Budget "SANTE"

Intervention en séance publique du 4 décembre 2010

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je voudrais vous faire part de ma vive réprobation face à la suppression décidée par le Gouvernement de la dotation d’État qui alimentait jusqu’à cette année encore l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS. Certes, si l’on se borne à un raisonnement purement comptable, cette mesure représente une économie de 10 millions d’euros auxquels on peut ajouter 20 millions d’euros supplémentaires puisqu’il est prévu de reconduire cette mesure jusqu’en 2013.

Mais il est difficile d’imaginer que les activités de l’Agence n’en soient pas affectées. J’ai pu constater que le rapporteur spécial tout comme le rapporteur pour avis partagent cette analyse.

Or, cette agence exerce des missions essentielles puisque, aux termes de l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, c’est elle qui notamment « prend [...] des décisions relatives à l’évaluation, aux essais, à la fabrication, à la préparation, à l’importation, à l’exportation, à la distribution en gros, au conditionnement, à la conservation, à l’exploitation, à la mise sur le marché, à la publicité, à la mise en service ou à l’utilisation des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme […] ». Rien que cela !

En outre, on sait que d’une manière globale notre système sanitaire est déjà bien fragile. En effet, les pouvoirs publics, au moment où ils ont institué la Haute Autorité de santé, n’ont pas su saisir l’occasion qui se présentait pour rationaliser l’architecture des agences sanitaires et régler le problème de coordination des missions qu’elles se partagent. À titre d’exemple, la dichotomie opérée entre les activités exercées par la commission d’autorisation de mise sur le marché abritée par l’AFSSAPS et celle dite « de la transparence », chargée de l’évaluation de l’efficacité des mêmes produits de santé et qui siège au sein de la Haute Autorité de santé, est éloquente. Plus largement, avec la multiplication des agences sanitaires indépendantes, on comprend que c’est l’autorité même de l’État en matière de santé publique et, par voie de conséquence, son crédit qui sont mis à mal.

Dans ce contexte, la quasi-disparition des financements publics accordés à l’AFSSAPS appelle deux remarques de fond.

Tout d’abord, la situation du financement de cette agence qui prévalait jusqu’à cette année – elle était financée à 90 % par des taxes versées par les laboratoires, les 10 % restants consistant en des subventions publiques – ne permettait déjà pas que l’État finance en totalité les missions dont il reste pourtant le garant – veille sanitaire, pharmacovigilance et inspections. Dans ces conditions, la suppression de la subvention publique dont bénéficiait l’Agence va à l’encontre de ce que le rapport d’information intitulé « Médicament : restaurer la confiance », rendu public par le Sénat en 2005, avait préconisé afin qu’elle puisse exercer ses missions en toute indépendance.

De plus, asseoir les ressources de l’Agence sur le seul produit des taxes versées par les entreprises pharmaceutiques apparaît périlleux. En effet, comment croire que cette dernière puisse travailler à l’abri de toute pression dès lors que son équilibre financier dépend exclusivement du nombre de dossiers qu’elle traite ?

L’affaire du Mediator, qui succède à d’autres scandales sanitaires comme celui du Vioxx, vient témoigner des défaillances de notre système de contrôle du médicament.

Notre système, et ce probablement en raison des liens trop étroits entre les firmes pharmaceutiques et l’expertise, a été amené à autoriser la mise sur le marché ainsi que le maintien de médicaments inutiles et parfois même dangereux. Ainsi, 90 % des nouveaux produits mis sur le marché pour la seule année 2009 n’apportaient aucune amélioration du service médical rendu par rapport à des médicaments déjà existant et la plupart du temps d’un prix inférieur. On mesure par ce seul exemple le gaspillage de fonds publics auquel conduit un tel système.

Rien ne permet de penser que cela va cesser.

Pis, le financement intégral de l’AFSSAPS par le produit des taxes versées par les industriels, notamment au moment du dépôt de leurs dossiers devant la commission d’autorisation de mise sur le marché, va fragiliser encore un peu plus une AFSSAPS déjà bien mal en point. Elle risque d’être conduite, par ce désengagement des pouvoirs publics, à multiplier le nombre d’instructions de dossiers pour disposer des moyens nécessaires à son fonctionnement, la quantité plutôt que la qualité !

La décision du Gouvernement de ne plus subventionner l’AFSSAPS n’est donc pas seulement un signe de faiblesse face aux industriels, c’est aussi une décision contraire aux intérêts de la santé publique.

