Domaine du médicament

Domaine du médicament (Cottonbro - https://www.pexels.com/fr-fr/@cottonbro)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en proposant ce texte à notre approbation, le Gouvernement vise à procéder - hélas ! beaucoup trop tardivement, comme c’est devenu l’habitude - à une transposition de la directive relative aux médicaments.

Cette transposition est incomplète et infidèle. Elle est assortie de dispositions qui lui sont totalement étrangères et qui sont souvent inutiles, à l’exception peut-être de l’article concernant Cyclamed.

Qui plus est, ces dispositions sont, pour l’une d’entre elles au moins, contraires au droit européen : vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je veux bien évidemment parler des programmes industriels d’aide à l’observance.

Heureusement, votre projet de loi a été amélioré lors de son examen par l’Assemblée nationale, et plusieurs de ses lacunes ont été comblées.

M. Xavier Bertrand, ministre. Par le Gouvernement !

M. François Autain. Laissez à nos collègues députés ce qui leur revient, monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre. En l’occurrence, laissez-moi aussi ce qui me revient !

M. François Autain. En matière de sécurité des médicaments, essentielle pour les patients et les professionnels de santé, les députés ont opté pour une transposition rigoureuse de la directive, ce dont on ne peut que se réjouir.

La transparence des travaux des commissions a été améliorée, mais insuffisamment à mon sens. Si l’AFSSAPS a commencé de se mettre en conformité avec la directive sur ce point, force est de reconnaître qu’il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

On peut d’ailleurs se demander comment elle parviendra, comme son directeur général s’y est engagé, à rendre accessible sur son site d’ici à la fin de 2008 la totalité des autorisations de mise sur le marché délivrées en France depuis l’origine, alors même qu’un tiers seulement des spécialités commercialisées y sont aujourd’hui consultables.

Les investigations auxquelles a procédé la mission sénatoriale sur le médicament, dont il me plaît de saluer ici son président, Gilbert Barbier, rapporteur sur ce texte, ont fait apparaître de nombreux dysfonctionnements témoignant des difficultés que rencontre l’AFSSAPS pour faire respecter les règles déontologiques et légales de l’expertise, malgré l’existence en son sein d’un « groupe référent » créé spécialement à cet effet.

D’où la nécessité, reconnue non seulement par la mission d’information sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments, mais aussi par plusieurs rapports publiés antérieurement, de créer une instance indépendante chargée d’élaborer un statut qui établirait les droits et les devoirs des experts et contrôlerait leur activité au regard de la déontologie et de la loi.

Aussi, afin de ne pas créer une nouvelle structure dans un paysage qui en comporte déjà beaucoup trop, nous proposons, par l’un de nos amendements, de confier cette mission à la Haute autorité de santé.

Venons-en maintenant, monsieur le ministre, aux programmes industriels d’aide à l’observance.

Je constate non sans satisfaction que votre position a sensiblement évolué, de jour en jour. On ne peut que s’en féliciter !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je suis pragmatique !

M. François Autain. Si cette évolution se poursuivait jusqu’à son terme, il n’est pas interdit de penser que votre position finirait par rejoindre la nôtre ! Dans ces conditions, rien ne s’opposerait à ce que nous finissions par voter ce texte !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne voudrais pas vous gêner ! (Sourires.)

M. François Autain. Ne précipitons pas les choses ! (Nouveaux sourires.)

Vous savez néanmoins, monsieur le ministre, qu’il existait une divergence de fond sur ce sujet, parce que nous sommes opposés au principe même de ces programmes gérés et financés par l’industrie pharmaceutique.

Pour nous, il s’agit moins d’améliorer le suivi des patients, pourtant nécessaire dans certains cas, que d’augmenter les ventes des médicaments nouveaux les plus chers et les moins sûrs - l’industrie pharmaceutique rencontre, c’est vrai, des difficultés... - en fidélisant les patients. Quiconque fait profession de vendre vous dira en effet qu’il est bien moins coûteux de fidéliser un client que d’en trouver un nouveau.

Par ce moyen, les firmes pharmaceutiques tentent de réintroduire par la fenêtre la publicité grand public qu’elles n’avaient pas pu faire entrer par la porte à Bruxelles. En effet, la Commission européenne, dont la direction générale « Entreprises et industrie », seule compétente en matière de médicaments, aussi paradoxal que cela puisse paraître, est tout entière acquise aux intérêts des industriels, avait échoué auprès du Parlement dans sa tentative de lever l’interdiction de la publicité grand public en Europe.

