Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, préalable au Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008

Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 (Friedemann W.-W. - https://flickr.com/photos/e2/)

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Lors de notre précédent débat relatif au conseil européen, je m’étais, comme d’autres parlementaires, ému du fait que ce débat se déroulait au sein de la salle Médicis.
Pourtant, la conférence des Présidents a fait le choix d’adopter les mêmes formes pour la tenue du débat de ce jour, nous continuons donc de le regretter.
D’autre part, je regrette une nouvelle fois que ce débat ne soit contraignant d’aucune manière ni pour le gouvernement ni pour le Président de la République.
Je commencerai par un rappel : le dernier conseil européen avait donné l’aval à l’adoption de plans nationaux de redressement des banques et de garantie des prêts interbancaires.

Pourtant, le plan français qui prévoyait de prêter 10,5 milliards d’euros a eu de grandes difficultés pour obtenir l’avis favorable de la commission européenne. En effet, celle ci considérait cette aide comme un avantage anti concurrentiel. Bruxelles a donc conditionné son accord à une croissance limitée du crédit et à celle de la taille de bilan des banques. On en revient donc bien à la sacro sainte interdiction des aides d’État. La révolution annoncée par le président Sarkozy d’en finir avec le marché libre et tout puissant n’est donc pas à l’ordre du jour de la commission européenne qui se considère toujours comme la gardienne du temple du libéralisme.

Revenons en à l’ordre du jour du prochain conseil qui est une nouvelle fois dominé par les questions liées à la crise financière et à l’entrée en récession. Il devra adopter le pacte de relance présenté par la commission le 26 novembre définissant, je cite, une « stratégie européenne, fondée sur la Stratégie de Lisbonne et le Pacte de stabilité et de croissance, pour faire face au ralentissement économique ».
Sur le principe, nous sommes satisfaits de l’existence même d’un plan de relance. En effet, celui n’était pas acquis comme en témoigne les déclarations du président de l’eurogroupe, Jean-Claude Junker, le 14 septembre dernier.
Nous considérons également, en accord avec les propositions de la commission, que ce plan doit passer par un soutien accru à l’économie réelle ce qui suppose la suspension provisoire du pacte de stabilité.

C’est un événement, soulignons le, la commission européenne reconnaît enfin que les critères de Maastricht sont un obstacle au soutien de l’économie réelle.
Ce plan semble a priori significatif, puisqu’il prévoit un effort commun de 1,5 % du PIB communautaire, soit 200 milliards d’euros. Mais il s’agit en réalité et pour l’essentiel de l’addition des plans nationaux : 170 milliards d’euros étant l’effort que devrait faire les 27. A ce titre, Jacques Barrot, commissaire européen reconnaissait « Si j’étais le président de la Commission, j’aurais écrit en préambule, voici ce que nous pourrions faire et ce que nous ne ferons pas faute de moyens ».
Car soyons clair, ce que l’on appelle plan de relance européen n’a d’européen que le nom.

Les moyens pour répondre à la crise sont en effet principalement de la compétence des états membres qui s’y emploient de manière très différentes.
Ainsi par exemple, l’Allemagne ne souhaite pas alourdir son taux d’endettement et compte s’en tenir à son niveau actuel d’investissement soir 32 milliards d’euros.
La France et l’Allemagne insistent sur les PME, l’énergie, l’automobile, le logement et les infrastructures. Le Royaume-Uni se distingue par un allégement massif de sa TVA représentant une dépense fiscale de 15 milliards d’euros.

La seule contribution a proprement parlé communautaire en dehors de l’utilisation d’un reliquat budgétaire représentant nettement moins de 10% de l’enveloppe globale - viendra par la BEI qui accorde des prêts à des taux bonifiés aux entreprises européennes. Déjà, en septembre, une augmentation des financements aux PME de 30 milliards sur deux ans avaient été décidée. Une enveloppe supplémentaire sera également prévue pour financer la lutte contre le changement climatique et la sécurité énergétique (notamment dans le secteur automobile et de la construction). De même, Bruxelles s’engage à verser plus rapidement les aides régionales destinées aux régions les plus défavorisées.

