. de Villepin choisit un modèle de flexibilité à l’anglosaxonne, où la précarité est la règle, tout comme les exonérations de charges patronales. On s’interroge sur le rôle du conseil d’orientation de l’emploi, sur l’efficacité des aides publiques à l’emploi et sur le sérieux du pacte de rigueur budgétaire !

Restait l’incitation au retour à l’emploi pour ceux qui perçoivent les minima sociaux, et la société de plein emploi précaire voulue par la droite, serait réalisée ! C’est chose faite, en urgence encore, avec ce texte.

Le fond et la méthode en sont contestables. Autant de précipitation fait nous interroger sur les objectifs du gouvernement. S’il visait le retour à l’emploi, le gouvernement n’aurait-il pas attendu les conclusions de la mission d’information du Sénat ? Aurait-il négligé l’accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux ? Certes, un texte est une préparation, mais pourquoi alors se précipiter ? En défendant la question préalable, M. Fischer montrera que nous ne sommes pas opposés au débat sur les minima sociaux, mais nous demandons une consultation des partenaires sociaux !

Nous sommes en désaccord avec ce texte, nous y reviendrons en présentant une trentaine d’amendements : contre les mécanismes d’intéressement, le renforcement inacceptable des contrôles et des sanctions, mais aussi contre cet article 6 qui, garantissant une place en crèche pour les enfants de chômeurs retrouvant un emploi, fait peser une nouvelle charge sur les communes, sans lever aucun obstacle réel au travail des femmes.

Des amendements de notre commission, tout comme ceux de la majorité, aggravent encore ce texte, portant atteinte aux heures supplémentaires, aux droits syndicaux, et autorisant même le gouvernement à créer par ordonnance, dans six régions, un « contrat de transition professionnelle ».

Madame la Ministre, le gouvernement méprise le travail parlementaire, mais également les partenaires sociaux, et il déclare la guerre aux privés d’emploi.

Le groupe C.R.C. s’opposera à ce texte, tout en proposant des propositions constructives !

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