Mais l’industrie, devant ces difficultés, n’a pas renoncé à ce projet. Elle est en train de remobiliser la Commission européenne qui, n’ayant visiblement pas apprécié le vote des députés européens, n’a pas l’intention d’en rester là et s’apprête à prendre des initiatives en matière d’« information des patients ».

Cela ne trompera personne. Quelle différence existe-t-il en effet entre une publicité pharmaceutique et une information santé sur un médicament lorsqu’elle émane de l’entreprise qui l’exploite ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a une énorme différence ! Vous ne pouvez pas dire cela !

M. François Autain. Monsieur le président de la commission, vous exagérez !

Faut-il rappeler que la publicité directe grand public et le coaching sont fortement contestés dans les deux seuls pays où ils sont autorisés, à savoir les États-Unis et la Nouvelle-Zélande ? La publicité entraîne une forte augmentation de la consommation de médicaments. Vous imaginez quelles seraient les conséquences si un tel projet était étendu à la France, qui est en tête des pays européens, voire en tête de tous les pays du monde, s’agissant de la consommation de médicaments !

M. Xavier Bertrand, ministre. Elle est vice-championne du monde !

M. François Autain. Force est de constater, monsieur le ministre, que l’industrie pharmaceutique a cru trouver en vous un interlocuteur beaucoup plus compréhensif que le Parlement européen,...

M. Xavier Bertrand, ministre. J’ai plutôt entendu le contraire !

M. François Autain. ...même si, à vous entendre, on pourrait avoir l’impression qu’elle s’est trompée !

En effet, contrairement à ce que vous avez déclaré à l’Assemblée nationale, les programmes industriels d’aide à l’observance sont totalement étrangers à la législation européenne. Vous ne pouvez donc pas utiliser cet argument pour ne pas les interdire en France.

M. Xavier Bertrand, ministre. Je vais vous répondre !

M. François Autain. En effet, la réglementation européenne de l’autorisation de mise sur le marché ne mentionne aucune obligation de mettre en oeuvre des programmes d’aide à l’observance réalisés par les firmes pharmaceutiques. Elle précise seulement que, pour certains médicaments, un plan de gestion des risques doit être mis en place, ce qui est totalement différent. Tout au plus, une annexe d’une recommandation de l’Agence européenne du médicament, sans portée réglementaire, évoque des « programmes spécifiques d’éducation » qui pourraient être envisagés dans certaines circonstances. Aucun détail n’est fourni sur la nature de ces programmes éventuels, ni sur leurs financements ni sur les modalités de leur réalisation.

Je peux, si vous le souhaitez, vous donner les références de ce document de trente-deux pages datant du 14 novembre 2005. Mais sans doute est-il déjà en votre possession.

J’attends donc, monsieur le ministre, que vous reconnaissiez qu’il n’existe en la matière aucune contrainte européenne - d’ailleurs, aucun pays européen n’a légiféré sur cette question - et qu’il s’agit en l’occurrence d’une initiative strictement française dont vous n’avez aucune raison de ne pas vouloir assumer la responsabilité, ne serait-ce que pour clarifier le débat. Mais il semble que vous ne vouliez plus assumer cette responsabilité. (M. le ministre le conteste.)

Vous devez vous expliquer sur les raisons profondes qui vous conduisent à maintenir une disposition qui a provoqué un véritable tollé comme on en a rarement vu dans le monde de la santé. Le comité de liaison inter-ordres, les syndicats de médecins et de pharmaciens, le centre national des professions de santé, le syndicat national des infirmiers, l’AFSSAPS, la Haute autorité de santé, tous se sont prononcés contre le texte proposé. À cette liste, il faut ajouter le collectif Europe et médicament, qui comprend 60 organisations réparties dans douze pays de la Communauté européenne, et, en France, l’association Que Choisir, la revue Prescrire et la Mutualité. Seule l’industrie pharmaceutique le soutient, quoique certains avancent que même elle vous aurait lâché. C’est le comble ! Vous vous retrouveriez alors bien seul...

Sur ce sujet complexe, un véritable débat, serein et prolongé, serait nécessaire, quand vous nous proposez une mesure expéditive et bâclée en fin de session, comme s’il s’agissait d’un forfait qu’il faudrait dissimuler.

M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne faut quand même pas exagérer !

