Ratification des protocoles au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de l’Albanie et de la Croatie

Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Quels sont les objectifs poursuivis par l’Alliance atlantique en voulant s’élargir aujourd’hui à l’Albanie et à la Croatie ?
A l’évidence, l’intégration de ces deux petites armées (respectivement 14.500 et 17.500 hommes) aux équipements obsolètes, à la formation et à l’entraînement laissant à désirer, ne renforcera que très marginalement la dimension militaire de l’Alliance.
Non, les objectifs ne sont pas militaires mais politiques.
En critiquant ce cas d’espèce, c’est à la politique menée par l’Otan, notamment dans cette région du monde, que nous nous opposons.
La ratification de ces deux protocoles d’adhésion est l’aboutissement d’un processus engagé depuis quelque temps.
Dans le cadre d’un plan d’action pour l’adhésion (dont l’acronyme anglais est MAP), une invitation des pays membres a été adressée à l’Albanie et à la Croatie lors du sommet de l’Otan à Bucarest en avril 2008 afin de continuer les pourparlers en vue d’une adhésion à l’Alliance.
Cette invitation s’est ensuite traduite, en juillet de la même année, par la signature à Bruxelles des protocoles d’adhésion au traité de l’Atlantique Nord.

Il faut bien mesurer que ce processus qui, s’il était ratifié à l’unanimité des vingt-six pays membres de l’Organisation aboutirait à l’adhésion de l’Albanie et de la Croatie, est la traduction d’un nouveau concept stratégique défini en avril 1999 lors du sommet de Washington.
Ce concept légitimait alors les interventions militaires du début des années 90 en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, et préfigurait les opérations en Afghanistan à partir de 2001.

Ces interventions marquaient un tournant dans l’histoire de l’Otan.

Elles consacraient l’abandon de sa vocation initiale de défense du territoire de ses Etats membres, pour lui substituer la gestion de crises se déroulant en dehors de ses frontières naturelles.

L’adoption de cette nouvelle stratégie sera précisément l’un des principaux enjeux du prochain sommet de l’organisation prévu début avril à Strasbourg et à Kehl.
Officialiser à cette occasion, comme le Président de la République a l’intention de le faire, le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan, ce serait du même coup accepter ce changement de concept stratégique.

Monsieur le ministre, avant que ces décisions ne soient officiellement annoncées, nous vous demandons, conformément aux nouveaux droits du Parlements en matière de Défense, que le gouvernement organise un débat sur la place et le rôle de notre pays dans cette organisation.
Pour notre part, nous nous opposons au retour de notre pays dans le commandement militaire intégré, car il limiterait notre souveraineté et serait le signe d’un alignement sur l’administration américaine qui banaliserait la singularité de la France au plan international.
En toute logique, nous nous opposons donc également au changement de vocation de l’organisation militaire de l’Alliance atlantique.

Mais d’autres raisons expliquent aussi que nous soyons contre l’adhésion de ces deux pays.

Nous estimons en effet, que certains des critères militaires et politiques nécessaires à leur adhésion ne sont qu’imparfaitement respectés.

Pour ce qui concerne l’Albanie, bien qu’elle ait réalisé de réels progrès pour moderniser ses matériels et professionnaliser son armée, nous sommes encore loin du compte.
L’explosion d’un dépôt de munitions qui, en mars 2008, avait fait neuf morts et deux cent cinquante blessés civils alentour, en est un triste exemple.

Quant à la lutte contre la corruption, les trafics en tous genres et le crime organisé, il n’est qu’à voir le rôle joué par les mafias albanaises dans les réseaux de prostitution en Europe pour avoir quelques doutes sur l’efficacité des politiques menées dans ces domaines.
La Croatie est peut-être un peu plus fiable d’un point de vue militaire, mais en matière de lutte contre la corruption et le crime organisé, mais surtout de protection des minorités, qui est aussi l’un des critères d’adhésion, nous sommes bien loin des critères européens.

Enfin, l’un des arguments souvent invoqué pour justifier ces adhésions est que leur intégration à l’organisation de l’Alliance atlantique préviendrait de nouveaux désordres et contribuerait ainsi à consolider la paix dans les Balkans.
Nous pensons au contraire, que leur développement économique, l’instauration d’un véritable Etat de droit et la démocratisation de leurs institutions pourraient beaucoup plus efficacement contribuer à les stabiliser.
Les réformes qu’ils entreprennent seraient en effet grandement facilitées si les gouvernements et les populations croates et albanaises si leurs perspectives d’association, puis d’adhésion, à l’Union européenne étaient plus nettes.

Au total, accepter ces deux adhésions risque fort de provoquer dans la région de fortes tensions plutôt que la stabilisation attendue. Elles ne favoriseront pas la nécessaire reprise du partenariat entre l’Otan et la Russie qui a été sérieusement mis à mal lors du récent conflit avec la Géorgie.

Le dernier sommet de l’Otan avait pourtant adopté une position de sagesse et d’apaisement en différant l’obtention du plan d’action pour l’adhésion pour l’Ukraine et la Géorgie.

Mes chers collègues, je vous invite à avoir la même démarche.
N’anticipons pas sur le débat que souhaitons avoir avant le prochain sommet de l’Otan consacré à l’avenir de l’Alliance et à la place de notre pays dans celle-ci.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe CRC/SPG votera contre le projet de loi qui autorise la ratification de ces protocoles sur l’accession de l’Albanie et de la Croatie à l’Otan.

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