Cet aspect du plan concernant le rôle de la BEI mérite une attention particulière et un bref rappel historique. Il existe, en effet, un précédent intéressant qui mériterait d’être renouvelé. En 1992-93, la BEI fut exceptionnellement autorisée à financer des baisses de taux d’intérêt permettant de soulager les PME des charges financières liées au crédit, et ce, en fonction du nombre d’emplois créés. Un contrôle accompagnait ce dispositif financier afin de s’assurer de la création effective de ces emplois. Le résultat fut concluant. Tout plaide donc pour le renouvellement d’une telle démarche.
Parallèlement, aucune harmonisation fiscale ou sociale n’est prévue, conformément aux traités en vigueur, sauf, soulignons le, concernant une hypothétique directive concernant la baisse de la TVA sur les produits verts.

D’autre part, la commission préconise également le recours aux fameux contrats de partenariats au niveau européen. Mais qui dit partenariat public privé, dit retour sur investissement pour le secteur privé. Nous considérons donc que loin de correspondre à la solution miracle de relance des investissements, ces fameux contrats remettent en cause les grands principes d’aménagement du territoire.
D’autre part, nous regrettons qu’aucune directive ne soit donnée, ni même aucune recommandation faite aux États membres afin de veiller à ce que l’argent mobilisé serve bien l’emploi et le pouvoir d’achat des Européens.
Fondamentalement, nous considérons que la crise financière, économique et sociale que nous vivons aujourd’hui n’est pas le résultat d’une déviance du modèle libéral, mais la conséquence directe des préceptes au cœur de la construction européenne que sont la libre circulation des capitaux, l’indépendance de la banque centrale et l’interdiction d’intervention de l’État dans l’économie.

Ce plan de relance ne marque aucune inflexion puisqu’il fait toujours référence à la stratégie de Lisbonne et au pacte de stabilité. Ainsi, la seule flexibilité offerte est suspension de la règle des 3% pendant deux ans. La commission continue d’ailleurs, d’exiger que les "réformes" visant à "assainir" les finances publiques, se poursuivent.
Parallèlement, les politiques menées de libéralisation et de privatisation continuent puisque Madame la commissaire européenne à la concurrence estime notamment qu’il faut « briser le carcan des marchés nationaux des télécommunications », laissant craindre l’adoption prochaine d’un nouveau paquet télécoms.
Nous pensons pour notre part, et dans ce contexte, que ce ne sont donc pas de simples mesures conjoncturelles qui permettront de répondre à cette crise mais une réorientation complète de la construction européenne. Cela passe par la définition de droits effectifs à garantir par une harmonisation fiscale et sociale « par le haut ». Mais de tout cela, il n’est pas question puisque le président de la BCE ne cesse de répéter qu’il faut toujours baisser les charges, baisser les salaires pour limiter l’inflation. Il y a de l’argent pour les banques mais pas pour l’agenda de la politique sociale de l’Union, c’est insupportable !

Il n’y a donc aucune remise en cause du système qui nous a conduit à cette crise économique et sociale. Quel meilleur exemple que l’acharnement de nos dirigeants à voir adopter le traité de Lisbonne.
C’est sur le fond assez incroyable ! Les principes ultra libéraux de concurrence libre et non faussée, de libre circulation des capitaux, de l’indépendance de la BCE ont directement conduit à cette crise financière qui trouve ses racines dans la déconnexion totale entre la production et les marchés financiers. Et vous continuez pourtant de vouloir poser ces règles, par l’adoption du traité de Lisbonne, comme le socle commun des politiques européennes.

Ainsi, vous misez sur une adoption rapide de celui ci notamment par le biais d’un nouveau vote de l’Irlande, la République Tchèque ayant pour sa part reporté son vote.
Les sénateurs communistes, républicains et citoyens et du parti de gauche continuent pour leur part de s’opposer à la remise en cause du vote des Irlandais en arguant qu’ils n’avaient pas bien compris les termes du débat. Certains journaux n’hésitant d’ailleurs pas à parler à propos des craintes réelles des tenants du non , de « peurs fantasmatiques ». Une modification du nombre de commissaires européens paraît un peu maigre pour justifier un nouveau référendum. Nous continuons donc de considérer ce traité tout simplement caduc et nous en appelons à la mise en chantier d’un nouveau traité fondateur conçu sur le mandat des peuples européens, posant les bases d’une Europe démocratique et progressiste.