M. François Autain. Pourtant, ce projet n’est pas anodin. Il porte atteinte au droit des patients et cause un préjudice grave aux médecins. Ces derniers ont nettement l’impression de se faire court-circuiter par l’industrie pharmaceutique, et ce avec le concours actif du Gouvernement, alors que la réforme de 2004 était censée leur donner un rôle pivot dans le parcours coordonné de soins, rôle qui est remis implicitement en cause par ce projet.

M. Xavier Bertrand, ministre. Et la loi de 2002 !

M. François Autain. Vous renforcez l’emprise que l’industrie pharmaceutique exerce déjà sur notre système de santé.

Elle finance les associations de malades ; elle a déjà un pied dans l’université ; elle maîtrise totalement la formation médicale continue,...

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est faux !

M. François Autain. ...ce qui serait impossible dans tout autre pays, même aux États-Unis ; elle peut maintenant s’immiscer dans l’évaluation des pratiques professionnelles ; elle assure pratiquement à elle seule le financement de la sécurité sanitaire des médicaments ; elle exerce un quasi-monopole sur l’information des médecins et des patients, au point que même la très indépendante Haute autorité de santé est contrainte, faute de moyens, de sous-traiter aux visiteurs médicaux rétribués par les firmes la diffusion aux médecins de ses fiches d’information sur les médicaments.

M. Xavier Bertrand, ministre. Vos propos sont limites !

M. François Autain. Cela fait dire ceci à un responsable syndical quelque peu désabusé : « L’industrie devrait aussi prendre directement en charge la rémunération des médecins ; ainsi, la boucle serait bouclée » ! Il n’a pas complètement tort, même s’il s’agit d’une boutade.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est très excessif !

M. Xavier Bertrand, ministre. Et les taxes sur l’industrie ?

M. François Autain. Certes, personne ne nie qu’il soit parfois utile, voire indispensable, que les patients atteints d’une maladie chronique et âgés, comme c’est souvent le cas, soient aidés ; mais les firmes pharmaceutiques, dont la vocation naturelle est de vendre le plus possible de médicaments, sont les plus mal placées pour leur rendre ce service.

On ne peut être à la fois juge et partie. Chacun des acteurs de notre système de santé doit rester dans son rôle : les médecins prescrivent des soins et en assurent le suivi, seuls ou en réseau ; les firmes industrielles mettent à la disposition des patients des produits de santé dont la balance bénéfices-risques est bien établie et dont les modalités d’utilisation sont sécurisées ; les patients, de leur côté, seuls ou regroupés en association, doivent être en mesure, informés et conseillés par les soignants, de décider leurs soins.

C’est la voie tracée par l’excellent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, publié récemment et dont vous ne pouvez pas ne pas avoir eu connaissance. (M. le ministre rit.) Tirant les enseignements de certaines expériences étrangères, ses auteurs proposent des solutions innovantes à ce problème réel qu’est la prise en charge des maladies chroniques.

Il est dommage que vous n’ayez pas voulu ou pu, faute de temps peut-être, vous en inspirer. Nous aurions sans doute été à vos côtés pour vous soutenir dans cette démarche.

M. Xavier Bertrand, ministre. Je vous remercie de votre confiance !

M. François Autain. Pour l’heure, monsieur le ministre, la sagesse serait de renoncer à ce projet funeste et de poursuivre le débat sereinement, avec tous les acteurs du système de santé, mais sur les bases du rapport. Nul doute qu’il serait possible de parvenir à un accord, personne ne contestant l’utilité de ces programmes d’aide thérapeutique - disease management, comme disent les Anglo-Saxons, ce qui est différent du coaching et du risk management -,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Est-ce une conversion de votre part ?

M. François Autain. ...dès lors que l’industrie pharmaceutique resterait à sa place.

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est exactement ce que j’ai dit ! Vous commencez à me rejoindre !

M. François Autain. Monsieur le ministre, je vous ai dit qu’il n’était pas impossible que nous finissions par nous rejoindre !

M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne faut pas que cela vous coûte !

M. François Autain. Ce serait une grave erreur de penser pouvoir traiter dans l’urgence un tel sujet au motif que, utilisant à leur profit un regrettable vide juridique, certaines entreprises pharmaceutiques harcèlent l’AFSSAPS.

Je constate que vous êtes sur la bonne voie et que vous êtes en train de prendre la bonne décision, celle qui répond aux impératifs de la santé publique. De cette décision dépendra bien sûr notre attitude. L’amendement de suppression adopté par la commission constitue une opportunité.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !

M. François Autain. Si vous savez la saisir, rien ne s’opposera alors à ce que le groupe CRC vote ce texte ainsi modifié.

Retour en haut