Pendant que les fonds spéculatifs emplissent les poches de quelques boursicoteurs, les peuples européens sont appelés à se serrer la ceinture

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, l’Union européenne fait le grand écart entre les paroles et les actes en matière de régulation financière.

Toutes les surenchères ont été faites pour dénoncer le système fou de la spéculation déconnecté de la réalité. Mais à l’heure des mesures nécessaires, les dirigeants européens reculent de nouveau. Preuve en est le projet de directive visant à réguler les fonds spéculatifs, retiré pour ne pas froisser les marchés britanniques à l’aube d’élections législatives qui s’annoncent difficiles pour Gordon Brown. Une question simple et légitime s’impose donc : les États membres souhaitent-ils vraiment un accord ?

Pendant que les fonds spéculatifs emplissent les poches de quelques boursicoteurs, les peuples européens sont appelés à se serrer la ceinture, au premier rang desquels nos amis grecs, qui doivent subir des réductions de salaires, de pensions, de services publics, lesquelles engendrent d’importantes manifestations.

Le sommet des 25 et 26 mars sera donc crucial pour la Grèce : soit les chefs d’État s’accordent sur une aide financière à des taux d’intérêt non prohibitifs, car les taux d’intérêt que la Grèce doit aujourd’hui payer pour emprunter sur les marchés et financer ses déficits – plus de 6 % – sont intenables et contribuent à l’enfoncer dans la crise ; soit, devant l’égoïsme de ses partenaires, la Grèce n’aura d’autre recours que de s’adresser au FMI, dont les taux d’emprunt sont plus favorables, marquant ainsi l’échec de la politique monétaire européenne ! Le comble est que le président de la Commission européenne serait favorable à une telle solution !

Quant à l’Allemagne, sa position est encore plus inquiétante puisqu’elle évoque la possibilité d’exclure de la zone euro les pays jugés trop permissifs en matière de déficit, visant en premier lieu la Grèce, mais également le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France…

Les décisions qui seront prises lors de ce sommet seront donc cruciales pour le peuple grec, mais elles détermineront également la conception que nous souhaitons donner à l’Europe.

Pour le groupe CRC-SPG, il faut rompre avec le dogme de l’Europe libérale, rejetée par la majorité des votants lors des référendums en France, aux Pays-Bas et en Irlande. Ni l’Union européenne ni les gouvernements de ces pays n’ont respecté les décisions des citoyens ; ils ont, au contraire, continué de mettre en œuvre les mêmes orientations, dont les conséquences désastreuses sont aujourd’hui payées par les peuples européens !

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, ne devrions-nous pas tirer les leçons de l’échec de l’Europe libérale, pour porter une Europe des peuples, en proposant de remplacer le pacte de stabilité et de croissance, devenu obsolète, par un pacte de solidarité sociale pour l’emploi et la formation, pour la lutte contre la pauvreté – en garantissant un revenu minimal pour tous – et pour l’arrêt de la flexibilisation du marché du travail ?

Ne serait-il pas temps de redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne afin qu’elle intègre, grâce à l’impulsion d’un nouveau type de crédit, des objectifs de croissance, d’emploi, et pas seulement de stabilité des prix ?

Quant aux promesses du G20 de refonte des institutions de la zone euro et du système financier international, ont-elles été jetées aux oubliettes ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Si je ne partage pas vos conclusions sur bien des points, madame David, je vous rejoins en revanche sur le constat que le capitalisme et l’économie de marché ne doivent pas se transformer en casino, qu’ils doivent être encadrés par des règles, et que la cécité, la dérégulation et la rapacité, causes de la crise de 1929, sont également à l’origine de celle de 2008.

Cependant, je ne pense pas qu’il faille remplacer le pacte de stabilité par je ne sais quelle économie…

Mme Annie David. Certes !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. … plus ou moins étatisée.

Mme Annie David. Un pacte social !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Comme l’ont dit la chancelière Merkel et le président de la République française, cette crise de 2008 a fait ressortir le besoin de moraliser le capitalisme, mais surtout d’organiser un système de régulation financière adapté à des transactions mondialisées.

Même s’il reste beaucoup à faire, des progrès non négligeables ont été accomplis depuis 2008, notamment au niveau du G20, réuni pour la première fois sous la présidence française de l’Union, sur l’initiative de Nicolas Sarkozy. Au sein de cette enceinte, que la France présidera en 2011, et dont le premier mérite est de constituer un cadre de discussion, a été décidé l’encadrement des rémunérations, avec en particulier l’interdiction des bonus garantis supérieurs à un an, l’étalement dans le temps des rémunérations variables, l’instauration d’un système de malus, ou encore la limitation des bonus par rapport aux revenus totaux de la banque. Autant de choses qu’il était impensable de réaliser voilà encore deux ans.

Je pense également à la lutte contre les juridictions dites non coopératives. Soulignons l’établissement par l’OCDE d’une « liste noire » et l’adoption de sanctions contre les États qui refuseraient de se soumettre aux standards internationaux, alors que personne ne pensait pouvoir réguler les « paradis fiscaux » il y a deux ans.

Tous les grands centres financiers du G20, y compris les États-Unis, ont également réaffirmé l’engagement pris à Londres de mettre en œuvre, au plus tard le 1er janvier 2011, les accords dits de Bâle 2 en matière de supervision bancaire.

L’Union européenne s’est aussi dotée d’une législation de pointe en la matière, avec l’adoption, sous présidence suédoise, en 2009, d’un nouveau cadre de supervision financière. Le volet macroéconomique de ce cadre a été adopté en octobre, avec la création d’un Comité européen du risque systémique, chargé de dépister les grands risques. Quant au volet microéconomique, il a été adopté en décembre, grâce à la transformation des « comités de superviseurs » en « autorités » dotées de pouvoirs contraignants.

Bien sûr, il reste beaucoup à faire. Je pense à l’adoption de la directive sur l’encadrement des hedge funds, qui a été retardée en raison des difficultés rencontrées à Londres à la veille des élections. Je pense aussi, à la lumière de la crise grecque, à l’adoption rapide d’une législation sur les produits dérivés de crédits, les fameux CDS, comme l’ont demandé la France, le Royaume-Uni, la Grèce et le Luxembourg dans une lettre commune adressée le 11 mars au président de la Commission.

Je suis absolument convaincu que la seule façon de remédier définitivement à ce type d’attaques, qu’elles soient dirigées contre les institutions financières, ce qui était le cas avant 2008, ou contre les États, comme c’est le cas aujourd’hui, est de mettre fin à l’impunité de ce type de spéculateurs. Cela commence par la transparence, et c’est le sens des propositions que la France a présentées hier en vue de la préparation de ce Conseil.

Je vous le redis, madame la sénatrice : sur le constat, sur les formes, nous sommes en phase ; sur les conclusions, nous sommes en droit de diverger.

Retour en haut