Je prendrais deux exemples où les politiques de l’Union doivent être réorientées et débarrassées du carcan des marchés financiers.
Premièrement la politique énergétique.
La lutte contre le changement climatique est l’un des dossiers phares de la présidence Française de l’UE. L’objectif est d’obtenir un accord entre les 27 États-membres sur le "paquet énergie-climat" avant la fin de l’année 2008 concommitament avec la conférence de l’ONU à Poznan qui se tient actuellement.
Cette conférence doit préparer la conférence de Copenhague de 2009 qui prépare l’après Kyoto. La plan européen a développé des lignes claires, fixées lors du conseil européen de mars 2007 (augmenter de 20% l’efficacité énergétique, réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre et atteindre 20% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique en fixant une proportion de 10% d’agro-carburants dans la consommation totale du transport d’ici 2020.

Si nous partageons évidemment le constat d’urgence sur le réchauffement climatique et la nécessité prévoir des mécanismes pour permettre la baisse des émissions de gaz à effet de serre, nous voulons vous faire part d’un certain nombre de réserves :
Tout d’abord, ce plan ne fait plus partie des priorités de l’Union depuis le début de la crise financière. Aboutira-t-on à l’adoption un plan quasi vide dont le seul intérêt sera celui d’un affichage sans garantie de mise en œuvre ?
Deuxièmement, quel peut être sa portée vu qu’aucun de ces objectifs et les moyens de le mettre en œuvre ne seraient contraignants pour les états membres ?
Plus fondamentalement, le cœur de cette directive se trouve dans le système de gestion des quotas de CO2 qui représente une ressource financière non négligeable pour l’Union en posant le principe de pollueur payeur.

Nous pensons pour notre part que ce principe ne doit pas dédouaner les gouvernements de poser la question fondamentale : celle du système de production et de son organisation qui passe par un développement des énergies propres permettant de répondre aux besoins, ainsi que la reconnaissance de la place spécifique du nucléaire dans notre bouquet énergétique.
Car comment s’opposer au développement de la production énergétique par des centrales fonctionnant au charbon si les critères de choix imposés par l’Union restent ceux de la rationalisation des coûts et du jeu de la libre concurrence ?
D’autre part, ce dispositif ne doit donc constituer ni un effet d’aubaine ni un encouragement au statu quo mais bien au contraire doit se concevoir comme un levier d’encouragement à la modernisation de l’industrie.
Concernant, le recours massif aux biocarburants, bien qu’il ait des effets positifs notamment sur le réchauffement climatique est de plus en plus fortement contesté. En effet, les bénéfices énergétiques, climatiques, sanitaires et socio-économiques sont loin d’être avérés et sont une catastrophe sociale et écologique dans beaucoup de régions du monde.

En tout état de cause, ce plan qui ne recouvre pas l’unanimité des états membres devaient faire l’objet d’un vote au Parlement européen avant le conseil européen. Ce vote a été reporté au 17 décembre prochain. Cette décision de report a été justifiée notamment par la volonté de ne pas faire adopter un plan trop ambitieux par le Parlement européen. On peut donc craindre légitimement que les objectifs retenus lors de ce conseil ne seront pas des plus audacieux !
Autre illustration des conséquences désastreuses du libéralisme, la politique agricole commune. Celle ci s’est inscrite depuis 15 ans dans le processus général de réduction des obstacles à la concurrence, du « laisser-faire » sur les marchés. Le secteur agricole est aujourd’hui en souffrance et aucun signe n’est donné aux agriculteurs, ni dans le sens d’un prix rémunérateur qui leur serait garanti, ni dans le sens du respect des normes sanitaires et environnementales.

Ainsi, l’accord auquel ont abouti les ministres de l’Agriculture européens sur le « bilan santé PAC » s’apparente à une longue liste de bonnes intentions. Mais la déréglementation du secteur agricole continue, notamment avec la suppression des quotas laitiers et la commission ne cesse de donner de nouvelles autorisations pour des semences OGM, remettant de fait en cause l’agriculture biologique et organisant la main mise des multinationales de semenciers.

Voilà donc deux exemples, où nous voyons bien que les remèdes proposés par les instances communautaires s’apparentent à de simples correctifs alors même que ce sont les principes de production qu’il faudrait repenser en dehors du dicktat des marchés.

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