D’une manière plus générale, il est frappant de constater que le Gouvernement a placé son projet de budget « santé » pour 2011 sous le signe du renoncement.

Avec une hausse d’à peine 2 % de ses crédits de paiement, il enregistre, en effet, une augmentation très modérée, pour ne pas dire homéopathique. Ce très léger relèvement s’explique par les dépenses consenties par le Gouvernement en faveur de la formation médicale initiale. Votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, a en effet précisé le 2 novembre dernier devant l’Assemblée nationale que le Gouvernement avait décidé cette année d’honorer l’engagement pris au début de l’année 2009 lors du débat sur la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », ou HPST, et de porter à 8 000 le numerus clausus, afin d’augmenter le nombre de futurs spécialistes de médecine générale.

Cette mesure va dans le bon sens ; elle ne saurait toutefois suffire à elle seule. L’augmentation du nombre de places disponibles en médecine générale, en effet, ne garantit pas qu’elles soient in fine toutes occupées. En outre, on constate que trop de diplômés de médecine générale renoncent encore à s’installer en qualité d’omnipraticien.

C’est pourquoi nous considérons que des mesures plus volontaristes s’imposent : rendre par exemple obligatoire pour les jeunes diplômés l’exercice de la médecine de premier recours pendant trois ans pourrait constituer une réponse plus opérante à la situation de pénurie, même si, nous vous l’accordons, ce n’est pas la panacée. Il faudrait également prendre d’urgence des mesures concernant l’installation des médecins. S’arc-bouter sur la préservation de leur liberté d’installation conduit à des aberrations dont les patients sont les premières victimes : ceux qui vivent dans les territoires ruraux ou encore dans les quartiers populaires ont d’ores et déjà difficilement accès à un médecin généraliste.

Par ailleurs, force est de constater que les deux dispositions votées avec la loi HPST concernant la démographie médicale – l’obligation faite aux médecins de prévenir de leur absence et pour les praticiens installés en zone « surdense » de consulter dans les zones « sous-denses » via les contrats solidaires – ne sont plus à l’ordre du jour puisque votre prédécesseur a finalement, compte tenu de leur caractère vexatoire à l’égard du personnel médical, décidé de les suspendre purement et simplement. Dans un tel contexte, on comprend que l’efficacité de la hausse du numerus clausus ne peut qu’être limitée ; c’est le seul levier pourtant que le Gouvernement consent à utiliser.

Cette question lancinante de l’accès aux soins nous conduit à évoquer, pour les déplorer, les dispositions visant à réduire l’accès à l’aide médicale de l’État introduites dans le projet de budget de la santé pour 2011 par l’Assemblée nationale. En la matière, beaucoup de critiques peuvent être apportées ; j’y reviendrai à l’occasion de la défense des amendements de suppression que mon groupe a déposés.

Cette décision est d’autant plus regrettable qu’elle s’accompagne d’une nouvelle réduction des crédits alloués à la prévention. Ceux-ci baissent de presque 5 % pour les crédits de paiement et de 2 % pour les autorisations d’engagement. Alors que les comportements à risque se développent et que des maladies sexuellement transmissibles telles que la syphilis réapparaissent, ces mesures d’économies prises en matière de prévention nous semblent incompréhensibles.

Pour conclure, je regrette la réduction importante des moyens octroyés par l’État à la mise en œuvre de l’action 12 du programme 204. Cette réduction de crédits, il est vrai, n’a rien de surprenant ; elle est la conséquence directe du transfert de cette mission à l’industrie pharmaceutique dans le droit fil de la politique du Gouvernement de privatisation de notre système de santé.

Déjà en 2009, à l’occasion de la lecture de la loi « HPST », un amendement gouvernemental offrant la possibilité aux firmes pharmaceutiques de participer au financement de l’éducation thérapeutique avait été voté. Cette décision anticipait déjà le recul budgétaire que l’on observe aujourd’hui ainsi que le transfert de cette mission de service public vers le secteur commercial.

C’est là une belle opportunité offerte aux entreprises pharmaceutiques qui, au travers de ces actions d’accompagnement, peuvent s’engager dans des opérations lucratives de fidélisation des patients.

Une fois de plus, il faut bien reconnaître que les laboratoires pharmaceutiques sont très réactifs et qu’ils ont su anticiper en faisant évoluer leurs méthodes de communication.

Aussi, vous le comprendrez, en raison de toutes ces carences – dont certaines ont été relevées par M. le rapporteur – le groupe CRC-SPG ne peut que voter contre le budget proposé pour cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

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