Application de la loi d’orientation agricole

Après un premier état des lieux en juin 2006, ce débat doit nous permettre d’apprécier la mise en œuvre de la loi d’orientation agricole. S’il faut relativiser l’importance de ce texte au regard de la P.A.C. et des négociations de l’O.M.C., il ne faut pas en minimiser la portée et, surtout, l’orientation libérale.

Il aurait été de bon goût, monsieur le Ministre, de nous communiquer un rapport complet sur l’état de la loi avant ce débat. Toutefois, je vous félicite pour la qualité du document qui nous a été adressé en janvier, et que j’ai d’ailleurs transmis à de nombreux agriculteurs de mon département.

Le fonds agricole consacre une vision entrepreneuriale de l’exploitation, l’agriculture échappant progressivement aux véritables acteurs du terroir. Le laboureur d’autrefois est devenu paysan, puis cultivateur, puis agriculteur, avant de se muer en exploitant agricole et enfin en entrepreneur agricole. La tendance à la concentration et la financiarisation s’accélère, les crises demeurent cycliques, voire permanentes. Le fonds agricole participe de cette démarche, et il y a fort à parier qu’à l’instar des grands vignobles ou des élevages agricoles hors sols, les pans les plus rentables passent sous la coupe de capitaux souvent apatrides et délocalisateurs qui pourraient provoquer des dommages irréversibles. Il serait néanmoins intéressant de connaître le nombre et la nature des exploitants ayant déjà opté pour le fonds agricole.

Les dispositions concernant le bail cessible contribuent également à la concentration des exploitations. Le document « Service après-vote » de janvier précise que cette option « devrait faciliter les installations en fermage sur des unités économiques opérationnelles et viables ». Soit des unités toujours plus grandes, alors que c’est surtout la désastreuse politique des prix qui freine la rentabilité ! Le décret du 23 mars permet de signer ces baux cessibles. Cette disposition suscite-t-elle un début d’engouement, ou le désintérêt le plus total ?

Le relèvement du seuil de surface au-delà duquel les reprises sont soumises à autorisation d’exploiter, qui avait donné lieu à de vifs débats, permet au plus influent et au plus offrant d’accaparer des terres qui auraient pu renforcer des petites et moyennes exploitations. Quel seuil a été définitivement adopté ?

S’agissant des mesures sociales, il sera intéressant d’examiner le statut du conjoint, collaborateur, salarié ou exploitant. Environ 119 000 conjointes étaient concernées en 2003 ; aujourd’hui, 47 % des conjointes ne travaillent pas, 37 % sont agricultrices à titre principal et 12 % se partagent entre activité agricole et activité extérieure. Ces chiffres traduisent le recul des revenus agricoles : en Bretagne, le revenu moyen s’établit à 12 500 euros annuels par unité de travail humain familial (U.T.H.F.), c’est moins que la moyenne nationale des revenus. Le volet social de la L.O.A. va dans le bon sens, en dépit de ses limites.

Monsieur le Ministre, où en sommes-nous pour les 160 000 agriculteurs concernés par la surface minimum d’installation ? Quid du crédit d’impôts remplacement ?

La L.O.A. préconise le développement des biocarburants et bioproduits. Mais, après la très médiatique communication sur le biocarburant E85 par le ministre de l’Économie - j’ai entendu dire que la pompe était en panne dès le lendemain : y avait-il même de l’E85 le jour des caméras ? -, rien ou presque n’est fait pour assurer un complément de revenus aux agriculteurs, la fiscalité incitative se fait attendre. Les grands groupes seront-ils les seuls bénéficiaires de la filière ? Il faut planifier les surfaces. Autre danger, l’abaissement des tarifs douaniers ne fera-t-il pas que la canne à sucre brésilienne risquerait de supplanter nos biocarburants ? On se souvient du soja américain détaxé, qui a tué tout projet de filière européenne.

Vis-à-vis des coopératives, enfin, nous nous inquiétons d’une dérive libérale de leurs modes de gestion. Quel rôle jouera le Haut Conseil de la coopération agricole pour l’agrément des coopératives ? Ne vont-elles pas calquer leur gestion sur l’entreprise, pour un profit maximum ? Quelle France agricole la L.O.A. prépare-t-elle ? Celle que M. Hervieu esquisse, où 100 000 exploitations produiraient aux prix mondiaux, les autres étant cantonnés à l’agrotourisme, à l’entretien des paysages, aux cultures biologiques ? Ou bien une France des agricultures, aux prix rémunérateurs, où les relations avec les distributeurs seraient enfin équitables, où les villes compenseraient des handicaps, où l’agriculture aurait pour rôle prioritaire de fournir une alimentation en quantité et qualité suffisantes, et qui fonctionnerait avec des institutions démocratiques ? Vous comprendrez que je préfère le second tableau !

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