Un délai très profitable aux établissements financiers

Un délai très profitable aux établissements financiers - Réforme du crédit à la consommation (deuxième lecture)

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au terme d’une assez longue attente, puisque le texte a été examiné en première lecture voilà désormais plus d’un an – un an de gagné pour les établissements bancaires, un an de gagné pour continuer de proposer des offres aussi alléchantes que mensongères –, nous voici en présence d’une version revue et corrigée du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation.
Quelques observations formelles, de portée institutionnelle, doivent d’emblée être formulées.

Le Gouvernement n’avait pas engagé la procédure accélérée pour l’examen de ce texte, ce qui participe d’une volonté plus ou moins affichée de réduire le recours à ce mode de discussion parlementaire et de tenter de sauver les apparences, dans un contexte où les droits du Parlement sont largement mis en question.

À la vérité, cette procédure, dans le cas précis, ne peut pas être considérée de manière tout à fait positive. Dans les faits, l’ensemble des textes relatifs aux activités bancaires et financières, notamment les collectifs budgétaires ayant pour objectif de soutenir le secteur financier, ont, eux, bénéficié en effet du traitement de faveur que constitue la procédure accélérée.

N’est-il pas paradoxal qu’un texte dont l’objet plus ou moins affirmé était de donner aux clients et aux usagers des banques quelques droits nouveaux ait mis une année pleine à être étudié par les deux assemblées ?

Pour le coup, on rappellera qu’un certain nombre de propositions de loi portant sur le sujet avait été déposées dès l’automne 2008 et que le Gouvernement a présenté son projet de loi le 22 avril 2009…

Ces délais particulièrement longs, notre collègue Philippe Dominati, rapporteur de la commission spéciale, nous propose désormais de les abréger, puisqu’il nous recommande l’adoption conforme du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Une telle démarche ne peut évidemment recevoir notre assentiment.
Si la discussion a été particulièrement longue, ce n’est pas une raison pour que l’on remette en question le droit élémentaire dont bénéficie chaque parlementaire d’amender les textes soumis à son examen, d’autant que des questions essentielles ne sont pas résolues, à commencer par le taux de l’usure ou les procédures engageant la responsabilité des prêteurs dans l’émergence des difficultés des emprunteurs. Ces questions méritent par conséquent débat.

Nous aurons eu, avec la discussion de ce projet de loi, à la fois une latence très profitable aux établissements de crédit, libérés des éventuelles contraintes que pourrait faire naître l’application du texte, et un texte insuffisamment amélioré pour être totalement opérationnel.
Au demeurant, l’extrême fréquence du recours à la voie réglementaire pour l’application du texte soulève de nouvelles questions.
Madame la ministre, vous avez rappelé tout à l’heure les engagements pris au sujet de la bonne trentaine de décrets et arrêtés induits par l’adoption du texte, mais vous me permettrez de préciser que cette inflation réglementaire risque fort de créer des difficultés concrètes dans la mise en œuvre du projet de loi.

Nous connaissons la force de frappe des banques, nous savons qu’elles savent se faire entendre, et qu’elles sont souvent entendues ! Par conséquent, nous craignons que, dans le cadre de la consultation interministérielle, les arguments présentés par l’Association française des banques ne soient plus aisément pris en compte que ceux que portent les associations de consommateurs.

Voter le projet de loi en l’état, c’est donc, dans le schéma proposé par M. le rapporteur, abandonner notre droit d’amendement et confier la mise en œuvre concrète de la loi au rapport de force entre consommateurs et banquiers, rapport dont il est à craindre qu’il ne soit quelque peu déséquilibré.
Revenons-en à quelques points essentiels du texte comme du contexte.
Ce projet de loi intervient, en cette année 2010, alors même que le secteur bancaire et financier s’est largement « requinqué » après ses mésaventures de l’été 2007.

L’affaire Kerviel appartient, ces jours-ci, à l’actualité juridique et a quitté le champ de la pure comptabilité et de la mise en cause de la profitabilité de la Société Générale.
BNP Paribas, opérateur essentiel du crédit à la consommation à travers ses filiales dédiées, présente même une situation financière florissante qui, alors même que la banque avait fait appel au concours de l’État, en 2007, devrait la conduire à récompenser ses cadres et ses traders par de généreuses primes de résultat !

