Les missions d’aménagement du territoire de La Poste sont incompatibles avec la recherche de la rentabilité à tout prix

 

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Je concentrerai, pour ma part, mon intervention sur le « défi du maintien de la présence postale », selon les termes même de l’étude d’impact sur ce projet de loi.
 Le gouvernement avec ce texte se trouve dans une situation difficile : comment faire croire que la présence postale va se trouver renforcée alors même que la transformation de la Poste en société anonyme va la contraindre à une meilleure rentabilité économique, indépendamment de son utilité sociale ?

La présence postale dans les territoires ruraux a déjà reculé depuis plusieurs années, les obligations de La Poste en termes d’aménagement du territoire étant allégées par les lois successives et les contrats de service public qui préparent l’ouverture à la concurrence.
Un rapport de la commission européenne au conseil soulignait déjà en 2006 que « l’accès aux services postaux dans les régions isolées risquaient de pâtir » de la mise en œuvre des directives de libéralisation.

 Il ne s’agit donc pas d’une inquiétude nouvelle pour les élus et les citoyens qui vous interpellent régulièrement sur cette question. J’ai moi-même, dans mon département, été sollicitée par de nombreuses communes et autres collectifs de défense qui ne supportent plus la lente agonie de leurs services postaux. Bien avant que la réforme ne soit annoncée, déjà tout était mis en œuvre pour tuer à petit feu les agences locales dites non rentables et inciter les usagers à se rendre dans des centres plus importants.

Ainsi à Onville et à Leyr, par exemple, la réduction de l’amplitude horaire d’ouverture des bureaux se poursuit, posant le problème de l’accessibilité des usagers, renvoyés vers d’autres bureaux de poste. A Leyr, la prise d’activité des facteurs a été transférée au centre voisin, à 20 km de leurs tournées ! A Onville, l’unique agent du guichet n’est remplacé que de façon aléatoire lors de ses absences. Les usagers sont avertis le jour même, par un écriteau sur la porte, de la fermeture ou, le cas échéant, des horaires du jour ! A cela, La Poste répond que les clients peuvent, désormais, traiter la plupart de leurs opérations sur internet ! C’est oublier que, souvent, ce sont les mêmes personnes qui sont aussi confrontées à l’isolement en terme de réseaux de télécommunication.
Comment ne pas s’émouvoir alors des conclusions de la commission Ailleret, qui souhaite que les surcoûts liés aux missions de service public notamment en termes d’aménagement du territoire diminuent fortement pour arriver à l’équilibre.

L’Etat ne souhaite donc pas seulement se désengager du capital de l’entreprise, mais aussi du financement des missions de service public. Alors qu’il doit déjà un milliard à La Poste à ce titre.
Que l’Etat paie déjà ses dettes, La Poste ne s’en portera que mieux.
Le changement de statut fait peser un risque sur plusieurs missions du service public : l’accessibilité bancaire, la distribution de la presse, le service universel postal et l’aménagement du territoire. Vous nous direz que celles-ci sont confortées par la loi. Mais comment faire sans financement ?
L’article 2 bis affirme vouloir graver dans la loi la présence de 17 000 points de contact. Mais de quoi parle-t-on ?

Depuis que le processus de libéralisation est entamé, le nombre de bureaux de plein exercice a chuté, passant de 14 147 bureaux en 1999, à 11 422 fin 2008. Parallèlement, le nombre d’agences postales communales n’a fait qu’augmenter, ainsi que celui des relais poste.
Or, on ne fait pas les mêmes choses dans un simple relais poste ou dans un bureau de plein exercice. Quant aux agences postales communales, elles sont le résultat d’un chantage à la présence postale. Les collectivités qui font ce choix, pour leurs concitoyens, supportent une charge indue et mal compensée puisque l’aide apportée atteint péniblement les 800 euros.
Ce que vous nommez donc pudiquement « partenariat », nous appelons cela du racket.

Cette logique est assumée par la direction de la Poste qui estime que « la transformation de 500 bureaux de poste par an en agence communale ou en relais poste pourrait permettre de ramener le surcout généré par cette mission d’aménagement du territoire à 260 millions en 2011. »

Une telle logique fait craindre le pire pour la mission de service public liée à l’accessibilité bancaire qui, n’est elle, assortie d’aucune obligation territoriale.
Pour remplir les obligations en termes d’aménagement du territoire, la loi dite « régulations postales » a instauré un fonds de péréquation de la présence postale au sujet duquel la commission supérieure du service public des postes et télécommunications a regretté que ses modalités de financement ne soient pas précisées, et dont les moyens restent à la fois insuffisants et incertains.
En effet, celui-ci est abondé par l’exonération sur la taxe professionnelle dont bénéficie La Poste à hauteur de 85%, 100% maintenant grâce à la commission du sénat. Alors que cette taxe est appelée à disparaître dans la loi de finances, comment ce fonds sera-t-il alimenté demain ? Mystère.

Les directives européennes n’interdisaient pas de faire supporter à l’ensemble des opérateurs une obligation de desserte de l’ensemble du territoire. Pourquoi ne pas avoir fait jouer cette obligation ?
D’ailleurs, les directives n’obligent nullement à changer de statut. La définition des normes de qualité de service et des règles d’accessibilité des bureaux demeure également une prérogative nationale.

 En effet, tel que vous la préparez, la concurrence va se développer uniquement dans les zones jugées rentables, laissant tout une partie du territoire de côté comme pour les téléphones portables ou le haut-débit.
Nous ne voulons pas d’une telle « modernisation ». Les exemples sont aujourd’hui trop nombreux dans toute l’Europe qui prouvent que l’ouverture à la concurrence cumulée au changement de statut se traduit par une dégradation des services. En suède notamment, on parle couramment de la règle des 1/3. La libéralisation a entraîné la suppression de 1/3 du personnel et de 1/3 des bureaux de poste. Ceci sans compter le fait que le prix du timbre a augmenté de 40% pour l’usager et baissé de 30 % pour les entreprises.
Vous avez dit « modernisation » ?!

La logique est donc toujours la même : faire porter les missions d’aménagement du territoire aux collectivités et faire financer les obligations du service universel par les usagers. L’Etat se dégage de ses responsabilités en faisant confiance aux marchés pour la régulation.

Pour toutes ces raisons, nous serons des opposants déterminés à ce texte qui sonne le glas des missions de service public confiées à la Poste, mettant de fait en péril la cohésion nationale et le pacte républicain.

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