La retraite à 60 ans correspond pour un très grand nombre de travailleurs à une véritable nécessité

La retraite à 60 ans correspond pour un très grand nombre de travailleurs à une véritable nécessité - Réforme des retraites : article 5 (Josh Hild - https://www.pexels.com/fr-fr/@josh-hild-1270765)

Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l’heure, que le Gouvernement n’avait pas de tabou. J’en vois quand même au moins un : le bouclier fiscal !

M. Jean Desessard. Eh oui !

Mme Annie David. C’est le tabou principal !

M. François Autain. Ce n’est pas parce que nous avons des tabous que nous sommes favorables à la retraite à 60 ans : c’est parce que cela correspond, pour un très grand nombre de travailleurs dans le pays, à une véritable nécessité.

Après d’autres, je veux à mon tour évoquer la pression permanente infligée par des directions qui ont perdu tout sens de l’humain et qui, aujourd’hui, ne se considèrent plus que comme des machines à générer des profits.

Il y a aussi les conditions de travail dégradées qui portent atteinte à l’état de santé physique et mentale des salariés, notamment avec l’explosion en cours ces dernières années des risques psycho-sociaux ; la perte du sens de l’activité professionnelle qui conduit à déshumaniser le travail ; la mise en concurrence permanente des salariés de l’entreprise entre eux, mais également avec les salariés d’autres pays européens, puisque vous refuser d’harmoniser vers le haut les législations du travail ; l’explosion continue de la précarité ; l’impression, bien réelle, de travailler toujours plus pour des salaires toujours plus bas ; le chantage permanent à l’emploi ou à la délocalisation....

Voilà les réalités que vous entendez, monsieur le ministre, imposer deux ans de plus aux salariés de notre pays. Bien sûr, je ne veux pas dire que tous les salariés sont en souffrance au travail, mais plutôt souligner que les modèles économiques qu’on impose aux entreprises se transposent directement aux salariés.

La commission des affaires sociales a réalisé sur le sujet un important travail de réflexion, d’échange et de proposition. L’une des idées fortes est précisément, comme le rappelle Marie Pezé, docteur en psychologie, que cette souffrance résulte « de l’intensification du travail exigé des salariés ».

Avec cet article 5, alors même que vous avez renoncé à combattre résolument la souffrance au travail et que vous avez, pour ne pas fâcher le MEDEF et ne pas accroitre le coût du travail, renoncé à prendre à bras le corps la question de la pénibilité, vous imposez le report de la retraite à 62 ans.

Autrement dit, le travail va mal, il fait mal et vous l’infligez deux ans de plus aux salariés de notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Et ce ne sont pas les quelques mesures prises concernant la pénibilité qui y changeront quelque chose. L’appréciation au cas par cas conduit en réalité à une nouvelle définition de la pénibilité. Mais surtout, vous vous limitez aux seuls aspects physiques de la souffrance, écartant de fait les questions liées aux souffrances psychiques.

À titre d’exemple, la reconnaissance de l’impact des horaires décalés sur la santé aurait dû vous conduire à prendre immédiatement un certain nombre de mesures. C’aurait été l’occasion de plafonner les heures que peuvent être amenés à accomplir les cadres qui sont au forfait ou à limiter dans les entreprises le recours aux contrats atypiques, comme les contrats à temps partiel, voire très partiel, caractérisés par des miettes d’horaires.

Cette situation est d’autant plus inacceptable que seuls les salariés sont amenés à faire des efforts supplémentaires. C’est sur eux que pèse le poids financier de cette réforme : ils paieront 85 % du coût de celle-ci, on l’a dit mais il n’est pas inutile de le répéter.

Pour les salariés de notre pays qui seront contraints de travailler deux ans de plus, c’est la double peine : ils voient leur période de travail rallongée, ils perdent deux ans qu’ils auraient pu consacrer à la vie associative, sociale, familiale, bref, à leur épanouissement personnel, et ils ont de surcroît à supporter des conditions d’emploi qui ne cessent de se détériorer.

Au sein du groupe CRC-SPG, nous sommes convaincus – nous l’avons dit dans le cadre de la mission de réflexion sur la souffrance au travail, où nous étions représentés par Annie David, et dans notre proposition d’enquête sur les problèmes psycho-sociaux – que le travail doit être réformé, qu’il doit être radicalement repensé.

Dans ce contexte, l’application de cet article 5 ne pourra être que génératrice de souffrances accrues.

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