Cette frénésie destructrice est en totale inadéquation avec notre époque

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, 5,2 millions de personnes, soit près du quart de la population active, occupent un emploi de service public, la plupart sous un statut dont les règles échappent pour une large part à celles du marché. Il s’agit d’une réelle spécificité, dans un monde dominé par le libéralisme économique ; c’est ce qui explique d’ailleurs que les gouvernements successifs se soient ingéniés au cours des dernières années à réduire ce qu’ils considèrent comme une anomalie.

Entamée en 2003, la baisse continue du nombre de fonctionnaires n’a cessé de s’accélérer. Ainsi, en 2009, ce sont plus de 30 000 emplois équivalents temps plein qui ont été supprimés. Ce rythme est d’ailleurs reconduit en 2010, puisque 34 000 destructions de poste sont prévues ; une fois encore, c’est l’éducation nationale qui en sera la grande victime, avec 16 000 suppressions.

Outre l’idéologie antisociale et réactionnaire qu’elle supporte, cette frénésie destructrice est en totale inadéquation avec notre époque, marquée par la dépression économique. La crise a pourtant révélé avec force le rôle d’« amortisseur social » d’un service public étendu dans notre pays, du point de vue non seulement du pouvoir d’achat, de l’emploi, de notre système de protection sociale et de retraite, mais aussi de l’éthique, face à l’immoralité, ou plutôt l’amoralité, spectaculairement affichée par le système financier dans le monde et en France.

Le Gouvernement ne semble pas avoir pris conscience de cette réalité. Dans les faits, l’offensive contre le service public et spécialement contre la fonction publique, engagée par la loi du 2 février 2007 dite de modernisation de la fonction publique et celle sur la mobilité du 3 août dernier, continue, mais elle revêt désormais des formes ponctuelles et sectorielles.

Ainsi, la récente réforme de l’ENA a mis en œuvre une nouvelle procédure d’affectation « reposant sur un processus privilégiant le dialogue de recrutement entre les élèves et leurs futurs employeurs », autrement dit reposant plus sur l’entregent et le capital social que sur la qualité intrinsèque des candidats. En cela, elle peut être considérée comme une première expérience de remise en cause par le haut des concours, qui sera probablement généralisée au fil du temps à l’ensemble de la fonction publique.

En effet, au-delà des baisses d’effectifs, la fonction publique est de plus en plus soumise à l’intrusion managériale dans son fonctionnement : la course à la rentabilité, l’externalisation de certaines tâches, l’individualisation des rapports, les système de primes et la mise en concurrence des agents sont autant de techniques pour atomiser la fonction publique et lui faire perdre à la fois son sens et son efficacité. C’est ce type de réformes structurelles qui a conduit le nouveau Pôle emploi dans l’impasse que l’on connaît.

Le développement d’un système de primes ou la garantie individuelle du pouvoir d’achat se réduisent à une addition de mesures hétéroclites qui ne concernent qu’une partie des agents et ne sauraient répondre aux insuffisances et aux inégalités salariales qui se sont développées dans la fonction publique.

L’augmentation des salaires de 0,5 % paraît en effet bien misérable au regard des besoins réels : elle est même inférieure à la hausse des prix envisagée en 2010.

Finalement, la politique du Gouvernement se caractérise par une unique visée, guidée par l’ouverture au marché et la réduction à court terme de la dépense publique. Preuve en est l’absence de plus en plus flagrante de réelles négociations avec les organismes représentatifs des fonctionnaires.

Il s’agit là d’une terrible erreur de calcul : alors que le marché rejette 60 000 chômeurs de plus par mois, le Gouvernement, en supprimant des dizaines de milliers de postes, se prive d’une marge de manœuvre importante qui permettrait de réaffecter la dépense publique à des activités bien plus rentables socialement et économiquement.

En fait, la question qui se pose aujourd’hui, monsieur le ministre, je l’exprimerai en ces termes : quel service public, quels besoins à satisfaire ? C’est ce débat-là qu’il faudrait peut-être ouvrir.

Retour en haut