Pour la moitié de nos concitoyens qui ne partiront pas en vacances cet été, il n’y a rien à attendre de ce texte

Pour la moitié de nos concitoyens qui ne partiront pas en vacances cet été, il n'y a rien à attendre de ce texte - Développement et modernisation des services touristiques (deuxième lecture)

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, alors que tous les clignotants ont viré au rouge, indiquant que la crise économique que traverse notre pays sera la plus sévère que nous ayons connue depuis des décennies, le projet de loi dont nous avions débattu en avril dernier, lors de sa première lecture dans notre assemblée, revient profondément bouleversé dans son économie générale. De quinze articles nous sommes passés à trente-six !

Certes, les logiques qui le sous-tendent sont toujours à l’œuvre : logique de l’offre, qui profite aux acteurs les plus importants du secteur, désengagement de l’État au profit du marché, abandon de toute ambition de développer le tourisme social ou associatif, principe cardinal de la concurrence libre et non faussée érigé en dogme absolu.

Mais pour la moitié de nos concitoyens qui ne partiront pas en vacances cet été, pour les salariés du secteur qui attendent une réelle amélioration de leurs salaires, de leurs conditions de travail et de formation, ce texte ne dit rien.

Plus encore, il signe un retrait de l’État de son rôle de promoteur de l’intérêt général et de mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses destinées à inverser les tendances lourdes d’un secteur en crise, lui aussi.

Pour conserver une place enviable dans le classement des destinations touristiques mondiales, la France a besoin de mobiliser tous les acteurs - hôteliers, restaurateurs, résidences et meublés de tourisme, villages de vacances ou chambres d’hôtes - et tous les prestataires de services, dans un objectif commun d’amélioration de leurs offres pour répondre à une demande elle-même en mutation.

En effet, tous les pays sont affectés par la crise économique et financière, ce qui se traduit par une réduction concomitante des durées de séjours et des distances parcourues. L’analyse de la demande aurait dû conduire les travaux parlementaires à un texte portant modernisation et développement des services touristiques. Or tout semble être mis en œuvre dans une logique inverse.

Concernant la modernisation, force est de constater qu’il s’agit surtout de réduire la place de l’État et de promouvoir la révision générale des politiques publiques, la RGPP, voire d’abandonner des pans entiers de ce secteur crucial pour l’aménagement et l’équilibre des territoires. J’en veux pour preuves deux points importants du projet de loi : la création du GIE Atout France, qui détiendrait des prérogatives de puissance publique en matière de promotion des vacances en France, et la réforme du classement hôtelier, qui reviendrait à des partenaires privés en lieu et place des préfets et des commissions départementales d’action touristique s’appuyant sur les avis d’une DGCCRF en sursis.

La petite hôtellerie de loisirs est purement et simplement radiée de vos préoccupations, alors qu’elle tisse un maillage d’escales souvent sympathiques dans nos régions, notamment grâce à la gastronomie. Elle compte visiblement moins, aux yeux de votre gouvernement, que les palaces cinq étoiles, qui n’ont pas attendu le vote définitif de la loi pour s’octroyer un label destiné aux plus fortunés.

Pour ce qui est du développement des services touristiques, je dénonçais déjà, lors de l’examen du texte en première lecture, la transposition en droit français de la fameuse directive « Services », dite directive Bolkestein, et du règlement sur le droit des sociétés européennes concernant les prestations des agences de voyage.

Le principe de la « concurrence libre et non faussée » a la vie dure et résiste manifestement à la crise. Pourtant, la dérégulation n’a jamais apporté de solutions favorables aux consommateurs, ni aux salariés des secteurs où elle s’applique, comme nous le montrent les évolutions récentes des secteurs des transports aériens ou de l’énergie.

La réforme juridique de la vente de séjours et de voyages est une occasion supplémentaire d’aligner nos législations sur le moins-disant social au niveau de l’Union européenne et de simplifier, c’est-à-dire de mettre à bas une organisation où l’État détenait un rôle d’équilibre et de garant des conditions de marché et de la protection du consommateur.

Les dispositions retenues font la part belle aux plus gros opérateurs, ce qui conduira logiquement à un phénomène de concentration et à une destruction d’emplois supplémentaire. La logique du marché est, à ce titre, implacable !