C’est donc un secteur financier largement remis en état de marche, grâce à l’utilisation peu onéreuse et bienveillante des fonds publics, qui va « affronter » un texte finalement peu exigeant, et ce d’autant moins que les pratiques actuelles en matière de taux d’intérêt pour les crédits à la consommation continuent d’offrir une marge confortable aux établissements prêteurs, une marge que la réduction du taux directeur de la Banque centrale européenne a d’ailleurs quelque peu renforcée.

Nous sommes également, compte tenu du contexte de 2010, dans une situation pour le moins déroutante du point de vue de la distribution du crédit.
En effet, alors même que la tendance à la hausse des produits nets bancaires s’est affirmée, l’orientation des politiques de distribution de crédit est à la raréfaction des lignes ouvertes, qu’il s’agisse des entreprises, des PME ou des particuliers. Et le faible niveau de la croissance économique au premier trimestre est sans doute dû en grande partie à cette difficulté nouvelle, pour les particuliers qui souhaitent obtenir des crédits.
J’en reviens à quelques-uns des aspects essentiels de la question du crédit à la consommation.

Le crédit est tout simplement un instrument essentiel de la croissance économique, non seulement du point de vue des banques, mais aussi du point de vue de l’économie nationale en général.
Dès lors que le Gouvernement a fait sienne une politique de modération salariale appliquée dans le secteur public et largement encouragée dans le secteur privé, le crédit devient naturellement l’outil de développement de la consommation populaire.

« À défaut de salaire, endettez-vous ! », semble-t-on dire à nos concitoyens dans le droit fil de ce texte, ne serait-ce que parce que les ménages français sont finalement assez peu endettés comparés aux ménages nord-américains, britanniques ou espagnols, pour ne citer que quelques exemples.
Cette situation ne nous dispense pas, cependant, de constater, au fil de l’activité des commissions de surendettement, la persistance de situations dramatiques pour de nombreuses familles – les chiffres ont été rappelés –, situations pour lesquelles le texte ne prévoit pas, hélas ! de solutions parfaitement acceptables.

Parmi les raisons qui conduisent nombre de familles au surendettement figure le recours contraint à des formules de crédit renouvelable que l’on appelle revolving, et que nous avons stigmatisé sous le vocable de « crédit revolver », solutions de plus en plus utilisées par les familles pour faire face aux dépenses du quotidien.

Il faut dire que, avec le temps partiel imposé à trois millions de salariés et un salaire moyen inférieur à 1 600 euros mensuels, les ménages ne savent pas toujours comment faire face à leurs charges fixes ou aux simples dépenses de la vie courante. Or, nous le savons bien, le surendettement est essentiellement provoqué par les dépenses quotidiennes, notamment d’alimentation.
Pour notre part, nous sommes attachés à la juste rémunération du travail, qui constitue le meilleur moyen de relancer la consommation populaire et de donner quelque assurance, aux prêteurs comme aux emprunteurs, quand il s’agit de passer à la conclusion d’un contrat de prêt.

Sans cet effort en faveur de la rémunération du travail, qui passe notamment par la revalorisation des minima légaux, nous ne pourrons pas prévenir avec suffisamment d’efficacité les dérives éventuelles d’un dispositif de crédit à la consommation qui peut devenir un facteur aggravant de l’endettement des ménages.

Nous pensons même que devrait exister sur le marché – appelons-le ainsi – un produit financier permettant aux ménages, dans des limites admissibles, d’emprunter à très faible taux, y compris pour faire face à des dépenses d’équipement de la maison ou de la famille en général.

Le microcrédit ne peut se limiter, de notre point de vue, aux seuls cas d’insertion professionnelle et de création ou de reprise d’entreprise.
Viendra d’ailleurs peut-être un jour où l’on créera un outil financier spécifique, de type « compte sur livret », dont l’allocation visera précisément les dépenses aujourd’hui mal prises en charge par les crédits à la consommation.
En tout état de cause, nous ne sommes pas partisans d’un recours accru et quasi rituel au crédit pour financer la consommation populaire, d’une part, parce que les conditions de distribution de ce crédit sont loin d’être rééquilibrées par le présent texte, d’autre part, parce que cela ne peut nous faire oublier la nécessité de la juste rémunération du travail.

Les garanties offertes par le présent texte étant largement insuffisantes pour répondre aux besoins des consommateurs salariés, nous risquons, une fois encore, d’être amenés à voter contre le texte issu de nos travaux.

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