Partenariat entre le groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté européenne

Partenariat entre le groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté européenne (Porapak Apichodilok - https://www.pexels.com/fr-fr/@nurseryart)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord de partenariat économique entre les soixante-dix-huit pays membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, a été signé à Cotonou, le 23 juin 2000, et est entré en vigueur en 2003.

Dans le prolongement des accords de Yaoundé et de Lomé, l’accord de Cotonou visait à introduire des changements importants et se fixait des objectifs ambitieux. Or force est de constater que les pays ACP n’ont pas tiré pleinement profit de ces avantages économiques. Au contraire, pour de nombreux pays du Sud, cet accord s’est révélé inefficace, dans la mesure où il n’a pas permis à ces pays de se développer.

En effet, beaucoup reste à faire en termes de coopération, d’égalité des échanges et d’intégration des pays les plus pauvres. L’accord que nous propose de ratifier l’Union européenne, bien que destiné à lutter contre la pauvreté, fait en réalité primer les normes commerciales sur les impératifs de développement, par exemple en ouvrant sans restriction 80 % du marché de ces pays aux exportations européennes, alors même que l’Afrique se trouve au centre des enjeux actuels de la mondialisation. Le fait que ce continent renferme près du tiers des réserves en matières premières de la planète, telles que le pétrole, l’or et l’uranium, n’est pas étranger à cette réalité.

Nous débattons aujourd’hui de la première révision, inscrite à l’article 95 de cet accord, portant principalement sur le volet politique et l’amélioration des procédures techniques de gestion de l’aide. Les discussions furent laborieuses et suscitent beaucoup d’inquiétudes dans les pays du Sud.

Selon de nombreux partenaires de l’Union européenne, notamment en Afrique de l’Ouest et dans les Caraïbes, les pays ACP ne sont pas prêts au libre-échange. Ils considèrent même qu’ils sont mis en danger par les accords APE et souhaitent que leur pays ne les signe pas.

Force est de constater que, malgré la présence de certains éléments fondamentaux, l’accord de Cotonou n’a pas atteint les objectifs de développement qu’il fixait. Sa négociation à marche forcée, sous couvert de respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce a même provoqué l’incompréhension d’une majorité de pays africains, des Caraïbes et du Pacifique.

Il est donc vital d’adapter les dispositions de l’accord au contexte actuel. Plusieurs pays ont été tenus à l’écart du progrès. Il est important de rappeler que l’Afrique abritera, dans très peu de temps, le plus grand nombre de personnes au monde vivant avec moins de un dollar par jour.

Prendrons-nous la responsabilité, si nous n’y prêtons garde, de laisser l’Afrique s’appauvrir et entraîner de nombreux États dans le chaos ?

L’aide aux pays ACP doit obéir à un certain nombre d’impératifs.

Parmi ceux-ci figure l’annulation de la dette des pays pauvres, visée majeure des objectifs du Millénaire adoptés voilà cinq ans et fixés pour l’année 2015. Or, alors que le volume de l’aide de la France aurait dû franchir, cette année, le palier symbolique de 0,5 %, cette aide enregistre une baisse, pour s’établir autour de 0,42 %. La dette bilatérale et multilatérale des pays pauvres doit être annulée à 100 %, dans le cadre d’un contrat signé avec tous les États membres de l’Union européenne créanciers, sans condition financière ou de quelque ordre que ce soit.

Un autre de ces impératifs est la mise en place d’un libre-échangisme contrôlé. L’expérience de la libéralisation commerciale démontre que celle-ci n’engendre pas systématiquement - loin s’en faut ! - le développement. Appliquée à des pays dont les niveaux de compétitivité sont extrêmement différents, elle creuse les déséquilibres. Les accords de Lomé et de Cotonou, qui tendaient à instaurer un régime de préférences commerciales, n’ont pas permis aux économies, notamment africaines, de se diversifier et de se moderniser afin de faire avancer leurs programmes de renforcement de l’éducation, de la santé et de la sécurité alimentaire.

D’ailleurs, le dossier « épineux » des droits de douane, ainsi que vous l’avez qualifié, monsieur le secrétaire d’État, devra être sérieusement réétudié. Le versement d’aides budgétaires massives en compensation de la disparition de ces droits ne serait évidemment pas souhaitable. Avec leur suppression, les accords de partenariat économique engendreraient un déficit considérable de recettes douanières, lesquelles constituent une part importante des ressources déjà faibles des États ACP ainsi que des départements et des régions qui en dépendent.

Le cycle de Doha, pourtant appelé « cycle du développement », lancé sous l’égide de l’OMC, est bloqué. L’Union européenne doit proposer une autre vision du commerce. Le cycle de Doha doit avoir de nouveau pour objectif le développement, tout comme les accords APE. La France, en proposant la poursuite des négociations dans une voie différente, doit épargner à l’Europe de commettre une erreur stratégique majeure à l’égard des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

On peut lire, dans le rapport mondial sur le développement de 2005, rédigé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD : « Dans l’ensemble, le mandat des négociateurs européens pour les APE a le potentiel nécessaire pour produire des résultats déséquilibrés et défavorables au progrès humain ».

La Commission européenne concluait pour sa part, dans un rapport, que la population rurale est aujourd’hui plus pauvre que la population urbaine et que la libéralisation totale entraînera probablement un accroissement de la pauvreté dans les zones rurales, ainsi que de nombreuses inégalités.

In fine, depuis le lancement des négociations des APE en 2002, un déséquilibre trop important existe entre les capacités de négociation des deux parties. Alors que la Commission reste le négociateur unique de l’Union européenne, les pays ACP ont de nombreux interlocuteurs, mal préparés et peu coordonnés et ne disposent pas toujours de la compétitivité nécessaire dans le commerce international. Cette situation risque de s’aggraver avec la conclusion des APE : les produits européens, moins chers, arriveront en masse sur le marché intérieur des pays ACP, provoquant une situation commerciale et humaine catastrophique et déstabilisante.

Notre pays a un rôle majeur à jouer dans l’évolution des échanges avec les pays ACP, dans l’évolution d’une mondialisation plus humaine. Malgré un bilan jusqu’à présent plutôt décevant, je veux croire que ce projet ambitieux, envisageant l’aide au développement de façon dynamique, sortira les pays les plus pauvres de la misère.

Il me semble logique et plus réaliste de repousser la signature de cet accord et d’envisager une période transitoire, afin que les négociations puissent continuer. C’est dans le respect de ses partenaires des pays ACP que l’Union européenne, tout particulièrement la France, contribuera à la mise en place de relations conjuguant la solidarité, un réel rayonnement et une influence positive.

Pour ces raisons constructives, et tout en saluant la qualité du rapport de notre collègue André Dulait, le groupe CRC estime opportun de repousser la signature de cet accord. En conséquence, il votera contre cette ratification précipitée.

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