Mais ce qui nous frappe le plus à la lecture de ce texte profondément remanié, pour ne pas dire bouleversé par l’Assemblée nationale, c’est la pratique des cavaliers législatifs, dont il nous semble détenir un record.

Certes, l’allongement de la session parlementaire pousse à battre des records, puisque le Sénat n’a jamais autant siégé que cette année depuis les débuts de la Ve République. Mais rien ne saurait justifier cette frénésie législative, et d’autant moins des perspectives assez éloignées du quotidien des 3000 chômeurs supplémentaires qui s’agrègent chaque jour aux statistiques de pôle Emploi, comme une improbable compétition européenne de football en 2016.

Ici encore, me direz-vous, RGPP oblige, il faut promouvoir les partenariats publics-privés pour mettre l’intérêt général en conformité avec l’intérêt de grands clubs sportifs.

Ici encore, les collectivités locales doivent accepter de payer et se taire, puisqu’elles seront à nouveau mises à contribution, avec des dotations budgétaires réduites et des recettes fiscales hypothéquées par la réforme attendue de la taxe professionnelle pour financer des infrastructures et des aménagements qui ne répondent pas aux inquiétudes immédiates de nos concitoyens en matière d’emplois et de pouvoir d’achat ! Ceux-ci ne reflètent pas davantage les principes de développement durable affichés dans cette assemblée la semaine dernière, lors du vote de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

Et que dire des articles concernant les entreprises du déménagement et le calendrier des élections au sein des chambres consulaires ? Regroupés fort justement au sein d’un titre additionnel portant dispositions diverses, l’un de ces articles concerne une loi, définitivement adoptée en mai dernier, de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, l’autre anticipe le dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale d’un projet de loi réformant les chambres de commerce et d’industrie.

Mes chers collègues, nous ne saurions tolérer un tel mépris de nos travaux parlementaires, car notre rôle est bien d’élaborer la loi, dans un processus qui ne saurait être à ce point bousculé par des contingences immédiates dictées par le seul gouvernement, alors que la situation économique et sociale de notre pays appelle d’autres réponses à d’autres interpellations, comme celles de justice sociale et d’équité fiscale, qui, elles, ne sont pas entendues.

À ce titre, l’article 10 bis A est exemplaire : aux esprits rationnels qui préfèrent conditionner les baisses de charges ou les exemptions fiscales à de véritables engagements en termes d’emplois, de salaires ou de baisse des prix, on oppose une logique inverse.

À l’instar des aides faramineuses distribuées aux banques et aux constructeurs automobiles, le secteur de la restauration bénéficie, depuis le 1er juillet, d’allégements de charges qui représenteront, en année pleine, 2,5 milliards à 3 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales pour l’État. Le même État, qui refuse de revenir sur le bouclier fiscal, sur les exemptions de charges sur les heures supplémentaires, alors même que leur effet sur l’emploi est négatif, accorde à toute une profession un avantage considéré comme scandaleux au regard de la charge qu’il représente pour les finances publiques.

Comment contrôler la baisse effective des prix puisque la DGCCRF est démantelée ? Comment vérifier les augmentations de salaires et les embauches promises, là où les grandes confédérations syndicales ont refusé de signer ? Notre collègue Jean Arthuis lui-même ne s’y est pas trompé, qui vous demande de retirer cette disposition votée à l’Assemblée nationale.

Cette injustice supplémentaire, alors que le pouvoir d’achat de milliers de nos concitoyens est en berne, n’est pas tolérable ! D’autant qu’un Français sur deux renonce à ses vacances et que les associations pallient à peine les difficultés des plus pauvres et des plus fragiles - les jeunes, les familles modestes, les retraités à faibles pensions -, là où l’État devrait agir pour promouvoir le tourisme social et celui des classes populaires, touchées par le chômage et la précarisation croissante de leurs conditions d’existence.

Mes chers collègues, c’est donc avec la plus grande vigilance et la plus grande défiance que nous entamons l’examen en deuxième lecture de ce projet de loi. Nous ne manquerons pas de revenir sur ses dispositions les plus injustes au cours de nos débats.

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