Avec la réforme des collectivités, les lieux de décision s’éloigneront toujours plus des citoyens

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, devant le Congrès, le Président de la République a tranché : « Nous irons jusqu’au bout de la réforme des collectivités locales », a-t-il dit. « Nous ne nous déroberons pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux. Nous ne nous déroberons pas devant le problème de la répartition des compétences. Nous ne nous déroberons pas devant l’effort qui sera demandé à toutes les collectivités ».

Le cap est donné, la feuille de route est affichée, l’objectif est fixé. Il s’agit de réduire le nombre, l’action et les dépenses de nos collectivités locales, avec la volonté de déstabiliser toute l’organisation territoriale de notre République.

M. Christian Cambon. Mais non !

M. Jean-François Voguet. Ainsi, après avoir changé « de » République avec la réforme constitutionnelle, nous sommes appelés à changer « la » République.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que mesurer les limites de notre mission et de son rapport.

L’avis des sénateurs ne semble pas intéresser le Président de la République. Nous le déplorons car, bien que nous fassions une analyse critique du rapport de notre mission, nous reconnaissons que celui-ci maintient les trois niveaux de collectivités et la clause de compétence générale.

Tout va donc se jouer au cours du prochain débat parlementaire. Il s’agirait même, dit-on, de jouer le peuple contre les élus.

Aussi, avec ce rapport, notre responsabilité est engagée pour soutenir d’autres propositions.

Sous couvert de réorganisation, c’est en fait la suppression des communes qui est planifiée avec le renforcement des intercommunalités. Le périmètre de celles-ci pourra être imposé et leur pouvoir sera étendu. Peu à peu, le rapport de force, le fait majoritaire, remplacera la coopération librement consentie. Dans le cadre des métropoles, c’est le pouvoir des villes-centres qui va s’imposer. Ainsi, sous couvert de coopération, c’est la perte d’autonomie qui s’annonce.

En ce qui concerne les départements et les régions, ne nous y trompons pas, c’est la fin des départements qui est planifiée.

Avec la création des conseillers territoriaux, c’est la disparition de l’autonomie départementale qui est recherchée, et non pas quelques économies, par ailleurs d’un montant ridicule. Les conseillers territoriaux qui ne siégeront qu’en formation départementale verront leur possibilité d’action diminuée du fait tout à la fois de l’encadrement strict de leurs propres compétences, du renforcement des compétences attribuées à la région et de la création de métropoles.

Le but ultime de la réforme, sa logique même, est de créer les conditions d’une évolution lente, un glissement progressif mais assuré vers une organisation territoriale de notre République reposant uniquement sur des intercommunalités et des métropoles plus ou moins importantes, devenues des collectivités locales de plein exercice, et sur des régions au pouvoir étendu, au sein d’un État dont le pouvoir central ne détiendra plus que les pouvoirs régaliens.

L’ensemble des politiques publiques, très encadrées, seraient alors régionalisées et la gestion des affaires courantes, pourrait-on dire, relèverait des intercommunalités.

Si nous ne réagissons pas, c’est toute l’histoire démocratique de notre pays, la forme actuelle de notre République et l’équilibre des pouvoirs qui sont appelés à disparaître. Les lieux de décision s’éloigneront toujours plus des citoyens. Les populations de nos territoires ne pourront plus choisir librement leur destinée. Toute notre vitalité démocratique sera mise à mal. L’investissement citoyen, l’engagement local, le bénévolat au profit de la chose publique, les solidarités locales, vont perdre de leur sens et disparaîtront peu à peu.

Enfin, avec l’encadrement et la réduction drastique des pouvoirs et des moyens financiers de nos collectivités locales, c’est l’avenir même des services publics locaux répondant aux préoccupations de chacun qui est aujourd’hui en question.

Nous sommes donc bien en face d’une vaste et dangereuse opération de remise en cause de nos institutions, de tout ce qui fait la force de nos services publics et de notre conception du « vivre ensemble » et de la fraternité.

Aussi, compte tenu des enjeux, nous en appelons à la mobilisation de l’ensemble des élus locaux et de toute la population pour résister à ce projet de réforme.

Nous sommes conscients qu’il nous faut, pour réussir cette mobilisation, ouvrir la voie à des transformations utiles et porter les modifications nécessaires : le statu quo n’est pas possible, en effet.

Nous le ferons en réaffirmant la nécessité de l’existence de toutes les collectivités locales, de leur autonomie, du développement de leur coopération, en insistant sur l’importance du renforcement de leurs moyens pour répondre aux besoins et aux attentes des populations, et en proposant le développement d’une démocratie locale renouvelée et revivifiée.

Pugnace et déterminée pour résister et proposer, telle sera notre attitude dans le débat qui va s’ouvrir sur le projet de réforme des collectivités territoriales

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